La proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel est tombée cette semaine. Elle prévoit enfin la suppression du délit de racolage passif, recèle peu de surprises (la pénalisation des clients était prévue depuis longtemps) mais donne quelques enseignements. Cinq réflexions que m’inspirent cette loi :
1) La peine encourue : de l’argent… et un stage.
La disposition la plus controversée de cette loi est la pénalisation des clients. Controversée, car elle est combattue par de nombreux acteurs, du Syndicat du Travail Sexuel (Strass) aux Solidaires Etudiants, qui considèrent que cette disposition ne fera qu’accentuer la précarité des prostitué-e-s, le fait que les prostitué-e-s doivent se cacher étant un facteur d’aggravation des violences.
Les clients de la prostitution encourront donc une amende de 1500 euros, mais pas de peine de prison. S’y ajoutera un « stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution, sur le modèle des stages de sensibilisation à la sécurité routière ou aux dangers de l’usage des produits stupéfiants. Ce stage pourra avoir lieu auprès d’associations agréées, et aura pour objectif de faire connaître aux clients de la prostitution les conditions de vie et d’exercice de la prostitution, ainsi que la réalité du phénomène de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle et du proxénétisme. »
2) Les fournisseurs d’accès à Internet sont des proxénètes
Le gouvernement du Royaume-Uni veut que les fournisseurs d’accès à Internet bloquent par défaut les sites pornographiques. En France, il faut s’attendre à ce que ce soient les sites proposant des services sexuels qui soient bloqués par les FAI : « L’article premier propose que lorsque des sites internet hébergés à l’étranger, contreviennent à la loi française contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, les fournisseurs d’accès internet devront empêcher l’accès à leurs services. »
Seuls les sites d’escort girls seront-ils bloqués ? Les services de shows par webcams vont-ils aussi en pâtir ? Dans tous les cas, cela risque de populariser un peu plus en France les alternatives pour un accès internet plus confidentiel…
3) Combien de prostitué-e-s en France : 20 000 ou 400 000 ?
Cette proposition de loi propose quelques chiffres : « Les personnes prostituées seraient, en France, au nombre de 20 000 environ, dont 85 % de femmes. À l’inverse, 99 % des clients sont des hommes. La prostitution est donc un phénomène sexué. »
Ce texte cite pour étayer ses chiffres un rapport d’information parlementaire de 2011, qui mettait lui-même ces chiffres en doute : « cette évaluation prendrait essentiellement en compte la prostitution de rue, qui, dans des pays comme le Royaume-Uni ou la Suisse ne représenterait que de 13 à 15 % de la prostitution totale. D’autre part, le chiffre de la prostitution en France semble très inférieur à celui des autres pays européens, notamment l’Allemagne, où l’on compterait 400 000 personnes prostituées. »
4) Les prostitué-e-s : tous des étrangers ?
Le texte braque aussi ses projecteurs sur la prostitution « étrangère » : « un renversement historique s’est produit en l’espace de dix ans : alors que seulement 20 % des personnes prostituées dans l’espace public étaient de nationalité étrangère en 1990, elles en représentent aujourd’hui, et depuis les années 2000, près de 90 %. ». Encore une fois, on peut douter de ces chiffres : ils sont issus l’activité policière de répression du racolage. Une police qui, si l’on en croit les données disponibles sur les contrôles au faciès, concentre justement ses efforts sur les personnes d’origine étrangère…
Le volet le plus important de cette proposition de loi concerne les aides proposées aux prostitué-e-s, financées par les « recettes provenant de la confiscation des biens et produits issus du proxénétisme et d’un prélèvement sur le produit des amendes forfaitaires prévues pour le recours à la prostitution. » Les prostitué-e-s en situation irrégulière pourront aussi bénéficier d’un permis de séjour temporaire, mais seulement en cas d’inscription dans un « parcours de sortie de la prostitution ». Pourquoi en avoir fait un prérequis si la prostitution est dépénalisée ?
5) Le corps humain : un sanctuaire
Enfin, les rédacteurs s’appuient sur une disposition du droit français qui limite le droit à disposer de son propre corps :
« Ainsi, la non-patrimonialité du corps humain, l’un des principes cardinaux de notre droit, fait obstacle à ce que le corps humain soit considéré comme une source de profit ». Qu’on ne puisse pas vendre un rein est une chose, qu’on ne puisse prêter le concours de son corps (ou de son esprit) contre rémunération en est une autre.
Cela en vient à considérer que les prostitué-e-s ne sont, dans le cadre de leur activité, que des corps dont on profite, et non des personnes qui fournissent un service qualifié – ce qui est le cas des travailleurs qui prêtent leur corps et leur cerveau à leur employeur contre rémunération. Alors les prostitué-e-s ne sont-ils que des corps dont les clients abusent ? Aucune étude chiffrée ne peut le dire. Le débat continuera donc : considérer par définition le travail sexuel comme une violence faite aux femmes, c’est faire l’impasse sur d’autres situations plus consensuelles qui existent bel et bien. Ecoutez Marla en parler ici sur France Inter.
C’est, je l’avoue, le sujet sur lequel j’arrive le moins à avoir un avis. La seule solution que j’imagine serait de réglementer le métier, de le réserver, sur concours, à des personnes ayant des compétences en soin, en hygiène, en psychologie, et qui pourraient effectivement, s’occuper de partenaires, donner du bonheur, avec imagination et sécurité. Connaissant quelques prostitué-e-s, je vois bien qu’il en existe qui effectivement sont dans la location du corps, et d’autres qui exercent un travail actif, avec des compétences.
Et si ce projet de loi sanctuarise le corps humain, le droit à disposer de son propre corps est pourtant (heureusement) promu par le ministère du droit des femmes lorsqu’il réaffirme le droit à l’avortement.
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