Deux vieux cintres rouillés – flickr/yosoyjulito
Avorter en cas de viol, c’est admissible, mais si c’est du « confort », Mesdames, vous n’avez qu’à être prévoyantes, ou arrêter de forniquer, dépravées que vous êtes. C’est en substance ce que dit l’avant projet de loi espagnole avancé par le gouvernement de Mariano Rajoy. 2014 commence, pour moi, dans la colère. La colère devant toutes les régressions en matière d’égalité hommes/femmes et de droits des femmes, détruisant des vies sexuelles et sociales, mettant en danger la santé des femmes.
Humanité à deux vitesses
Il y a donc des gens qui pensent que l’avortement c’est mal, et qu’on tue un bébé lorsqu’on empêche un fœtus de se développer. Certains estiment qu’on tue un être humain lorsqu’on avorte, lorsqu’on se masturbe, etc… Je peux comprendre la logique de ce raisonnement même si ne suis pas d’accord. Mais cela me choque terriblement qu’on puisse affirmer qu’on peut tuer un être humain si il est le fruit d’une violence, et qu’on a seulement le droit de le tuer parce que la mère est victime. Ceux-là considèrent donc que tout embryon de vie humaine est sacré, mais que si le fœtus est issu d’une relation sexuelle contrainte, alors il est humain de le tuer.
Cette morale implique qu’il y a des cas où un fœtus doit être « assumé » et d’autres où « on n’est pas responsable ». Et que selon les cas, on peut ou non tuer le fœtus. C’est une rhétorique impossible à accepter. En plus d’être sexiste à souhait, c’est un très bon moyen d’augmenter les infanticides. Que l’on mette une limite aux dates possibles de l’avortement, 3 mois plutôt que 6, pour éviter la formation des terminaisons nerveuses, pourquoi pas… Sous réserve bien sûr que les femmes puissent accéder facilement et rapidement à des centres de soins, ce qui semble être de moins en moins le cas. Que l’on conditionne l’avortement à la santé de la femme, c’est cohérent. Mais faire dépendre le droit à l’avortement du mode de conception du fœtus est terriblement choquant.
Je suppose que l’histoire ne dit pas comment considérer le fœtus si une femme ne prend pas la pilule, que son mari, marin ou militaire, a une permission imprévue et qu’il la prend sans protection et contre sa volonté. Après tout, ils sont en couple, ils peuvent bien garder l’enfant… Mais c’est quand même un viol, tout conjugal qu’il soit, et s’ils n’ont pas beaucoup de moyens, c’est un peu compliqué… Chacun jugera à l’aune de ses valeurs morales si le fœtus doit vivre ou non en fonction du degré de violence utilisé pour le concevoir. C’est donc ça le droit à la vie.
Personne ne trouve l’avortement confortable
Une affiche du planning familial taguée dans le métro parisien – Crédit Camille
Je suis pour le droit à l’avortement, y compris comme moyen de contraception. Personne ne me fera croire que des femmes choisiront l’avortement comme moyen de contraception si elles peuvent faire autrement. Non pas que ce soit un mauvais moyen. Un médecin me racontait qu’à son sens et toute considération morale mise à part, l’avortement est probablement moins dangereux pour la santé de la femme, en tant que moyen de contraception, que la pilule. Il disait néanmoins qu’une étude le prouvant n’aurait aucune chance d’être mise en oeuvre.
Simplement, un avortement peut être extrêmement désagréable. C’est un peu comme si vous connaissiez des gens qui vont se faire enlever des dents en bonne santé juste parce qu’ils adorent cela. Même quand le dentiste est excellent, même quand la dent est ensuite soignée et que le patient est soulagé, je ne connais personne qui me fera tout pour aller le plus souvent possible chez le dentiste.
Idem pour les femmes qui tombent enceinte sans l’avoir souhaité. Quand bien même il s’agirait d’inconscientes qui ont oublié la pilule; des femmes qui ont séduit un homme qui ne demandait rien et qui réalisent que, finalement, elles ne voient pas bien comment faire avec un enfant. Si elles ont réellement l’envie de ne pas l’avoir, elles savent qu’elles vont passer par une opération qui n’est pas forcément traumatisante mais qui est, comme l’appendicite, comme les amygdales, comme n’importe quelle opération, désagréable. Et qui n’est, en rien, confortable, même dans les meilleures conditions possibles.
Faire diversion… aux dépens de qui?
Alors quoi, l’avortement serait à bannir pour punir celles qui auraient été inconscientes? Les hommes se seront révélés tout à fait aussi inconscients que les femmes dans un tel cas. Si l’on considère qu’une femme ne doit pas payer toute sa vie d’avoir été victime de viol, quel sadisme la société prend-elle à vouloir faire payer aux femmes l’inconscience éventuelle des hommes, complices du moment de plaisir partagé? Imaginons une application plus large de cette logique de l’inconscience. Plus de chimiothérapie pour les cancéreux du poumon qui ont eu l’inconscience de fumer? Plus de chirurgie orthopédique pour les inconscients qui s’explosent les genoux au ski? Dans ces discours moralisateurs quant à la responsabilité d’être tombée enceinte, la faute morale de sexe et de luxure est la seule à devoir être punie de la sorte. Vous avez dit laïcité?
Aujourd’hui, une rerédaction de la loi Veil est au programme du parlement. Cette loi précisait que la femme devait se trouver en « situation de détresse » pour pouvoir avorter. La majorité a pour projet de supprimer cette mention de détresse, mettant ainsi la loi en cohérence avec la réalité. Il n’en fallait pas moins pour faire descendre les anti-ivg dans la rue. Il suffit d’écouter Jean-Marie Le Méné militer pour l’avortement zéro, faisant sortir Roselyne Bachelot de ses gonds, pour se rendre compte que le droit à l’avortement est tout sauf un acquis immuable.
Avortement : l’amendement qui fait polémique – Le Grand Journal du 17/01
Oui, certains accusent cette loi d’être une diversion alors que la situation économique est difficile. J’espère que les tenants des “valeurs traditionnelles françaises” ne se serviront pas, à la première occasion politique venue, du retour sur le droit à l’avortement pour faire leur beurre sur le dos des femmes. Et courage à celles et ceux qui ont décidé aujourd’hui de ne pas laisser libre champ aux anti-avortement et de manifester pour défendre leurs droits.
Manifestation pro-choix ce dimanche à Paris, rassemblement place d’Italie à 14h00 : toutes les informations sur cette page.