Magaly Pirotte (ancienne membre du collectif d’À bâbord !) est l’humaine derrière le projet SEX-ED +, qui crée du matériel pour les professionnel·le·s de la santé et de l’éducation à la sexualité. Propos recueillis par Pedro Marques dans le cadre du projet Vamos falar de sexualidade (Parlons de sexualité). Traduction et adaptation par Magaly Pirotte.
Pedro Marques : Qu’est-ce qui t’a motivée à travailler dans le domaine des droits sexuels et reproductifs ?
Magaly Pirotte : Pendant mes études, j’ai travaillé sur les mouvements anti-autoritaires, notamment queer et féministes, auxquels j’appartenais. C’est un milieu dans lequel il y a beaucoup de réflexions critiques et politiques autour des corps et des sexualités. Plus tard, j’ai travaillé dans le milieu communautaire, en santé des femmes et en défense des droits sexuels et reproductifs.
Les sexualités m’ont toujours fascinée parce que c’est brut, fondamental, constitutif de l’humain, que l’on soit actif·ve ou pas. C’est une zone dans laquelle s’exprime la vulnérabilité, la beauté, la créativité, mais aussi la douleur, le trauma et la résilience. C’est à la fois intime et inextricablement lié aux contextes sociaux et politiques. Quels sont les corps considérés comme désirables ? Quelles personnes ont la possibilité de faire des choix reproductifs ? Quelles communautés ont accès aux services de base ? Comment se construisent nos fantasmes ? Nous sommes les produits de nos sociétés et ce bagage nous suit bien évidemment dans la chambre à coucher.
Intellectuellement, j’ai été électrisée par le mouvement pour la justice reproductive aux États-Unis et son analyse de la sexualité et de la reproduction en lien avec le genre, la race et la classe. Personnellement, mes perspectives et pratiques intimes ont été transformées par la lecture d’ouvrages sur le sexe lesbien et le sexe en situation de handicap, qui remettent en question le script hétéronormé de la sexualité, qui permettent de déconstruire ce qui est tenu pour acquis, et d’imaginer des sexualités plus libres et plus satisfaisantes.
PM : Comment le projet SEX-ED + a-t-il vu le jour ?
MP : Au cours des dernières années, j’ai travaillé sur les pratiques anti-oppressives dans l’éducation à la sexualité. C’est venu de la réalisation qu’en dépit des meilleures intentions, la plupart des éducateurs et éducatrices à la sexualité transmettent involontairement des contenus qui perpétuent des stéréotypes et des valeurs pouvant avoir un impact très négatif sur leur public cible. Par exemple : renforcer les stéréotypes de genre, aborder la sexualité dans une perspective hétérocisnormative, ne pas prendre en compte les contextes sociaux (tels que le racisme ou le handicap) et leurs impacts sur les corps et les sexualités.
Avec des membres de l’UQAM, nous avons publié une recherche sur les besoins des jeunes en matière d’éducation à la sexualité et sur les impacts négatifs d’un contenu qui n’est pas positif, inclusif et émancipateur. Mais les recherches, ce n’est pas très lu par les gens de terrain (ce qui est compréhensible, vu que ça ne fait souvent pas partie de leurs tâches rémunérées). Alors j’ai commencé à penser aux stratégies qui pourraient avoir un impact concret, dans un contexte de manque de ressources et de formation insuffisante du personnel qui est amené à faire l’éducation à la sexualité (infirmières, profs, intervenant·e·s, etc.). Une des pistes, c’était de changer les outils pédagogiques pour contribuer à changer les discussions.
Quand on y pense, les outils utilisés pour l’éducation à la sexualité se limitent souvent à des schémas d’organes reproducteurs, et éventuellement à un objet oblong qui permet de démontrer la pose de condom externe. La discussion est donc automatiquement axée sur la reproduction et la prophylaxie, ce qui ne représente qu’une toute petite partie de ce qu’est la sexualité. Les gens veulent entendre parler de corps, de sentiments, d’émotions, de désir et de plaisir. De consentement. Mon objectif, c’est de fournir des outils qui vont aider à avoir ces discussions. Parce qu’on n’a pas la même conversation autour d’un clitoris en 3D qu’autour d’un dessin de trompe de Fallope.
PM : Quel est l’aspect le plus satisfaisant de ton travail ?
MP : C’est lorsque des personnes qui utilisent les outils me partagent leurs interventions et les réactions des usager·e·s. Contribuer à ce que les gens connaissent mieux leur corps, comprennent mieux leurs réponses sexuelles et celles des autres, c’est très satisfaisant. J’aime aussi quand les professionnel·le·s me contactent afin de me faire part de leurs besoins. C’est très concret comme travail, je contribue à outiller mon milieu de pratique en répondant à ses besoins, et en parallèle quand j’ai un peu de temps je continue à faire de la recherche sur l’éducation à la sexualité et les meilleures pratiques.
Par contre, on s’entend que c’est toute une aventure pour une vieille semi-punk qui travaillait dans le communautaire de partir ce genre de projet, qui est de forme auto-entrepreneuriale (vous ne pensiez tout de même pas que la fabrication d’organes génitaux était financée ?). Mais c’est très satisfaisant de porter un projet solo, dans le sens où il n’y a pas de structure administrative lourde, pas de CA ou de bailleurs de fonds à convaincre. Bref, c’est un délicat mélange de sueur et de grande liberté.
PM : Selon toi, quels sont les besoins en matière d’éducation et de santé sexuelle ?
MP : Il faut être plus à l’écoute des populations desservies. Cesser de créer des programmes qui contiennent ce qu’on pense que notre « clientèle » doit savoir, mais au contraire développer les contenus en partenariat avec le public cible, afin d’être au plus près de leurs connaissances, de leurs besoins et de leurs réalités. Parce que le but de l’éducation à la sexualité, c’est d’abord et avant tout de donner aux gens les outils dont ils et elles ont besoin, en lien avec leurs réalités.
Ce qui serait formidable, c’est que toutes les personnes qui font de l’éducation à la sexualité aient accès à de la formation continue sur les systèmes d’oppression et de privilège ; sur l’impact des contextes sociaux sur la vie et l’intimité des individus et des communautés ; et sur le traumatisme et la résilience. D’abord, pour être en mesure d’interroger leurs conceptions personnelles de ce qu’est une « bonne » sexualité et pouvoir ainsi mieux accueillir et soutenir les autres, peu importe leurs identités, pratiques ou expériences. Mais aussi, pour recevoir du soutien, car c’est un travail exigeant émotionnellement, et il est important de s’outiller, de se ressourcer et de partager ses pratiques avec d’autres professionnel·le·s.
PM : Pourquoi selon toi est-il nécessaire de parler d’anatomies génitales ?
MP : Parce que c’est encore en grande partie inexploré, et que les impacts de cette méconnaissance sont concrets. Tout ce qui entoure les génitalités est considéré comme honteux, tabou. Nombre de gens vivent dans la gêne par rapport à leur corps, et comme le dit le vieux dicton, « là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir ». Les professionnel·le·s de la santé ont peu ou pas de formation sur le sujet. (On se rappelle que le premier modèle de clitoris 3D a été rendu disponible en 2016 seulement.) On opère des utérus, des vulves et des clitoris sans précisément connaitre l’anatomie de la zone et les systèmes nerveux impliqués. Les personnes qui présentent des variations génitales par rapport à la norme attendue (par exemple dans les cas d’intersexuation ou de mutilation génitale) font face à du personnel non formé dont les réactions ne sont pas toujours appropriées. Même les cliniques qui offrent des chirurgies génitales d’affirmation de genre n’ont pas d’outils en 3D pour aborder l’anatomie et les modifications entrainées par la prise d’hormones et/ou la chirurgie génitale.
Bref, il y a un déficit général de connaissances sur le sujet qu’il est important de combler. La pornographie ne devrait pas être l’unique espace où trouver des réponses pour les gens qui se posent des questions sur leur corps et sur leur sexualité.
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