A quoi ressemble l’intérieur du vagin ? L’artiste Stephen Marsden a reproduit l’organe, dix fois plus grand que nature. Pour voir dedans, il faut coller son œil contre le petit trou qui passe… à travers une vulve. Cette œuvre étonnante est exposée en vitrine sur une rue très passante de Millau (Aveyron).
En 2003, la firme japonaise Nippori Gift lance la reproduction hyperréaliste du vagin de l’actrice Maria Ozawa, en affirmant avoir eu recours à la technologie du scanner tridimensionnel. Le vagin de silicone, accompagné d’un acte d’authentification, est vendu sous le nom de Meiki («Morceau de choix»). L’intérieur du Meiki reconstitue minutieusement les plis de l’épithélium et le col de l’utérus, au grain de muqueuse près. Pour couronner le tout, Nippori Gift passe commande d’un lubrifiant qui reproduit la texture exacte des fluides émis par Maria Ozawa lorsqu’elle se masturbe… Ce lubrifiant est conçu par la firme Nakajima chemicals à partir d’un prélèvement de la cyprine de l’actrice. La fiche technique du produit stipule que les prélèvements ayant été faits peu de temps avant que Maria ait ses règles, sa cyprine était un peu plus visqueuse que d’habitude. Afin de donner au lancement de ce produit hors-norme une valeur supplémentaire Nippori Gift le vend dans une boîte en bois de paulownia – bois habituellement réservé aux cendres des morts et aux objets précieux – comme s’il s’agissait d’une relique ou d’une dépouille sacrée.
Une porte sur la troisième dimension du plaisir
Il s’agit bien plus que d’un faux vagin destiné à se masturber affirme Nobuo Oku, président de la firme. Il s’agit d’une porte. Et cette porte ouvre (ainsi que l’indique la fiche produit) sur «la troisième dimension du plaisir β» (kairaku mujigen bêta, 快楽無次元ベータ). Le mot mujigen signifie «sans dimension» dans le vocabulaire de la physique. Très proche du mot mugen («infini», «éternité», 無限), mujigen évoque la sensation d’étrangeté provoquée par le non-espace, l’impression de basculer entre les mondes et de percevoir des choses qui se situent hors de nos perceptions physiques. Sur le plan symbolique, la boîte renvoie à l’idée du véhicule vers un autre monde. Et la femme, justement, n’est qu’une boîte, lorsqu’elle porte l’enfant à venir qui lui-même n’est qu’une boîte renfermant les germes d’une humanité…
Voilà peut-être pourquoi lorsque, dix ans plus tard, l’artiste Stephen Marsden se procure le Meiki c’est pour en faire la matrice, au sens propre, d’une œuvre interrogeant l’idée du passage. Au départ, son projet est simple : il veut reproduire le Meiki en augmentant sa taille par 4 et en faire l’équivalent de ce qu’il représente aux yeux d’un bébé de neuf mois. La première étape consiste à verser du plâtre liquide à l’intérieur du Meiki afin d’en prendre l’empreinte. Surprise. Lorsque Stephen Marsden fend la coquille en chair de silicone, il découvre avec étonnement une petite sculpture aux allures de femme enceinte, comme si l’intérieur du vagin n’était lui-même qu’une réplique miniature et creuse d’une silhouette gravide. «C’était une reproduction étonnante de la Venus de Willendorf», s’exclame Stephen. Il se demande quelle importance accorder à cette étrange coïncidence. Contemplant ce moulage de vagin, la forme en négatif d’une femme sur le point d’accoucher et dont la vulve charnue appelle, il songe qu’elle ressemble aussi aux nuages dont parle Stéphane Audeguy dans le roman La théorie des nuages. C’est l’histoire (entre autres) d’un météorologue, Abercrombie, qui voyage à travers le monde pour prendre des photos de nuages et pour les répertorier… Or voilà qu’au fil de sa recherche, il croise des femmes dont l’anatomie semble intimement liée à ce qui passe en se décomposant dans le ciel. Il regarde leur sexe à n’en plus finir et y voit comme une voûte chargée d’orages, un céleste horizon où se lève et se couche d’autres soleils que le nôtre. Il s’y perd.
Stephen lui aussi s’y perd. Ses tentatives de moulage de la partie externe du Meiki (la vulve) ne donnent aucuns résultats. Alors il va chercher auprès de femmes de chair et d’os le sexe qui viendra parfaitement s’accorder avec le conduit vaginal de Maria Ozawa. Prince charmant en attente du pied qui se moulera parfaitement dans son chausson… Stephen se met à mouler toutes sortes de vulves (toutes sortes d’amies se prêtent au jeu). Dans sa tête, les sexes de femme deviennent des formes en creux qu’il regarde comme à l’envers, de l’intérieur. Le jour vient où il réussit à la trouver, LA vulve. Il la rapporte dans son atelier. C’est le moule d’une moule, littéralement, qu’il faut ensuite décomposer en pièces disjointes, agrandir, recomposer, puis connecter avec la grotte vaginale géante à laquelle elle est reliée par un canal étroit, aussi étroit que le nerf optique reliant l’œil au cerveau… La pièce finale près 120 kilos. Elle est placée de façon très spectaculaire face à la rue. Les passants, les badauds, enfants, curieux, vieux, qu’ils soient contents ou mécontents… tous ceux qui déambulent dans le centre de Millau finissent par tomber sur cette œuvre. L’espace d’exposition se nomme V.R.A.C. : Vitrine Régionale d’Art Contemporain. Cet espace d’exposition tenu et animé par des bénévoles férus d’art – Stéphane Got et Marie Demy – offre tous les deux ou trois mois une œuvre originale, conçue spécifiquement pour entrer dans l’espace cubique de cette galerie d’un genre unique. Elle ouvredirectement sur la rue. Et la rue a directement vu sur l’œuvre.
Le point de vue du nourrisson
«Quand la vulve a été placée contre la vitrine, comme une sorte de ventouse suçant le verre, il y a eu un mouvement de panique. C’était trop violent peut-être cette vulve en pleine rue… Mais à ce moment-là une jeune femme est passée et elle a dit «C’est chouette, vu la période». Je lui ai demandé pourquoi elle disait ça. «On est en pleines fêtes de Noël et je trouve que c’est plus original qu’une crèche, pour célébrer l’idée de naissance.» Stephen se sent soulagé. Il ne veut certainement pas choquer, au contraire. Raison pour laquelle il n’a pas mis de pilosité sur la vulve, afin de lui ôter le caractère trop charnel que prend un sexe au naturel. Il veut au contraire que les gens n’aient pas peur. La partie vulve, comme une lucarne, est conçue pour inciter le spectateur à s’en rapprocher, afin de regarder à travers, coller son œil comme à un trou de serrure. Il faut, littéralement, passer de l’autre côté pour comprendre la beauté secrète de l’ouvrage, baignant dans les couleurs chaudes d’une lumière orange…
En surface, l’œuvre est une vulve. En vérité, il s’agit d’un vagin. Stephen a d’ailleurs prévu des petites portes sur les pourtours de l’œuvre, afin que – le jour où son œuvre sera disponible dans un espace ouvert – le public puisse comprendre ce qu’un nourrisson voit (en théorie) lorsqu’il fixe le bout du tunnel… Ou ce qu’un homme pénètre, à l’aveugle. On peut donc regarder l’œuvre sous des angles divers. L’intérieur recèle toutes sortes de surprises, suivant les angles de vue. L’œuvre elle-même ne cesse de changer suivant la lumière. Sous le soleil, elle a un côté provocant. La nuit, elle se voile d’ombre et prend l’allure d’une lanterne chinoise, éclairée de l’intérieur.
«De loin, on dirait un œil fantomatique, avec l’éclat rouge de la prunelle, dit Stephen. Elle change tout le temps de couleur, suivant le temps qu’il fait, ce qui la rend très météorologique… J’ai souvent l’impression que le temps affecte notre état d’âme. Le désir sexuel est imprévisible également, capricieux comme le ciel. Alors, en exposant la vulve à tous ces changements climatiques c’est comme lui donner la possibilité d’avoir ses humeurs, elle aussi».
Dans la ville de Millau, les réactions sont très diverses. Une nuit, des citoyen(ne)s ont joliment encadré la vulve en collant de la moquette afin qu’elle prenne du poil. Stephen était ravi. Une autre nuit, ils ou elles ont posé une serviette hygiénique géante sur la vitrine : façon de rappeler à la vulve son destin de femme ? «J’ai vu un peu de tout comme réactions, raconte Stephen. J’ai vu des mères qui éloignaient leurs enfants comme s’il fallait les protéger. J’ai aussi vu une femme avec ses trois petites filles qui les encourageaient à poser des questions sur le «zizi femelle». Elle m’a dit qu’elle était sage-femme.» Stephen rencontre aussi un gynécologue pour un projet à suivre : montrer l’intérieur, mais avec un plus grand respect des formes originales. Il semblerait en effet que le vagin certifié conforme de Maria Ozawa ne soit pas tout à fait respectueux de la morphologie humaine… Des striures auraient été rajoutées, par exemple. Il y a donc encore du pain sur la planche avant de savoir, et de voir, à quoi ressemble «pour de vrai» un vagin. Cet espace a-t-il vraiment la forme d’une Vénus préhistorique ? Ou bien celle d’un nuage ?
Œuvre «L’anatomie des nuages», de Stephen Marsden, au VRAC : Vitrine Régionale d’Art Contemporain. Du 29 novembre 2014 au 15 février 2015.
Adresse : Vitrine régionale d’art contemporain, Hôtel de Tauriac / Beffroi, 12100 Millau.
Note. La longueur de la vulve sur le moulage à l’échelle 1 (grandeur nature) fait 9,5 cm. Agrandie, la reproduction de vulve géante fait 132 cm. De l’entrée de la vulve jusqu’au col de l’uterus qui marque le fond du conduit vaginal, l’œuvre fait 215 cm. L’organe, si les calculs sont bons, est donc reproduit à l’échelle 1/13,9… Ehhh pardon, 13,9/1 (Merci à Peji46 pour la correction !).