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Elle est l’épouse d'un pionnier du programme spatial américain. Elle est l’égérie du réalisateur Kenneth Anger. Elle est la «grande prostituée» dans les cercles ésotériques. Le siège Agnes B. dévoile ses oeuvres jusqu’au 10 janvier, à Paris. Qui est-elle ?
«Qu’aurais-je fait si je t’avais entendu pleurer dans les rues de l’enfer». A l’âge de 13 ans, Marjorie Cameron compose des poèmes dans sa petite chambre d’adolescente de l’Iowa. Nous sommes en 1934. Soixante ans plus tard, Cameron atteinte d’un cancer du cerveau se meurt à l’hôpital des Vétérans de West Los Angeles : sa mort sera «entourée de soldats». C’est une question de karma : par sa faute, dit-elle, des milliers de soldats sont morts dans le Sud Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale. Et donc maintenant, elle meurt à l’hôpital des Vétérans, «bénéficiant du remerciement pour service rendu, à côtoyer les fantômes du même vieil ordre militaire qu’elle a passé la moitié de sa vie à fuir.» En manière de testament, Cameron enregistre sur son lit d’hôpital de long entretiens audio avec un ami. Elle raconte pourquoi elle a fui l’armée : «Ils ont ramené mon frère à la maison dans une camisole de force et je me suis tirée. Ils m’ont déclarée AWOL [absent without official leave : absent sans permission officielle]». Autrement dit : déserteuse. Cameron travaillait pour l’armée comme cartographe puis dans les services de propagande, depuis 1942. Quelques années plus tard, elle rencontre un homme qui a lui-même été impliqué dans l’armement secret défense, jusqu’à ce que… En 1952, il meurt dans une explosion officiellement classée «accident de laboratoire».
Une élimination peu discrète ?
Cet homme – Jack Parsons (1914-1952) – pionnier du programme spatial américain, est un chimiste de génie, activiste radical de l’amour libre. D’un côté, il invente des carburants de fusée au sein du Jet Propulsion Laboratory, avec accès à des secrets d’État. De l’autre, il pratique la MagicK, c’est-à-dire la magie sexuelle, et pilote aux USA la principale loge de l’O.T.O. (l’ordre ésotérique alors dirigé par Aleister Crowley). Sa rencontre avec Marjorie Cameron lui fait l’effet d’une révélation : il mène alors une longue série de cérémonies tantrico-masturbatoires occultes destinées à faire venir la déesse Babalon sur terre. Marjorie vient à lui comme s’il l’avait invoquée. Pendant six ans, Parsons fait d’elle sa «femme écarlate», c’est-à-dire celle en qui, par qui, avec qui, il espère monter toujours plus haut dans le ciel de l’émancipation spirituelle. Il n’aurait su trouver femme plus avide de liberté, physique et mentale. Marjorie hait les pudibonderies. Sur son lit d’hôpital, elle raconte : «Ma première exposition, c’était pendant la 9e, à l’école élémentaire. J’étais au dernier rang, j’avais dessiné quelqu’un en train de chier.» Voyant ses camarades d’école rire, elle déchire le dessin et refuse d’en montrer les morceaux à l’institutrice. La voilà emmenée chez le principal, dans le bureau duquel elle reste tout l’après-midi, refusant de lâcher les morceaux jusqu’à ce qu’il la laisse rentrer chez elle, triomphante, avec cette oeuvre de résistance.
Commander du peyotl et… partir
Toute sa vie, Marjorie Cameron refuse les compromis. Plutôt détruire ses oeuvres que les montrer à des bien-pensants. Le dossier FBI de Jack Parsons contient plusieurs paragraphes sur Cameron : «une personne intelligente, perspicace et vive. Elle est considérée comme une “libérale” ayant exprimé son insatisfaction sur ce pays et un désir d’élever les enfants qu’elle pourrait avoir dans un quelconque autre pays où les enfants auront la liberté de faire comme ils l’entendent [...] Elle est la personnalité qui domine dans le couple et en contrôle pour l’essentiel les activités et le comportement». Pour le FBI, il semble clair que Marjorie incite son époux à trahir des secrets d’état. Dans le contexte de la paranoïa d’après-guerre, alors que le Maccarthysme fait rage, Jack Parsons est mis sous surveillance : sa sexualité débridée, sa vie religieuse et ses amitiés avec des scientifiques communistes le rendent suspect. Inquiet, il décide de quitter le pays. La veille du départ, il meurt dans une explosion. Marjorie, alors, «commande du peyolt au Texas et déménage». Elle entame une vie d’errance, entre le Mexique et la Californie underground. Persuadée que son époux a été assassiné, elle va se cacher parmi les artistes de la Beat génération, dans les souterrains de la contre-culture américaine.
Cameron : l’oeil du cyclone
«Je suis passée dans l’Underground. J’ai réalisé que je devais passer par la vallée des ombres, et cette vallée c’était Hollywood.» A Hollywood, la ville du sexe, Marjorie élève sa fille Crystal avec de maigres allocations et passe son temps à remplir des cahiers de dessins –certains réalisés sous peyotl, champignon ou ecstasy– qui mélangent les influences de Rops, du tarot, d’Odilon Redon puis de la Wicca. Elle dessine des anges noirs, des déesses au torse couvert de mamelles, des accouplements avec des hommes-serpents et des sorcières qui dansent nues. Elle s’amuse à jeter des sorts sur les moteurs de voiture. Elle vit un temps avec Kenneth Anger qui, n’osant pas entrer dans le lit de Cameron, dort à ses pieds sur une peau de bête. Elle fréquente tous les artistes que Hollywood –la Grande Babylone– brasse dans le creuset de ses soirées occultistes, psychédéliques ou avant-garde. Au coeur de ce grande brassage, dont elle occupe le centre immobile, Cameron produit des images issues directement de ses expériences psychiques : elle explore ses différents niveaux de conscience. Puis elle meurt d’un cancer. Les oeuvres qu’elle n’a pas détruites ont été rassemblées par Scott Hobbs, créateur en 2006 de la Fondation Cameron Parsons, grâce à qui on peut les voir maintenant à Paris, au siège Agnès B. L’occasion de se demander qui elle était, parce qu’au fond… comment savoir. «Ils passent leur temps à ajouter ses avortements à sa page Wikipedia», Scott fulmine : «On ne raconte pas les avortements de Picasso, non?». Sur Wikipedia, il est aussi dit qu’elle a fondé une secte sexuelle, ce qui est faux. Beaucoup de mythes circulent. Qui était-elle pour susciter autant de fantasmes ?
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Source de l’article : «Through the Valley of the Shadow, A Sinful and Sexual Place to the Unsophisticated Mind», texte de Margaret Haines (Greta Mar) pour la revue Optical Sound #5, http://www.optical-sound.com/releases/optical-journal-05.htm«
EXPOSITION : A mon seul désir (jusqu’au 10 jamvier 2018). Siège Agnès B : 17 rue Dieu - 75010 Paris.
Commissariat de l’exposition : Jean-Francois Sanz. Co-commissariat : Ewen Chardronnet, Margaret Haines, Jeanne Rethacker.
Pour l’exposition A mon seul désir / 20 ans de Mauvais Genres chez agnès b., l’équipe de l’émission Mauvais Genre (créée par François Angeler en 1997) a sélectionné les travaux d’une vingtaine d’artistes. Cette exposition est également l’occasion de faire un focus sur la vie et l’oeuvre d’une personnalité hautement Mauvais Genres, s’il en est : Marjorie Cameron, artiste et occultiste américaine. Est exposée la série de dessins Songs for the Witch Woman réalisés à la mort de Parsons (prêtée pour l’occasion par l’actuel leader de l’OTO, William Breeze), les films de Anger et Harrington, ainsi qu’un ensemble d’archives, carnets de croquis, documents audio, etc. prêtés par la fondation Cameron - Parsons.
POUR EN SAVOIR PLUS : La magie sexuelle, c’est pas pour les nuls ; «Qui était la bête 666 ?» ; «Un puceau peut-il sauver le monde ?». «Une religion pour boire du sperme». «La magie sexuelle, c’est comme l’acupuncture».
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Cet article provient de Littérature érotique