Call Me Femcee a un objectif clair : mettre la lumière sur les talents féminins de la scène hip-hop underground. Porté par l’Association Rencontre Urbaines, ce beau projet lancé en 2014 ne cesse de grandir et offre l’opportunité de s’exprimer aux rappeuses du monde entier. Interview de Gotar, Fondateur et Coordinateur de Call Me Femcee.
Quand et comment est né le projet Call Me FEMCEE ?
Le projet Call Me Femcee s’est lancé officiellement en 2014, mais cela fait bien plus longtemps que l’on est actif autour de la scène Hip-hop et Femcee. A l’origine, c’est 15 rappeuses des quatre coins du globe réunies au sein d’un même projet musical, pour valoriser les talents féminins de la scène hip hop underground. Le projet est né naturellement car nous avançons depuis le début du collectif avec des artistes féminines.
Comment expliques-tu qu’un mec ait décidé de se lancer dans un projet de rap féministe ?
Comme je l’ai dit c’est venu naturellement. Du feeling, des affinités et aussi un constat bien réel qui est que ces artistes manquent de visibilité. Et quand elles sont mises en avant, elles sont tout de suite classifiées dans “Rap féminin”. On ne dit jamais “rap masculin”, pourquoi tout de suite classer les femmes dans “rap féminin” ?
Pour les mecs, on parle de “Mc” ou de “rappeur”, alors je trouve ça important et valorisant d’utiliser les termes “rappeuses” ou “femcee” pour les femmes. “Call Me Femcee”, veut d’ailleurs dire : “appelle-moi rappeuse”.
Comagatte, Laayie, EnerGIA & Icykal – « European Cypher » for CALL ME FEMCEE
C’est vrai qu’aujourd’hui, le monde du rap mondial reste majoritairement dominé par les hommes ! Les femmes n’osent pas ? L’industrie leur met des bâtons dans les roues ?
Je pense que l’industrie, les artistes et les professionnels du milieu ont une responsabilité dans cette situation. Dans l’industrie du rap, certains profils se différencient des autres, mais sinon on va toujours voir le même style d’artistes mis en avant : le cliché de la bimbo chanteuse de rnb et rappeuse en même temps, dans le genre Iggy Azalea par exemple.
L’industrie veut faire du business, alors soit il faut que la meuf soit sexy, soit qu’elle chante des textes trash comme Nicki Minaj. En France, on peut dire que Diam’s avait cassé les codes pour le coup. C’est donc possible, mais c’est hyper difficile.
Chez les mecs, il y a aussi des stéréotypes dictés par l’industrie : l’aspect sexy compte moins, mais y a une forme d’obligation à être bling bling, et de proposer des textes légers.
Donc dès qu’une meuf sort du cliché de l’objet sexuel, ça n’intéresse plus personne ?
Oui c’est exactement ça malheureusement. Alors que dans dans le rap de l’ombre, l’underground, c’est bien différent. Il y a bien plus de diversité de profils, les textes sont moins trashs, c’est plus vrai !
Iggy Azalea et Nicki Minaj
J’ai l’impression que les femmes ne soutiennent pas spécialement les rappeuses et en ont plutôt une mauvaise image, qu’en penses-tu ?
En effet, beaucoup de femmes vont boycotter d’office les rappeuses sans même se pencher vraiment sur ce qu’elles font, c’est dommage. Mais justement, c’est ce qu’on veut faire ressortir avec Call Me Femcee : le vrai Hip-hop, le vrai Rap, de vraies artistes avec un univers, du talent et des choses à dire. Avant d’être un projet mettant en avant les femmes, CMF est avant tout un projet Hip-hop.
Parfois des personnes se plaignent qu’il y ait des mecs sur scène, mais la culture hip hop est une culture de réunion, c’est ça l’esprit, tout le monde ensemble. Pour nous, il n’y a jamais eu de différence homme/femme justement.
Je sais que les musiciennes de samba sont très pointues au Brésil, car elles subissent beaucoup de sexisme des hommes, et la moindre erreur les décrédibilise, alors qu’on ne jugerait pas les mecs de la même façon. Est-ce pareil dans le rap ?
Je pense malheureusement que cela arrive dans pleins de pays, de styles, de culture. C’est un peu pareil dans le rap effectivement. La rappeuse va être attendue au tournant, on ne lui fera pas de cadeaux. Par exemple dans une battle, si elle fait ne serait-ce qu’une petite erreur, on dira qu’elle n’a pas encore le niveau, alors qu’un mec qui fera la même erreur, personne n’y prêtera attention. Je me souviens d’une battle où j’étais partenaire et j’étais venu accompagné de trois rappeuses. Quand deux d’entre elles sont montées sur scène, les mecs derrière moi sont tout de suite partis en disant “c’est des meufs, viens on se barre”. Ils n’ont même pas voulu écouter, alors qu’elles ont mis le feu et déchaîné la salle !
Sur les musiciennes de samba, lire l’article Breaking The Circle : quand la samba devient un combat féministe
Depuis le début de Call Me Femcee, vois-tu de plus en plus de jeunes filles et femmes qui se lancent comme rappeuses ?
Oui, je vois beaucoup plus de filles qui se lancent, ou du moins qui se montrent. Il y a beaucoup plus de diversité dans le style des rappeuses. Ça fait vraiment plaisir ! C’est d’ailleurs cela qui m’a donné l’idée de lancer le tremplin musical “Rappeuz”, un casting à travers toute la France pour chercher les nouveaux talents du rap. Les deux gagnantes bénéficieront d’un accompagnement : concerts, enregistrements EP, tournage de clip…
À quoi ressemble le rap féminin d’aujourd’hui et comment sera celui de demain ?
C’est plus diversifié et en plein renouveau. Il s’annonce riche en talent dans un futur proche, mais il y a encore du chemin à faire. Encore une fois, il y a une grande différence entre l’underground, le vrai Hip-hop, et le “rap mainstream” qui est diffusé.
On s’oriente un peu plus vers la trap en ce moment, car c’est aussi comme ça qu’évolue le rap. Les jeunes arrivent avec leur nouveau style, mais ce qui compte c’est de venir du monde hip hop, de partager les mêmes valeurs. De continuer à faire du rap tout simplement.
Si des rappeuses veulent rejoindre le collectif Call Me Femcee, comment ça se passe ?
Alors, il y a bien un collectif derrière, mais désormais c’est plus une structure, qui propose un accompagnement, du booking, l’organisation d’événements. De plus, on est vraiment dans une démarche de fédérer autour du projet en rassemblant les rappeuses. Pour nous rejoindre il suffit de nous suivre, d’échanger ou de participer au tremplin mis en place.
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