En voyage à Berlin l’an dernier, j’en avais profité pour passer une tête au Porn Film Festival. J’y avais discuté longuement avec Carmina, que je connaissais un peu pour l’avoir croisée à la Fête du Slip de Lausanne, festival où j’étais également parvenu à débarquer sans même savoir qu’il avait lieu. Tous ces heureux hasards ont conduit à la production d’un film, tourné avec Divine Putain réalisé par Carmina, et sélectionné pour l’édition 2018, l’occasion d’y retourner, cette fois comme performeuse, et pourquoi pas tourner d’autres vidéos.
Mardi midi. Je dois retrouver Dwam dans un café juste à côté du AirBnB que l’on a loué. Je flippe un peu, on se connaît à peine et j’ai tendance à jamais reconnaître les gens. Ludivine, habituée du festival et doctorante en porn studies, me conseille de commander des pancakes. Les engloutir me met plus à l’aise tandis que Dwam nous raconte qu’elle doit absolument trouver une bouilloire qui siffle pour son shooting de demain. Très vite à notre table viennent s’installer d’autres habitués, Nini, Romy Alizée, Carmina, Chris Nutt, Rebecca Chaillon. De bien belles personnes, queers, ouvertes, sympa, souriantes, bienveillantes, à l’image de tout·e·s celles et ceux que je croiserai durant cette semaine.
J’ai accepté un gros contrat en freelance juste avant de partir, ce qui signifie que je passerai la plus grande partie de mes journées devant mon écran à pondre des slides PowerPoint, plutôt qu’à mater des films. Dans cet article, peu de recommandations cinéphiles donc, je m’excuse à l’avance, mais plutôt des petites anecdotes et une première expérience du festival en tant que performeuse.
Dès le premier jour ma concentration est mise à rude épreuve : dans notre Airbnb de nombreux tournages sont prévus, ainsi ce matin Carmina et Kali tournent deux scènes, pendant que Vex se fait des toasts et que Chris souffle sur la condensation de la bouilloire pour ajouter un effet “écran de fumée” devant l’objectif de Dwam. Plus qu’un festival cinématographique, cette semaine est une vraie occasion pour les performers de se retrouver, de tourner, de se rencontrer pour planifier de nouveaux tournages, de réfléchir à de nouvelles idées.
Kali et Carmina dans la cuisine
On s’échange quelques potins autour du thème “porn féministe ne veut pas toujours dire éthique” et des différents moyens de rémunérer les performers quand on n’a pas vraiment de budget. Je me rends aussi bien compte que quelquefois les scènes et les shootings sont des prétextes pour pouvoir approcher l’objet du désir et réaliser des fantasmes persos. D’ailleurs, hors des tournages, je m’aperçois que ça choppe pas trop mais friendzone beaucoup.
L’après-midi c’est Liara Roux qui vient faire des photos, je tente de rester productive, c’est pas évident. J’assisterai aussi à un shooting avec Viktoria Vaar, et serai même préposée à l’éclairage le temps de quelques clichés.
Le deuxième jour une sex party a été organisée par une amie d’un des performers, mais la projection de L’annonce, co-réalisé par Dwam et Carmina se déroule en même temps. Si pour Dwam la question ne se pose pas, ce sera l’orgie, Carmina est tiraillée : elle n’a jamais mis les pieds dans une orgie (d’ailleurs c’est quoi l’étiquette dans une orgie me demande-t-elle) mais ça sera aussi la première fois qu’elle présente un de ses films. Une annulation de dernière minute lui permet de garder la conscience tranquille et me donne l’occasion d’aller visionner mon premier panel de films : les courts métrages Lesbiens.
Le premier, Tribute, est un hommage à un film tourné dans les années 90 dans ce même cimetière de Stoke Newington à Londres. Lina Bembe y surprend Max Disgrace et un jeu de domination s’installe, mené par Lina, sans un mot, mais avec beaucoup d’intensité. Lors de la session de questions et réponses on sent bien non seulement toute leur passion pour ce projet, et leur art, mais également leur culture pointue du sujet, tandis que Max évoque l’historique des lieux de cruising à Londres, et leur disparition, symptomatique de la répression sexuelle qui a lieu en Angleterre depuis quelques années.
S’enchaînent ensuite des films à l’esthétique léchée, irréprochable, (voire attendue ?) mais qui me laissent un peu perplexe, n’y trouvant que peu d’érotisme. C’est alors que débute Birthday, par Shine Louise Houston, réalisatrice phare du studio Pink Label. Dès les premières secondes, la tension est palpable, un truc qui m’a pris au bide, presque autant que dans Climax de Gaspar Noé. Sam (Barabary Rose) est debout contre un mur, et passe doucement sa main contre ses lèvres, à travers sa culotte, écartant un peu le tissu, allumant les hommes groupés devant elle avec un sourire coquin et assuré.
Entre elles et les hommes de la backroom se tient Leo (Nenna Feelmore) solide, l’air presque autant assuré, planté dans le sol. Les homme se pressent, la musique est un peu oppressante. Un des hommes essaie de s’avancer, il se fait rembarrer d’un coup d’épaule. On se demande si cela va dégénérer. Puis la tension retombe – ou plutôt s’écoule avec une scène de pipi hilarante – et leur intimité se dévoile avec beaucoup de pudeur pour Léo, pour qui le edgeplay a l’air plus facile qu’un date au restaurant. Birthday est un film très touchant, méticuleusement pensé et scénarisé (Shine Louise donnait d’ailleurs un workshop sur l’écriture scénaristique un peu plus tôt le même jour) qui a laissé de nombreuses images fantasmagoriques dans mon petit cerveau pervers.
Carmina et Dwam viennent présenter l’Annonce, c’est émouvant. Enfin est diffusée la dernière vidéo de la sélection, un film chinois assez barré : Allison est un éléphant obsédé par les cavités naturelles, qui va faire la rencontre de Dung (qui en chinois signifie cave, cavité, trou) avec qui elle a déjà des échanges en ligne. L’artiste, So Yarli A, utilise la juxtaposition des images et des vidéos pour reproduire la mémoire humaine, au lieu d’utiliser une chronologie linéaire. C’est plus arty que porno et complètement WTF.
Le troisième jour je quitte PowerPoint et je rejoins Rooster pour tourner une scène. Roo, avec qui j’ai brièvement échangé l’an dernier et Marcus Quillian (que j’aurais malheureusement à peine rencontré) se sont proposés pour tourner des trades [tournages non rémunérés où les performers se mettent d’accord sur le prix des ou de la vidéo produite, ou se rendent des services – ndlr] quand j’ai timidement annoncé sur les réseaux sociaux vouloir shooter de nouveau.
Je suis un peu nerveuse, et je me sens super inexpérimentée, j’ai peur de commettre un impair, dire ou faire quelque chose d’inapproprié (c’est quoi l’étiquette sur un tournage de scène de cul ?).
La première heure et demi est dédiée à manger des croissants, à signer les contrats et parler de nos limites et nos envies pour la scène. J’explique à Nick, le photographe venu documenter la scène, et qui me demande comment je me sens, que c’est une expérience un peu déstabilisante, parler avec un quasi inconnu de ce qui nous excite, de ce que l’on va faire, sans toutefois rentrer dans un jeu de séduction, sans tension sexuelle immédiate. Roo me répond que de son côté il y a eu un ressenti de cette tension, je me mords la langue, j’ai parlé avant de réfléchir, je suis décidément toujours aussi maladroite. Vivement qu’on soit nus et en pleine action, je me sentirai moins con.
On s’est mis d’accord pour faire du play fight, j’ai l’autorisation de mordre, gifler, cracher, mais pas de pincer ou de faire des chatouilles, ça me paraît un bon deal. La bagarre tourne court assez vite, je suis pas assez forte puis j’ai très envie de lui. J’oublie complètement la caméra et la présence de Nick, comme j’avais complètement oublié celle de Carmina durant notre film. Durant la scène on échange un peu, “je ne te fais pas mal?” – “non, gifle-moi plus fort” – “je te casse pas la bite en deux assise comme ça sur toi ?” – “non, continue, crache-moi dessus”. Pour moi tout est fluide, naturel, je ne fais pas semblant, brat et rieuse comme d’ordinaire, j’ai vraiment beaucoup de plaisir et je me demande si c’est pareil de son côté ou si iel est juste très pro pour me mettre à l’aise.
Roo et moi
On se rend ensemble à la projection des courts métrages “Female short porn” où nos deux films sont projetés. Dans le taxi, la scission des corps est étrange, je ressens une impression similaire à celle que je peux ressentir après avoir passé la nuit avec un·e inconnu·e, au moment de lui faire la bise pour lui dire au revoir. Cette intimité éphémère, encadrée, chronométrée est une expérience en soi. Je me demande si on s’y habitue un jour.
Le premier film Venus in scorpio par Evie Snax est captivant et emprunt de références théologiques. Un serpent se promène sur le corps nu d’une femme superbe qui se masturbe, réveillant en moi des désirs zoophiles un peu troublants. Il est suivi par PURE ‑ Black_Rabbit de Greta Isabella Conte pour XConfessions, qui montre la nuit d’une jeune fille dans un club. Elle y fait l’amour avec un inconnu sans protection, un choix de direction artistique tendancieux qui sera commenté par Paulita Pappel, une des organisatrices du festival : “ne faites pas ça chez vous, c’est du cinéma, dans la vraie vie s’il vous plaît, protégez-vous, surtout dans un club Berlinois !”
Moist, l’autre production XConfessions du panel, réalisée par Poppy Sanchez, prouve justement que capotes et sexe torride ne sont pas incompatibles à l’écran : sous l’oeil voyeur de Dante Dionys, Bishop Black et Paulita Pappel (qui est aussi productrice et actrice !) s’ébattent dans un sauna. Les regards face caméra du couple, adressés en réalité au voyeur, sont particulièrement réussis. On envie Dante, bien qu’en réalité la session de Q&A nous apprendra que les trois acteurs n’étaient pas dans la même pièce en même temps et qu’il a dû se branler en imaginant ce qui avait pu se passer ! Le dernier film est le ludique et rigolo Labia of Love par Morgana Muses, où l’actrice et réalisatrice met en scène ses grandes et petites lèvres, avec de nombreux accessoires aussi divers que de la chantilly, des paillettes ou de la peinture.
Nos deux films passent l’un après l’autre. C’est un moment émouvant et un peu difficile, cathartique, pour nous deux. Et pour cause, Rooster a tourné Triple P: Political Pussy Pounding quelques temps après avoir accusé la réalisatrice Olympe de G. de comportements abusifs et de manque d’éthique professionnelle sur un tournage pour Erika Lust. Assez peu de pussy pounding en réalité, mais beaucoup de rires et de communication dans ce film réalisé avec la pétillante Allie Oops : le film montre l’envers du décor, comment les performers négocient et se découvrent tout en jouant. C’est joyeux, léger, touchant, excitant et le message politique passe parfaitement : consent is fucking sexy.
La Cuisine, mon film, est diffusé juste après. Je me cache à moitié le visage durant la projection mais entends le public rire, s’exclamer, je perçois leur surprise et leur peur quand arrive à l’écran le grand couteau de cuisine utilisé dans la scène. Je me sens assez vulnérable durant la session de Q&A, et en même temps tellement fière de ce que l’on a fait. Montrer du BDSM queer et inventif, loin des clichés, des stéréotypes et des normes, montrer la passion et la douceur, montrer l’intensité et l’authenticité de notre vie amoureuse avant qu’elle ne se termine. Je morvelle un peu sur l’épaule de Carmina qui me tient fort, renifle un bon coup, m’avance pour répondre aux questions du public, et pars me coucher très tôt, épuisée par cette journée riche en émotions.
Session Q&A après la projection
Le vendredi se tient la soirée du festival. Le samedi une sortie au Kit Kat est prévue. Le dimanche se tient la soirée de clôture. Autant dire que j’ai passé plus de temps à faire la fête qu’assise au cinéma. J’ai bien compris qu’ici le sexe c’est surtout face-caméra, alors j’ai fait venir un amant directement de Paris. Julien était encore vanille il y a un mois, le voilà plongé dans le grand bain. Bishop lui demande s’il performe ; il devrait y songer.
J’aperçois Sadie Lune, je fais ma groupie, je lui dis à quel point Too Much Pussy a eu un énorme impact sur ma vie à sa sortie. Enfin je comprenais que je n’étais pas seule, moi aussi je voulais être libre, monter sur scène, faire du porn, baiser avec tout le monde, peut importe leur genre, construire ma propre identité sans avoir à me conformer à aucun code, trop queer pour les hétéros, trop hétéro pour les queers.
C’est déjà la fin. On flotte tous un peu, on est tous un peu triste que ça se termine. Cet entre-soi d’ouverture d’esprit, de créativité, de combativité, de sensualité et de non-normativité nous fait à tous beaucoup de bien. Alors, on promet de se revoir vite, au festival Snap! à Paris la semaine d’après, à OnlyPorn, à la Fête du Slip de Lausanne ou au Festival du Porn de Londres. On se serre fort dans les bras, on échange nos Instagram, on planifie des tournages. On se dit au revoir, et à bientôt pour de nouvelles aventures du cul !