Alors qu’il vient de sortir son (brillant) podcast intitulé « La politique des putes », afin de donner la parole à des travailleur·euse·s du sexe souvent exclues des décisions politiques les concernant, l’humoriste et comédien Océan a aussi récemment prêté sa voix à la saison 2 de l’Appli rose, série audio érotique à succès. L’occasion pour nous de parler avec lui de cette expérience sensuelle, de son rapport à la pornographie et de la stigmatisation des personnes trans.
Océan, votre documentaire éponyme, est sorti récemment au cinéma. Comment a-t-il a été reçu ?
Il a été très bien reçu, et ça a été une expérience magique ! J’ai pu rencontrer plein de jeunes trans, et on peut être « jeune trans » à n’importe quel âge je précise, qui se sont beaucoup identifié·e·s au film et pour qui ça a été très empowering de voir un film heureux sur une transition filmée par un concerné.
Espérez-vous un changement de regard sur les personnes trans en amenant ainsi le public au plus près de votre intimité ?
Beaucoup de personnes non concernées m’ont écrit pour me dire qu’elles avaient « compris plein de trucs » ou juste découvert la question de la transidentité. C’est évidemment insuffisant pour appréhender la diversité des vécus et des parcours trans, mais si ça peut les encourager à se renseigner plus encore, c’est top. Et bien sûr, le film a une volonté d’être pédagogique, comme tout mon travail !
Dans une interview, vous avez déclaré « Je serai toujours un trans féministe. » Pouvez-vous expliquer ?
Ma transition a plutôt renforcé mon féminisme, car être perçu socialement comme un homme cisgenre est une expérience parfois déroutante, qui renvoie quotidiennement aux injustices et à la différence de traitement des hommes et des femmes. Et peut-être parce que tout à coup, du fait du changement de ma corporalité, je m’autorise à extérioriser une colère qui était jusque-là refoulée. Aussi parce qu’en tant que femme, on prend plus de risque en formulant notre colère. Donc aujourd’hui je dirais même que je suis encore plus féministe qu’avant !
Quel est votre rapport à l’érotisme et à la pornographie ?
Conflictuel ! [rires] Dans le sens où je perçois aujourd’hui à quel point l’intime est politique, et à quel point même cet endroit du désir a été colonisé par les normes sociales et l’érotisation des violences patriarcales.
Consommez-vous du porno ? Lequel et sous quelle forme ?
Par période, et plutôt comme une expérience de voir ce qui m’excite, ce qui ne m’excite plus et comment mon cerveau réagit aux images alors même que je ne contrôle pas cette excitation. J’ai du mal à consommer du porno éthique et safe, alors même que toutes mes convictions devraient m’y pousser. Du coup, j’oscille entre culpabilité et sensation d’être victime, encore une fois, puisque j’ai la sensation de ne même pas avoir pu connaître mon désir hors des champs de la domination hétérosexiste, raciste et normative.
La sexualité des personnes trans est-elle encore un tabou dans notre société ?
Elle est surtout très fantasmée, la preuve en est le nombre de consultations de vidéos avec des personnes trans sur les sites porno. Une des choses les plus épuisantes quand on est trans, c’est l’obsession des gens à savoir ce qu’il y a dans notre culotte. Nous sommes constamment sexualisé·e·s, quand bien même nous serions asexuel·le·s ! Par ailleurs, énormément de travailleuses du sexe trans sont tuées par des agresseurs qui n’assument pas de les avoir désirées, qui les baisent, puis les tabassent ou les tuent. C’est pour ça que c’est toujours flippant d’être exotisé·e·s et fétichisé·e·s sexuellement, parce qu’on sait bien que la violence pure n’est jamais très loin, et que le mécanisme, alors qu’il semble opposé, désir versus haine, est en réalité le même.
View this post on Instagram Je suis crevé, ça a été intense mais je voulais vous dire: Merci pour vos supers beaux retours depuis des mois sur mon film, merci à chaque personne que j’ai rencontré sur la tournée vous m’avez tant appris et donne tellement de force. Merci pour vos retours aussi cette semaine sur le podcast « La Politique des Putes ». Mon but était de faire mieux comprendre les enjeux autour du travail du sexe en donnant la parole aux concernées, dans leur diversité et leur unité aussi. De vous faire découvrir ces personnes merveilleuses, brillantes, drôles, puissantes, aussi structurées que sensibles, profondément solidaires, qui se battent chaque jour pour être libres et indépendantes. Je suis si heureux et ému de voir en ce moment comme les femmes, les personnes racisées, les prolétaires, les grosses, les putes, les voilées, les juifs queers, les trans et les handiqueers se font entendre, refusent plus que jamais de fermer leur gueule et de se soumettre à l’arnaque du patriarcat blanc capitaliste validiste et raciste. Fini la confiscation de la parole par des vieux mecs cis blancs et des bourgeoises qui croient savoir mieux que les concerné.e.s ce qui est bon pour nous. On est là et on a pas besoin que vous parliez à notre place: on le fait mieux que vous. Sororité et complicité maximale entre tou.te.s celleux qui ne rentrent pas dans le cadre, dans la photo de famille des gens « comme il faut ». Maintenant, on fait les photos nous mêmes, merci, on s’empare des micros et des caméras et si vous nous laissez pas rentrer dans la salle à dorures on gueule dehors jusqu’à ce que notre grondement vous assourdisse. Vive la révolution. Je vous aime . . . Merci @highseaproduction @francetvslash @arizonafilms_distribution @nouvellesecoutes @laurenbastide @intimeetpolitique_ne @thepainproofpriestess @charlieshe @kaygarnellen @anaisdelenclos @aumneko @morgane.merteuil @jasminemdm @tapotepute @romixalizee #kori #ravane #coleen #alexandra #giovanna #melusine #marianne #thierry #helene #aying #irene #maiwenn #sarahmarie
A post shared by Océan (@ocean_officiel) on Mar 11, 2020 at 2:26pm PDT
Pensez-vous que la culture porn actuelle se saisit assez de la question de la transidentité ? Ou le milieu doit-il lui aussi faire attention à s’ouvrir à l’inclusivité ?
Le porno queer s’en saisit de façon très joyeuse et réussie. J’étais à Portland récemment, dans un festival porn queer, et c’était vraiment génial de voir plein de personnes trans à l’écran. En revanche, le porno mainstream est comme toujours à la traîne, et présente les personnes trans comme des objets fétichisés, déshumanisés – une catégorie de tag. Malgré tout, les trans sont de plus en plus visibles et présents en tant que sujets donc c’est une bonne chose, surtout pour les acteurs et actrices porno trans qui travaillent plus qu’il y a dix ans !
Vous participez à un épisode de l’Appli rose 2, la série audio érotique produite par Audible. Aviez-vous déjà songé à faire de l’érotique et/ou du porno ?
J’y ai pensé et j’y réfléchis encore, mais plutôt sous forme de roman ou de podcast, pour pouvoir aller au bout de tous les fantasmes sans impliquer personne physiquement, surtout pas moi ! [rires] Je suis beaucoup trop pudique et complexé pour faire du sexe devant une caméra. L’épisode de l’Appli rose 2 était un bon compromis puisque j’y engageais juste ma voix, c’était très chouette !
Pouvez-vous nous teaser l’épisode auquel vous participez ?
Mon personnage retrouve la sœur de son ex par hasard (ou pas ?) sur une appli vocale de rencontres. Il la connaissait avant de transitionner, la rupture avec la sœur est actée depuis longtemps, donc sa place a changé et leur désir peut enfin se révéler…
Est-ce également un moyen de dire à tous, peut-être même aux transphobes, « Écoutez donc, les trans aussi ont une sexualité, et elle est belle » ?
Personnellement je n’ai rien à prouver aux transphobes, je les emmerde et ne m’intéresse pas du tout à eux, ni à ce qu’ils pensent. Et puis il suffit de visionner mon documentaire pour percevoir que transitionner m’a permis de faire des rencontres amoureuses et sexuelles extrêmement riches. Mais si je l’ai montré, c’était surtout pour dire aux trans inquiet·e·s en début de transition : « Ça va aller, ne vous inquiétez pas, vous allez grave avoir du sexe ! » parce qu’on nous a conditionné·e·s à avoir peur de perdre notre capacité de séduction en sortant de la norme cisgenre. Mais le milieu queer, heureusement, est libéré, accueillant et déconstruit !
Comment avez-vous vécu cette expérience érotique ?
Vraiment très bien parce que tout le monde était extrêmement bienveillant et respectueux. Et s’il y avait des choses un peu maladroites à l’écriture, on m’a laissé les modifier donc c’était ultra safe ! Je pense que c’est la seule façon de faire du porno de façon épanouissante d’ailleurs, quel que soit le support.
On est très fier·ère·s de vous présenter notre 2e documentaire #IntimeEtPolitique : #LaPolitiqueDesPutes, réalisé par @ocean_officiel, dans lequel il tend le micro à des travailleuses·rs du sexe. 10 épisodes de 30 minutes, tous disponibles aujourd’hui ! https://t.co/Jsz4bTuS3s pic.twitter.com/b6xSXJTyxy
— Nouvelles Écoutes (@NouvEcoutes) March 1, 2020
Auriez-vous envie de réiterer une telle expérience ? De continuer à parler de la sexualité des personnes trans par d’autres biais ?
Là je viens de sortir « La politique des Putes », un podcast sous forme de documentaire en 10 épisodes de 30 minutes sur le travail du sexe, pas uniquement pour les personnes trans, donc travailler les sexualités est au cœur de mes préoccupations, mais plutôt dans le but de les politiser, de comprendre des choses sur notre société et sur nous-mêmes. C’est un sujet qui peut se travailler à vie, je pense, tant il fait ce lien entre nos lieux les plus intimes et les injonctions qui nous sont faites collectivement.
BREAKING NEWS Avec @AcceptessT et Giovanna Rincon nous lançons le #FAST Fonds d’aide Sociale Trans, pour répondre aux situations d’urgences des personnes trans les plus vulnérables. https://t.co/c1RlVSrqkN N’hésitez pas à faire un don, on compte sur vous pic.twitter.com/GevnPtELhO
— Océan (@ocean_officiel) March 13, 2020