Je relisais l’autobiographie de Sylvia Kristel, la mythique interprète d’
Emmanuelle, associée pour l’éternité à sa pose dans le fauteuil en rotin que l’on sait : son regard frondeur, ses petits seins pâles et sa peau merveilleusement nacrée, son sautoir de perles et ce fameux pan de jupon blanc retroussé, couvrant opportunément son sexe que ses cuisses écartées semblaient pourtant promettre… Stupéfiant comme une même image peut dégager tout à la fois un érotisme torride, et une sensation simultanée d’innocente pureté, d’angélisme. L’autobiographie de l’actrice (
Nue, Sylvia Kristel,
parue en France aux éditions Le Cherche Midi) nous rappelle que derrière l’icône était une femme, elle-même en quête de sa propre sexualité, de son propre érotisme et cherchant à être aimée des hommes, une femme « normale » qui comme nous toutes a brûlé sa vie dans des rencontres qui le lui ont plus ou moins bien rendu, oscillant entre liberté sexuelle à outrance et désir de stabilité. Autobiographie très touchante, donc, et souvent troublante, de celle que la presse mondiale a confondu avec son personnage lorsqu’elle fût surnommée «
statue vivante de la liberté sexuelle », ou encore «
icône érotique absolue du XXe siècle ». Car dans sa vie à elle, sa vie de femme derrière ses rôles d’actrice, cette liberté des sens n’était pas si évidente ni assumée - comme du reste ça ne l’est jamais pour aucune femme qui se prétend ou que l’on catalogue « libre ».
Une confidence en particulier dans le récit de sa vie m’a totalement sidérée, et éclaire particulièrement cette difficulté des femmes à assumer leurs propres désirs, tant elles ont plutôt tendance à se soumettre à ceux des hommes. Et oui, se soumettre docilement aux désirs des hommes, et – sans me revendiquer, loin de là, féministe - je crois que ce délicat sujet est toujours d’actualité…
Sylvia Kristel nous replonge dans l’atmosphère pudibonde qui régnait quand elle a accepté le rôle qui l’a rendue, quasiment du jour au lendemain, mondialement adulée et désirée des hommes. Car si les producteurs sont allés, en désespoir de cause, étendre leur casting jusqu’en Europe (elle est hollandaise), c’est après de longs mois de recherches totalement infructueuses en France. Aucune actrice, ni connue ni même la dernière des inconnues, ne voulait associer son image à celle du livre d’Emmanuelle Arsan. Car : «
le livre, c’est Emmanuelle. Tout y est explicite. Le corps, la pénétration, les organes du plaisir, leur mouvement. Si aucune actrice ne veut du rôle en France, c’est que toutes évoquent la pornographie. Elle existe déjà, dans un circuit de salles spécialisées, sombres, qui sentent le renfermé et le sperme frais. » « Mieux vaut ne pas tourner, évidemment, que d’incarner cette héroïne dépravée qui salirait à jamais la carrière, la réputation, la respectabilité de celle qui lui prêterait ses traits. »
Et le parcours personnel de Sylvia Kristel est étrangement symétrique à celui d’Emmanuelle. Au début du roman, Emmanuelle est une jeune femme ignorante des ressorts du plaisir (tout juste mariée et déflorée par un diplomate, et on se souvient de cette réplique à son mari plus âgé : « tu dois m’apprendre le plaisir, me déniaiser »), attendant de son voyage à Bangkok qu’il tourne définitivement la page de son innocence… Voyage en avion à valeur initiatique, puisqu’elle y cédera pour la 1
e fois aux avance d’un autre homme que son mari, pour en venir à devenir rapidement une amante libre et affranchie de tous carcans, allant au devant de tous ses désirs (les hommes, les femmes, les français, les thaïlandais, les diplomates fortunés et les domestiques sans-le-sou, plusieurs hommes, plusieurs femmes, avec son mari, sans son mari…).
C’est bien le parcours initiatique de Krystel, qui se rend au casting sans avoir jamais « osé » lire le fameux livre défendu par la morale, et qui débute le tournage du film en ignorant encore tout du plaisir – plus précisément, de l’orgasme. C’est ainsi qu’elle écrit par exemple dans sa bio, à propos de la première scène qu’elle doit tourner : «
Gémir, caresser, lécher, simuler le plaisir que je cherche encore. Un inconnu me porte jusqu’aux toilettes d’un avion puis me prend immédiatement, me secoue sur le lavabo. Il agrippe mes cuisses ouvertes, ma tête bascule, je suis soumise, offerte. Je gémis, il jouit. » Ou encore : «
Aujourd’hui, je dois me masturber. Hier j’ai assisté à une scène où deux femmes se masturbaient. Le plan était très serré, sur la main et le sexe. Ce sont des femmes de la région, des danseuses de club, des professionnelles du sexe. [J’ai observé.] Aujourd’hui, c’est à moi. Je dois me masturber. » [… alors qu’elle ne se masturbe pas elle-même, n’a pas cette habitude et a la trouille de passer auprès de l’équipe du tournage pour une pauvre gourde…]. De cette innocence sur le tournage d’
Emmanuelle, Sylvia Kristel se défera bien vite, et dès les tournages suivants : «
Les tournages deviennent mes lieux de petite débauche. […] Sur les tournages où je tourne en rond, je bois et j’oublie, je ris. J’entame une nouvelle danse, un rite, la ronde des amants : un premier assistant, un producteur, une star… ». L’actrice écrit aussi à son sujet cette phrase que n’aurait pas reniée Emmanuelle, l’héroïne du livre : «
J’éprouve une excitation certaine à vivre le désir simplement, à transgresser les règles de la bonne conduite, à jouer. »
Bon… Donc en termes de femme libre, émancipée, subversive, Sylvia Kristel assume (même si, évidemment, elle accompagne ses descriptions des doutes qui l’ont souvent assaillie - cette impression parfois de détruire voire de « brader » son corps, des déceptions plus ou moins amères liées aux relations très légères, l’addiction à l’alcool… Incontestablement, l’autobiographie est celle d’une femme libre, peu embarrassée par le « qu’en dira-t-on ».
Et pourtant, une anecdote m’a littéralement ahurie. Je n’en croyais pas mes yeux… avant de réaliser que si, bien sur, je comprends parfaitement… Sylvia Kristel raconte en effet sa relation avec un homme dont elle est amoureuse, avec qui elle s’installe : Freddy. Et émet ce commentaire sur leurs pratiques sexuelles :
«
Je suis blessée quand il veut que je séduise, pour nous, une autre femme. Je retrouve mon rôle d’appât sans rien dire. Cette contrepartie est infime au regard du bien que Freddy me prodigue.
Nous avons vécu treize années dans cet équilibre. » Quel équilibre ?!! Exaucer ses désirs à lui « sans rien dire » alors qu’elle ne les partage pas, jouer les « appâts » pour faire venir une autre femme dans leur lit, en échange d’un foyer stable dont elle avait tant envie ? …. Et on peut « tenir » treize années en faisant ainsi semblant sur son plaisir ?
Ou encore :
« Il invente des jeux érotiques qui me refroidissent davantage. Je ne dis rien, je ne veux pas le blesser. »Il y a deux choses dans cette confidence si surprenante, de la part d’une femme si libre :
- D’une part, cette éternel fantasme masculin de se retrouver au lit avec deux femmes… Freddy veut qu’elle séduise « pour nous, une autre femme », écrit-elle… Pour « nous », vraiment ? En tout cas, dès lors qu’une femme se présente ou est reconnue comme « libérée », les hommes attendent d’elle qu’elle soit bisexuelle (ce dont, modestement, je peux largement témoigner). Ca « doit » faire partie du personnage. Sylvia Kristel n’ose pas, a l’impression qu’elle ne « peut pas » dire non (enfin, j'imagine ça sans peine).
- D’autre part, cette surprenante passivité des femmes amoureuses face à des désirs qu’elles ne partagent pas. Pourquoi Silvia Krystel, alors qu’elle est blessée, se tait et « joue l’appât sans rien dire », selon ses propres termes ? Elle qui a été capable de jouer Emmanuelle quand personne n’en voulait, de se masturber et de se faire prendre maintes et maintes fois devant la caméra, de se taper la moitié de la prod’ sur nombre de ses tournages, etc etc, voilà que face à un homme qu’elle aime, elle perd soudain la faculté à assumer ses propres désirs, et se plie aux siens sans rien dire… Mais de son plein gré : pour elle, ce n’est qu’une « contrepartie » et elle « ne veut pas le blesser ». Eh oui… Notre liberté a ses limites, face au désir des hommes qui nous sont chers…
Bref, de quoi est capable une femme amoureuse, une femme raide dingue d’un mec ? De prendre sur elle les fantasmes de son amant, alors qu’elle ne les partage pas ? De jouer la comédie du plaisir partagé avec un naturel déconcertant ? Au point que l’homme en question n’en soupçonne rien, et pense le plaisir parfaitement réciproque ? Evidemment ! Ca s’étend certainement d’épouses qui passent leur vie à simuler l’orgasme auprès de leurs maris (orgasme qu’elles ne connaissent que par la masturbation – on peut lire sur le net des centaines de témoignages de femmes dans cette situation), à celles qui prennent sur elles pour faire semblant avec « bon cœur » dans des expériences libertines…
Et clairement, l’amoureuse au cœur brûlant que je suis a déjà pu se trouver dans cette situation…
C’est donc là un état de fait. Mais jusqu’où faut-il pousser ce constat ? Faut-il lui donner une réalité propre à alimenter les thèses féministes d’un écart « culturel » entre l’affirmation du désir des hommes et celui des femmes ? Quand on voit que sur les sites libertins, 97% des femmes s’affichent bisexuelles (ou « bi curieuse », cette fameuse expression propre au libertinage qui signifie, je crois : «
je ne suis pas spécialement bisexuelle, mais OK pour des jeux féminins en présence d’hommes, ça les excite tellement »), contre 0,01% des hommes, que faut-il en conclure ? (ce sont mes estimations approximatives, qui donnent un ordre de grandeur ;-)).
C’est bizarre, non, pourquoi la bisexualité ne toucherait-elle, et aussi massivement, que les femmes ? Faut-il voir dans cette énorme discordance entre les sexes une tendance absolument généralisée des femmes à « intégrer » et « faire leur » le désir des hommes, à prendre sur elles ce qu’ils attendent d’elles sexuellement (notamment la bisexualité), au mépris de la propre réalité de leur désir ?
Sérieusement, les femmes sont elles si massivement bisexuelles, ou une large part d’entre elles le prétendent-elles simplement pour séduire / exciter leurs mecs (appelons ça « contrepartie », comme Sylvia Kristel), en jurant leurs grands dieux que c’est bien leur propre désir ? Bref, intègrent-elles spontanément la demande masculine, sans en ressentir pourtant de plaisir, mais leur désir d’être aimée n’est-il pas supérieur à ces quelques « concessions » sexuelles ? Or pour être aimée, il faut être une bonne amante, de nos jours, voire une amante extraordinaire, celle qui va exaucer leur fantasme de bisexualité féminine…
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Il y a plusieurs semaines (ça devait être en mai dernier), alors que je me trouvais dans une soirée à consonances libertines –
très belle soirée : lieu hors du commun (loué pour la nuit), les hommes en costumes chics, les femmes en robes élégantes et escarpins fins, la lueur des bougies créant une délicieuse langueur entre nous tous – je me suis retrouvée à discuter avec une femme de ce sujet, échange très surprenant que je vais m’efforcer de retranscrire fidèlement.
Il devait être plus d’une heure du matin, je fatiguais un peu, j’avoue, à cause d’escarpins aiguilles vraiment trop hauts : je cherchais à m’asseoir un instant quand j’ai vu cette jeune femme seule, l’air fatiguée mais souriante, assise dans un grand canapé - ce genre de sofas-traitres qui sont des fondrières de velours, ceux dans lesquelles on s’enfonce sans recours, qu’on ne veut plus quitter… J’ai posé ma coupe sur la table devant ce grand canapé - table sur laquelle étaient disposées des douceurs et un ouvrage illustré sur le « 18ème siècle libertin », je m’en rappelle bien - et je lui ai demandé si je pouvais, là, m’asseoir auprès d’elle ? C’est ainsi que la discussion s’est engagée.
Elle a plaisanté sur le fait que son compagnon allait probablement débarquer pour venir me draguer, à nous voir ainsi toutes deux, tant il avait envie d’un « trio » avec une autre fille. J’ai répondu que le mien (S.) débarquerait probablement le premier, tant il partage ce même fantasme… Et rapidement, la jeune femme en est venue à se confier à moi, à peu près en ces termes : «
Moi, embrasser des seins, lécher ou doigter une chatte, c’est vrai que ce n’est pas un truc qui me fait fantasmer. Ni sentir une autre bouche féminine à quelques centimètres de la mienne, tandis que je le suce : savoir qu’on est deux femmes à se partager sa queue, c’est pas mon kif. J’aime les hommes, mais je ne suis pas très à l’aise avec le corps des femmes. Mais lui cherche sans cesse à me mettre en scène avec une autre femme, c’est vraiment son grand fantasme et il n’en démord pas ! J’accepte, ou plutôt ça l’excite tellement que je ne refuse pas. Ce soir, j’ai croisé deux filles avec qui j’ai déjà couché, enfin je veux dire on a baisé ensemble devant mon mec, et ça m’a fait tout drôle. Quand je dis à mon compagnon que sans lui, jamais je ne coucherai seule à seule avec une femme, il ne tilte pas sur le fait que ça ne me plait pas tant que ça, de baiser avec une autre femme. Et si je lui dis que moi, j’adorerais deux hommes juste pour moi seule, alors là, il répond d’emblée un « non » absolument catégorique, c’est impensable pour lui ! ». C’est très exactement le paradoxe de Sylvia Kristel : ici aussi, cette jeune femme était particulièrement libre, au point de souhaiter une sexualité libertine avec son compagnon et de fréquenter régulièrement les soirées
ad hoc, mais se retrouvait incapable d’être affirmative sur ses envies (ou pas) face à son amoureux. Elle fait régulièrement un truc qui ne l’excite pas tant que ça…
En tout cas, sa remarque résonnait drôlement en moi : comment ne pas penser à mon cher amant B., qui m’a inondée de demandes pour que je « lui offre un trio » : «
tu n’as qu’à proposer à une de tes copines », me disait-il… Pendant un temps, pas un seul de ses mails ne manquait d’allusions à ce scénario : lui et moi, comme nous avions l’habitude de nous retrouver, et en prime «
fais venir une de tes copines, que je baiserai sous tes yeux ». Je n’ai évidemment rien contre ce fantasme, mais B. était si insistant qu’il était parvenu à attiser ma méfiance : n’était-il avec moi « que pour ça ? ». Pour que je lui fournisse des « copines à baiser sous [ses] yeux » ? A force d’insister (c’était vraiment vraiment sans cesse), il a d’ailleurs fini par me braquer : j’en suis venue à lui dire que si seul cela l’intéressait, nous pouvions nous séparer. Puis ses demandes de « trio FFH » ont rapidement repris. «
Trouve une copine, trouve une copine, offre-moi ça, j’en rêve… » Inutile de dire que le-dit trio n’a jamais eu lieu, dans ces conditions de « forcing »… Et l’argument est venu sur la table : «
Mais enfin, je te croyais libertine, en fait tu ne l’es pas tant que ça ! ». Ah…
J’explique donc cela à ma voisine de canapé, cette soirée-là, je lui parle de ma relation avec B, je lui explique que «
parce que j’étais très amoureuse de cet amant » (à l’époque de cette soirée la phrase était au présent, mais peu importe), je ne lui ai pas dit «
vas donc te faire foutre espèce de malotru avec tes fantasmes que tu cherches à m’imposer en me les martelant dix fois par jour, comme si j’étais stupide ». Et à vrai dire, je pense que si les circonstances s’étaient présentées (par exemple, si j’avais été avec B. à une soirée), je l’aurais fait, « pour l’exciter ». Parce que pour plein d’autres raisons, j’étais très très très amoureuse de lui… et que ma relation avec lui m’apportait mille belles émotions et sensations, que je ne voulais pas risquer de perdre. Une « infime contrepartie » aurait bien été le mot, oui.
‘’ Dans le libertinage aussi les hommes continuent à dominer la sexualité des femmes, comme ils l’ont toujours si bien fait depuis des siècles. Et là, ma complice de canapé se lance dans une analyse érotico-sociologique des rapports hommes-femmes, à plus d’1h du matin, en pleine soirée libertine… Elle me tient à peu près ce discours : «
les hommes ont toujours dominé la sexualité des femmes, même si les formes de leur domination ont évolué. Pendant une époque, les femmes devaient ne rien faire pour être dans la norme. Les hommes humiliaient et répudiaient les épouses adultères, quand eux pouvaient par contre tout se permettre, et ne s’en privaient pas, ils avaient même des « maisons » pour ça. Avant ils imposaient de ne rien faire, maintenant, ils imposent mille normes, mais bien sur c’est plus subtil…
Dans le libertinage aussi les hommes continuent à dominer la sexualité des femmes, comme ils l’ont toujours si bien fait depuis des siècles. Ils imposent des comportements que nous intégrons, souvent de bon cœur, parce que ça fait des siècles et des siècles qu’on nous apprend que l’important, c’est d’être aimée d’un homme. On anticipe et exauce les désirs des hommes, pour se « fondre dans le moule » dont on a bien compris que c’est celui qui va leur plaire… Vous savez, le vieil adage qui dit «
pour être aimées, les femmes sont prêtes à tout, même à coucher ; et pour coucher, les hommes sont prêts à tout, même à aimer » ? Pas si faux au fond. Pour êtres aimées des hommes, beaucoup de femmes seraient prêtes à jurer que la bisexualité, c’est vraiment leur truc. Et quand les hommes, en revanche, nous disent qu’un « trio HHF » c’est totalement exclu parce qu’eux ne sont pas partageurs pour un sou, on se tait et on envoie nos envies aux oubliettes, on n’en reparle plus jamais. C’est culturel, c’est le fruit de l’histoire : les hommes sont
affirmatifs dans leurs fantasmes et les femmes ont deux choix : fermer les yeux et signifier implicitement qu’il doit aller les vivre ailleurs, dans leur dos, ou alors les intégrer. Les petites minettes de 16 ans qui s’affament pour faire du 34 et qui mettent des petits shorts ras la… et se font sodomiser la première nuit, ce n’est pas si différent au fond : elles intègrent ce qu’elles pensent être le désir des hommes, pour se faire aimer. Ca fait des siècles et des siècles qu’on apprend aux femmes qu’elles doivent « plaire aux hommes », et pour cela « faire ce qu’il faut », et c’est bien c’est ce qu’on fait ! Quitte à faire un peu semblant s’il le faut. Depuis des siècles on y trouve notre compte. Moi je pense que statistiquement, il ne doit pas y avoir plus de 10% des femmes qui aiment les contacts féminins. Et pourtant ce soir, toutes les femmes s’embrassent sur la bouche, et les hommes entre eux, absolument aucun. »
Mince, j’étais en pleine discussion avec une libertine féministe acharnée, j’étais mal tombée, moi qui ais tant de mal avec ces thèses qui « marxisent » les rapports hommes / femmes à la façon des patrons / ouvriers : une caste de dominants, une armée de dominé(e)s… Ces derniers n’osant pas s’affirmer par « habitude culturelle, ancrée par des siècles de soumission indue, et cette impression dérisoire de trouver son compte dans la situation » (l’ouvrier ne s’affirme pas car « il a besoin de son salaire, comment ferait-il sans ? », la femme car « sinon il me quitterait, et j’ai besoin de lui dans ma vie, je l’aime »).
Et pourtant, Sylvia Kristel faisait semblant avec son mec et se la fermait, elle pareil avec le sien, moi j’ai vraiment été à deux doigts d’exaucer la demande incessante de B., et je l’aurais évidemment fait avec plaisir s’il avait été moins bourrin dans ses demandes… Et tout cela nous semble, à toutes les trois, parfaitement normal…
Et bien sur, ça s’applique forcément aux 97% des femmes sur les sites libertins qui se disent « bisexuelles » : une énorme majorité doit forcément jouer le jeu « juste » pour exciter les hommes, sans y prendre un plaisir réel… Mais je tente de lui fournir des contre-exemples – par exemple des hommes croisés deci-delà dans des endroits libertins, l’air complètement piteux, expliquant que «
Madame choisit, moi je ne fais que la regarder prendre du plaisir avec d’autres, c’est elle qui m’a entraîné là »… mais j’admets moi-même en le disant qu’on rencontre ce genre d’hommes une fois tous les 36 du mois, alors que des femmes qui « doivent » jouer la bisexualité, hyper fréquemment… Du coup, je change d’argument : je lui réponds que le sexe, de toute façon, par nature, contient aussi un certain nombre de pratiques qui ne sont accomplies que pour procurer du plaisir à l’autre, et que je ne vois pas en quoi c’est choquant… Au contraire, c’est ce qui est beau, je lui ai dit, il y a une part d’altruisme, quand on désire l’autre on désire aussi ses désirs, ses fantasmes deviennent les nôtres et plus largement son plaisir, donc on cherche à lui procurer… Exciter l’homme que j’aime avec une autre femme, ce n’est pas un fantasme qu’on « m’impose », puisque l’exciter lui me procure du plaisir à moi… Et puis de même, est-ce que les hommes, par exemple, prennent tant de plaisir que ça dans le cunnilingus ? Et pourtant les femmes sont bien contentes qu’ils le pratiquent !
Ma voisine assume ses idées en rebondissant sur mon exemple : elle m’explique que des femmes qui n’aiment pas la pipe, ça n’existe absolument pas ! « Impensable de nos jours ! Alors que des hommes qui ne pratiquent pas le cunni, il y en a encore à la pelle ! Moi sur les six derniers hommes que j’ai fréquentés, et je ne parle pas des coups d’un soir, je parle bien des histoires sérieuses qui ont duré, des hommes amoureux de moi qui vraiment m’ont dit et répété m’aimer au point de faire des projets d’avenir, seuls deux m’ont offert ça ! Les quatre autres m’ont dit non, « ça n’est pas mon truc le cunni, désolé, c’est ma limite », et justement, je n’ai jamais insisté et je m’en suis parfaitement passée… alors que moi, j’ai sucé les six, et si j’avais dit à un seul d’entre eux « désolée, je ne suce pas, la pipe c’est ma limite », je suis prête à parier que ça aurait posé un grave problème, l’histoire n’aurait certainement pas duré ! Culturellement et statistiquement, ne donner du plaisir qu’à l’autre, c’est tellement plus répandu quand l’autre, c’est l’homme ! Et dans les clubs, et dans les soirées libertines, est-ce qu’on ne voit pas des pipes partout, alors que les cunnis dans ces lieux sont d’une rareté absolue ? ».
Ah oui, effectivement, dit comme ça, elle avait encore certainement raison (je ne suis pas une pro des stats sur la pipe et le cunni, j’avoue que je ne sais pas trop si tant d’hommes le pratique ou le refuse, donc je ne pouvais que lui faire confiance sur ce sujet, avec son ratio de deux sur six de ses amants amoureux…).
Elle me dit que « c’est comme la sodomie, comment expliquer que tant de femmes disent adorer ça, alors que c’est – comme par hasard – un truc que les hommes adorent pratiquer : il n’est qu’à voir les porno actuels, ajoute-t-elle : je vous mets au défi de trouver un film porno qui ne contienne pas sa scène de sodo, c’est devenu un passage obligé. Alors que les hommes, eux, c’est bizarre, dans leur très écrasante majorité, hurlent lorsque leur compagne ose leur proposer ne serait-ce qu’un tout petit doigt, pendant qu’elles les sucent, sous prétexte que « ça fait mal » ou « ce n’est pas agréable ». Bizarre, un même acte procure du plaisir à plein de femmes, mais « n’est pas agréable » pour les hommes hétéros ? C'est que plein de femmes doivent faire semblant, non ? Vous ne croyez pas ? »
Je lui réponds que les hommes sont des gros cons, c’est connu, parce que la sodomie, c’est juste génial, tant pis pour eux si eux ne veulent rien savoir de ce plaisir-là ! Mais plus sérieusement, j’en reviens au candaulisme : un homme qui va accepter qu’un autre vienne pour baiser sa compagne sous ses yeux. Cela semble assez répandu, la preuve : tous les sites libertins vivent sur ça, puisqu’on y trouve à grosses maille une moitié d’hommes seuls, une moitié (à quelque chose près) de couples, les premiers ayant donc l’espoir qu’un couple les sollicite pour venir baiser Madame… Là, je lui dis, dans le candaulisme, ça doit bien être la femme qui réclame, non, puisque c’est elle qui prend du plaisir ?
Elle me répond que le candaulisme obéit à des ressorts psychologiques bien plus compliqués que ça, dans de nombreux couples les hommes ont besoin de voir leur femme se faire baiser par un autre pour la rendre « un peu salope » à leurs yeux, parvenir à voir en elle non plus seulement leur compagne parfaite et la mère de leurs enfants, mais aussi une amante qui se donne au premier venu, pour mieux la (re)désirer comme une femme sexuelle, sexuée, avec des désirs et du plaisir, voire un peu salope et ainsi la faire descendre symboliquement de son piédestal d’épouse et/ou de mère, pour mieux lui refaire l’amour un peu sauvagement (humm…) après.
Oh, cette discussion impromptue avec une libertine-féministe-acharnée a fini par m’agacer. J’ai aimé B., je lui ai dit, l’amant dont je vous ai parlé (là aussi, c'était au présent quand j'en parlais à cette soirée, peu importe). Il n’a été mon amant que parce que je l’ai voulu, désiré, que j’étais amoureuse, très amoureuse de lui, et qu’il m’a procuré un plaisir dingue (pas seulement sexuel, mais notamment sexuel, surtout vers la fin, vu qu’à chaque fois qu’on baisait, c’était vraiment de mieux en mieux). Qu’il m’ait aussi, au cours de cette relation, gonflée en en faisant cinquante mille fois trop sur son fantasme de « trio » d’une façon terriblement maladroite, et que j’ai été amenée à différentes reprises à lui écrire « quitte moi s’il n’y a que ça qui t’intéresse », ce n’est pas si grave au regard de l’ensemble. Dans la balance de ce que cette relation m’a apporté / énervée, ça ne pèse pas trop lourd. J’ai aimé B. et j’ai aimé la liberté de parole sur nos désirs qui a régné dans cette liaison. Il avait un fantasme vraiment lancinant, et super « cliché », l’éternel trio FFH, certes, et alors ? Je ne crois pas être une victime des siècles de domination masculine pour autant… parce que rien ne m’a empêchée, moi, d’être tout aussi affirmative sur mes fantasmes que lui. Et n’exagérons rien, les femmes sont libres de dire « non »… je ne suis pas si sure que les hommes se barrent pour autant…
Un peu plus tard dans la soirée (au petit matin, donc…) je me suis jetée sur une nana qui m’avait fait un clin d’œil, et je l’ai embrassée à pleine bouche. Je n’avais pas spécialement envie d’elle, mais mon mec était dans la pièce, j’avais envie de le rendre dingue. Et ça a merveilleusement bien fonctionné.
Nota : plein de femmes sont aussi réellement bisexuelles (même si je pense qu'elles ne représentent pas la majorité), et ne font pas semblant pour exciter les hommes, mais cèdent à un désir intime et personnel. Je ne dis pas le contraire une seule seconde ! Je pense à ces quelques phrases d’Anaïs Nin, et je les comprends :