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Avant même leur naissance, on prépare les futurs hommes et femmes à des rôles genrés. Dés la vision échographique d'un pénis - ou d'une absence de pénis - , on imagine un prénom sexué, on achète jouets et vêtements qui le sont tout autant et on peint la chambre en fonction du genre qu'on souhaite pour son enfant. Dés lors, hommes et femmes sont préparés à leur future fonction dans la société et l'on se comporte différemment selon le genre de l'enfant ce qui façonne sans nul doute des façons différentes d'être au monde. Ainsi par exemple, les bébés filles sont nourries moins rapidement et moins longtemps, on n'attend pas les mêmes qualités d'elles que des garçons et l'on n'interprète pas de la même façon ce qu'elles expriment. En crèche on va encourager la créativité des garçons et pousser les filles à adopter des comportements "comme maman".
"Généralement, et même dans les milieux féministes, l’idéologie de l’égalité – et ici j’entends la croyance que sauf exception volontaire et consciente, filles et garçons sont élevées de la même manière – empêche de voir à quel point une identité de genre est injectée dans les personnes dès leur naissance. Cette identité de genre n’est pas uniforme selon les milieux, les pays, les régions, les classes sociales : mais elle possède un large substrat commun, celui qui spécifie les aptitudes, les qualités, les attentes et les devoirs de chaque sexe. L’identité de genre, administrée très tôt au nourrisson, n’est pas distinguable de l’identité personnelle : “ je suis une fille ” et “ je suis moi ” ne sont pas deux consciences différentes ; le genre n’est pas un attribut surajouté à une conscience de soi préexistante, mais forme l’armature, le cadre même de cette conscience de soi.
La division du travail selon les sexes n’est pas non plus un apprentissage qui viendrait tardivement – elle est consubstantielle aux “ qualités ” et “ traits ” féminins ou masculins. Il n’est pas “ naturel ” pour un homme de faire certaines choses ou de souhaiter les faire. Un petit garçon qui ne veut pas ranger sa chambre est considéré avec indulgence, de même qu’une petite fille qui ne veut pas se salir les mains avec du cambouis. Le traitement “ égalitaire ” est appliqué, quand il l’est, par-dessus, et sans remettre en cause, ce substrat considéré comme naturel." Christine Delphy, Les causes de l'inertie.
Les futures femmes sont ainsi préparées et façonnées pour deux rôles essentiels :
- être belles pour trouver un époux.
- se préparer à être de bonnes mères et de bonnes épouses.
Il serait illusoire de penser que "les choses ont changé". On ne demande plus à une femme d'être une bonne mère de la même façon qu'on lui demandait en 1950 mais cela reste une injonction extrêmement forte ; entre les tenants de l'allaitement ou du non-allaitement, du cododo, du portage, du congé maternité ou de la reprise immédiate du travail.
L'immense différence entre les rôles sociaux des hommes et des femmes est que ceux des hommes sont profondément valorisés et enviables. On éduque les garçons à être compétitifs, à être raisonnablement agressifs, qualités nécessaires pour être un homme et pour réussir dans la vie (et non pour réussir sa vie d'homme la nuance est importante). Une femme réussit sa vie de femme, un homme réussit sa vie.
Les femmes sont éduquées à être douces, sensibles, maternelles et à s'occuper des autres. Ces qualités ne sont pas valorisées bien au contraire mais elles restent indissociables de ce que doit être et faire une femme.
Pire on part du principe que le futur rôle essentiel d'une femme - être mère - ne s'apprend pas. Il serait inné, viendrait des gènes ou des hormones, de l'instinct ou des tripes mais il ne nécessiterait aucune compétence, aucun savoir-faire, aucune acquisition de compétence. Il faut être une bonne mère, une bonne éleveuse d'enfant, une bonne éducatrice mais cela ne nécessite aucun apprentissage. On l'a en soi. C'est un fonctionnement assez pervers ; cela permet de ne jamais complimenter les femmes qui élèvent des enfants et y arrivent (si tant est que ce mot veut dire quelque chose) et d'humilier celles qui ont des difficultés en remettant en cause non seulement leur faculté à élever des enfants mais leur être tout entier ; faut-il être une femme ratée pour ne pas savoir s'occuper des enfants ! Beaucoup de femmes à la naissance de leurs enfants se sentent démunies, mais elles n'ont pas le sentiment que c'est là quelque chose de tout à fait normal, comme on serait tous et toutes perdu devant une toute nouvelle tâche à accomplir. Elles se remettent en cause puis collectent des informations, se forment, apprennent par des livres, internet ou d'autres femmes. Mais elles n'ont souvent pas l'impression d'être en train d'apprendre et d'acquérir une nouvelle compétence comme on apprendrait une langue étrangère, non elles rattrapent un manque, quelque chose qui leur a fait défaut, ce fameux don qui ne leur a pas été donné ; l'instinct maternel.
Cette naturalité des femmes qui leur fait posséder des savoirs par instinct et non par formation ou par apprentissage est encore davantage perçue chez les femmes racisées qui sont, elles, non plus "seulement" naturalisées, mais surtout animalisées. Les femmes racisées - et en particulier les femmes noires - seraient dotées de cet instinct leur permettant d'éduquer et d'aimer n'importe quel enfant. Ce stéréotype de la mammy - sorte de mère éternelle - a été popularisé lors des périodes esclavagistes afin de justifier la mise en esclavage des femmes noires pour que certaines d'entre elles s'occupent des enfants blancs des esclavagistes. Les réflexions justifiant l'esclavage tendent toujours à trouver des raisons logiques à la mise en esclavage ; elles montrent les noir-es proches des animaux qui sont, dans l'idée populaire de bonnes mères. Les femmes noires seraient donc comme les femelles animaux de bonnes mères à qui on peut confier n'importe quel enfant, elles adoreront s'en occuper - fut-ce gratuitement et sous la contrainte. Cette idée perdure encore aujourd'hui ; il suffit d'étudier - aux Etats-Unis puisqu'en France cela est impossible - la représentation ethnique chez les nourrices pour voir combien ces représentations persistent. Cette croyance raciste et sexiste permet de considérer qu' il n'est nul besoin de considérer que vous avez une formation qualifiante et de vous payer en conséquence puisque vous ne faites qu'après tout exploiter des dons naturels.
"Enfin, l'intuition (si spécifiquement «féminine») classe les femmes comme l'expression des mouvements d'une pure matière. D'après cette notion les femmes savent ce qu'elles savent sans raisons. Les femmes n'ont pas à comprendre, puisqu'elles savent. Et ce qu'elles savent elles y parviennent sans comprendre et sans mettre en oeuvre la raison : ce savoir est chez elles une propriété directe de la matière dont elles sont faites." Colette Guillaumin, Pratique du pouvoir et idée de Nature (2) Le discours de la Nature
Les femmes sont encore en immense partie en charge de l'élevage des enfants - et souvent de leur éducation ; cette tâche ô combien compliquée et prenante n'est jamais valorisée et toujours naturalisée c'est à dire que les femmes n'ont aucun mérite à l'accomplir puisqu'elles savent naturellement le faire. Un homme en revanche accomplit quelque prodige en le faisant puisqu'il n'a pas ce petit supplément hormonal lui permettant de le faire ; lui a du apprendre, lui a du sacrifier de précieuses heures à se former. A partir de là, les choses sont simples ; le temps consacré à l'élevage des enfants ne compte pas, après tout les femmes aiment la chair de leur chair et doivent s'en occuper, les longues heures passées à comprendre pourquoi il pleure/pourquoi il ne dort pas/pourquoi il ne mange pas ne comptent pas, après tout leur instinct maternel va leur donner la bonne réponse et si elles ne l'ont pas c'est que quelque chose chez elle ne va pas.
"Par ailleurs, devenir mère est un élément déterminant de statut social, de respect par son entourage, pour une femme ; mais cet avantage est mitigé par le soupçon qui pèse sans cesse sur elle qu’elle ne mérite pas son statut, qu’elle n’est pas une assez bonne mère. Une pression constante venant tant de l’entourage proche et lointain, des services sociaux, que de l’Etat, s’exerce sur les femmes à cet égard. Elles n’ont en conséquence pas vraiment de moyens de faire à leur tour pression sur leur conjoint pour qu’il accomplisse sa part, car cela est interprété comme le souhait de se “ désengager ” des soins à l’enfant, et la preuve qu’elles ne sont pas de bonnes mères." Christine Delphy, Les causes de l'inertie.
Les choses ne changent guère en ce qui concernent les tâches ménagères qui, de façon écrasante sont encore faites par les femmes. Il est entendu par tous et toutes qu'il ne faut pas mettre en œuvre beaucoup d'intelligence ou de qualités pour les accomplir. Cela vient tout seul, c'est logique. En y réfléchissant un peu, on se rend bien compte qu'il faut bien savoir quel linge utiliser pour faire les vitres, quel mouvement opérer, quelle force avoir. Il faut connaitre la matière du tissu que l'on doit repasser, choisir la bonne température pour le fer et faire le bon mouvement afin de ne pas créer de faux plis. Les expertes savent les tissus les plus compliqués, les sols les plus difficiles. Mais là encore on juge toutes ces tâches bien inintéressantes, non qualifiantes et non intéressantes (et réservées aux femmes racisées lorsqu'on paie chichement quelqu'un pour les faire).
Le bricolage - tâche traditionnellement masculine (même si les choses sont en train de changer, les femmes s'occupent désormais aussi du bricolage quelle chance ont-elles décidément) - est censée nécessiter un lourd apprentissage, une technicité importante et des outils onéreux. Même si l'on peut s'accorder pour dire que planter un clou ne requiert pas plus de technicité que laver une assiette, ces deux tâches ne sont pas vues comme d'un même niveau de compétence. Là où les appareils ménagers facilitent le travail des femmes, les outils sont indispensables au travail de l'homme qui a besoin d'outils complexes et chers pour les réaliser. Là encore une tâche traditionnellement réservée aux femmes, le ménage, se révèle être considérée comme sale, évidente, inintéressante et sans attrait aucun.
Les femmes ont enfin le devoir d'être belles ou au moins d'essayer.
Que n'entendrait-elle celle qui ne fait "même pas" l'effort d'ailleurs ? Dés leur naissances, les femmes subissent donc un flot d'injonctions comme l'ont montré, entre autres, Faludi, Chollet et Wolf.
Il faut être belle ou essayer de l'être ; peu importe que cela coûte du temps, de l'argent et de la mésestime de soi. Les femmes subissent à longueur de journée des injonctions les poussant à être belles ; la beauté en général représentée par une très jeune femme mince, blonde et blanche, objectif inatteignable par beaucoup d'entre elles.
Les femmes sont donc enjointes à s "s'occuper d'elles", merveilleuse expression leur donnant l'impression qu'elles se consacrent du temps, qu'elles prennent du temps pour elles.
Cette injonction capitale qui marque la vie de toutes les femmes n'est pour autant pas valorisée ; on ne va pas complimenter la femme qui a passé deux heures à se coiffer et se maquiller. Bien au contraire, les femmes sont censées taire les efforts qu'elles font et faire comme si les cils leur venaient naturellement longs, la bouche naturellement rouge et les jambes naturellement glabres. Le summum étant atteint avec l'expression "nude" ; vous pensiez bêtement que le nude était le fait de ne pas se maquiller ? Le nude consiste à se maquiller et à ne pas avoir l'air maquillé. Voici ce qu'en dit le magazine Cosmopolitan : "Contrairement à ce que l'on pourrait penser, afficher un joli maquillage naturel nécessite un bon coup de main. Ou plutôt de pinceaux. Alors si vous êtes une adepte du make-up naturel et que vous voulez être belle sans être trop maquillée : Cosmo vous propose ses astuces pour un maquillage nude et discret, parfaitement maitrisé. C'est parti pour un coaching afin de réaliser un maquillage naturel pour révéler toute votre beauté." Imaginez-vous fournir un travail quelconque, peu importe lequel, qui vous a coûté du temps, de l'argent, pour lequel vous avez du vous former de longues heures et dont personne ne verra le résultat, chacun pensant que vous n'avez pas travaillé. C'est le principe du maquillage nude. Le dicton "sois belle et tais toi" prend alors une autre signification "tais toi de te faire belle".
Cette injonction à laquelle les femmes peuvent difficilement échapper est aussi décrite comme futile, ridicule, réservée aux femmes bêtes, aux bimbos, aux connes.
Les efforts qu'on nous demande de faire pour être belles là aussi sont copieusement moqués et décriés. Les blogueuses beauté ou mode sont depuis bientôt dix ans la risée de ce microcosme qu'on appelle la blogosphère. Là où on pourrait admirer la technicité de certaines qui savent transformer un visage, comprendre les ombres et travailler des matières, on préfère les juger comme futiles et bêtes.
Là encore une tâche que doivent accomplir les femmes est vue comme bêtifiante, non qualifiante, futile et inintéressante ; pour autant les femmes sont sommées de s'y intéresser.
Les trois principales tâches auxquelles les femmes sont censées s'adonner sont toutes unanimement décriées et déqualifiées. Elles ne permettent pas de réussir dans la vie, ni de gagner de l'argent (on constate que toutes ces tâches ne sont pas rétribuées), ni d'avoir la considération de ses pairs. Dans ce contexte-là, comment une femme pourrait-elle ne pas être misogyne ? Les hommes pensent toujours faire découvrir l'eau chaude aux féministes lorsqu'ils expliquent l'air grave que les femmes sont aussi misogynes. On apprend aux hommes et aux femmes depuis leur naissance qu'une femme vaut moins qu'un homme, que ses loisirs sont moins intéressants, ses aspirations moins passionnantes et toujours plus futiles et les femmes, avec tout cela, sont misogynes ? Mais c'est une vraie surprise ! Les loisirs dit féminins seront toujours eux aussi vus comme une extension des travaux ménagers et on regardera avec une sorte de commisération semi amusée, les brodeuses, les tricoteuses ou les crocheteuses. Le travail réservé aux femmes ne vaut rien et puis de toutes façons il n'a aucune valeur pécuniaire dans la sphère domestique et guère plus dans le monde du travail et l'on attend bien des femmes qu'elles fassent ces tâches-là tout en leur expliquant que ce sont des tâches inintéressantes ; au vu du nombre d'heures consacrées au ménage ou à l'élevage des enfants, c'est qu'il faudra bien finir par considérer que les femmes sont détestées pour qu'on leur confie sans aucune espèce de culpabilité des tâches que tout le monde s'accorde à trouver nulles.
Ce qui est étonnant c'est que les femmes ne se haïssent pas davantage dans ce monde-là et tentent au contraire de se réapproprier certaines des tâches décrites.
Ne nous y trompons pas. La misogynie intégrée ne sera jamais ce qu'est la misogynie masculine. Lorsqu'une femme fait preuve de misogynie, elle fait mal au groupe des femmes auquel elle appartient. Traiter par exemple une autre femme de pute est un comportement qu'on doit évidemment amender mais il peut s'entendre dans un contexte où traiter les autres femmes de pute est avant tout une stratégie pour éviter d'en être traitée soi même. Moquer les loisirs féminins d'autres femmes est aussi une stratégie pour montrer qu'on n'est pas "comme ca" et espérer gagner un peu de tranquillité de la part des hommes. Un homme qui est misogyne ne se fait aucun mal, pas plus qu'au groupe auquel il appartient. Il insulte, humilie et détruit la confiance en elles et la sécurité des femmes au bénéfice de son propre groupe.
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