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À Nantes, le SC Club fête ses 5 ans avec une animation qui a fait son petit effet : deux danseuses androïdes à la tête inquiétante de caméra de surveillance. Si elles bougent lascivement leurs hanches de plastique avec une barre de pole dance, ce qui en soi est déjà perturbant, les messages qu’elles véhiculent sont tout aussi intéressants. Une soirée entière s’imposait, pour faire connaissance.
L'INVASION CONTINUE AU SC CLUB !!!! Pour la 1ere fois en France après les USA, venez sauver les filles des griffes de nos envahisseurs ! Même Thor n'y arrive pas….Réveillez le héros qui sommeille en vous ! @Sortiesanantes @presseocean @OuestFrance44 @radio_hitwest pic.twitter.com/1hdnZkWEIv
— SC Club Nantes (@StripCafeClub) September 13, 2019
Le club est encore fermé, l’ouverture est dans une heure. Les larges fauteuils rococo en velours sont vides, l’endroit est chaleureux, les filles arrivent au compte-goutte, vont se préparer. Les deux « humanoïd girls », elles, sont déjà en place, haut perchées à chaque extrémité du bar. La contre-plongée les rend impressionnantes. Courbes volées à des mannequins de vitrine, morceaux visibles de pièces automobiles, escarpins vintage blanc. Tête allongée de caméra de surveillance qui leur confère un côté Big Brother un peu flippant. C’est peut-être nous, au final, les rats de laboratoires. Laurent, propriétaire des lieux, a croisé les deux robots-danseuses au CES de Las Vegas, là où la démesure et l’outrance sont la norme. Son club est spécialisé en pole dance, alors il craque sur ces femmes humanoïdes au drôle de déhanchement, créées par l’artiste britannique Giles Walker pour dénoncer une société de la surveillance, à l’heure où Londres gonflait son parc de caméras. Laurent, le patron, ne cache pas son envie « de faire du buzz ». Et ça fonctionne, car le SC Club est seulement le deuxième club de strip au monde où se produisent les deux machines, et le premier en Europe. « J’avais envie de redorer le blason des clubs de strip. En France, la plupart continuent à ressembler à des bars à hôtesses ou à des bordels. Moi je veux me démarquer, sortir de cette image, faire regagner ses lettres de noblesses au strip. C’est pas glauque, c’est classe. Et surtout festif. » J’apprends au passage que l’on va entrer dans la seconde génération seulement des clubs de strip-tease. Que la première génération date du début des années 2000.
L’homme me dit que les clients sont bluffés, que ça les amuse, ces deux androïdes, au final pas si élaborés que ça pour 2019, d’assemblage un peu grossier. « La technologie est omniprésente dans nos sociétés. Elle va encore évoluer mais ces robots sont en quelque sorte un pied de nez. Nous on est dans l’humain. Le monde de la nuit ne peut pas être robotisé. » Il en met une en route, sous une lumière rouge, chaude. Les escarpins ne bougent pas, mais les hanches de métal paraissent étonnamment souples. Entre le haut des cuisses et l’entrejambe, des filaments lumineux. C’est assez hypnotique. Malaise et fascination. La gestuelle est répétitive, le robot avance les hanches, plie les jambes, tient la barre de pole dance, tourne sa curieuse tête vers moi. Elle ne me voit pas, ignore ma présence curieuse, presque voyeuriste.
Giles Walker va créer une seconde version de ses robots. Où la tête-caméra filmera réellement. Une mise en abyme qui file le tournis, être observé dans un club où tu viens justement pour regarder, souvent en le cachant… Au même moment, les performeuses descendent, maquillées, sexy, et s’installent dans un large box à côté du bar. C’est l’heure du briefing avant l’ouverture, consignes, rires. La robot-danseuse n’écoute pas, imperturbable, insolente. Le club va ouvrir. Les lumières se font plus intenses, la seconde humanoïde se met à danser elle aussi, dans un épais nuage de fumée que surplombe sa tête-caméra. Les filles s’éparpillent, les clients arrivent. Les robots chaloupent leurs corps construit par la main de l’homme. Je m’attends à croiser Bender, le robot cynique de la série d’animation Futurama, fervent adepte du strip-robot. Jalouse-moi Bender, tu rates un truc ! Ou C-3PO, droïde logorrhéique de Star Wars, dont le corps de métal rappelle celui de mes deux copines humanoïdes d’un soir. Le connaissant, il aurait rougi, et enquiquiné les clients.
Tout à coup, les danseuses de chair et d’os se mettent à bouger. Sur le podium du milieu du bar, elles montent les unes après les autres. Et dansent à la barre. Et soudain, les deux humanoïd girls ne sont plus que des reines déchues, des premières dauphines fanées qui entourent, d’un bout à l’autre du bar, une « vraie » danseuse, sensuelle, sublime.
À cet instant, le regard se décale de la technologie. Nelly danse ici depuis 1 an. Elle vient de terminer des études en communication, mais ce qu’elle veut, c’est danser. « C’est une passion, ce que je voulais vraiment faire ». Elle s’amuse des robots, de ses collègues « qui en ont peur ». Elle, a l’impression « de danser avec des personnes. C’est une attraction, je les aime bien. Elles ne pourront jamais nous remplacer ! » L’attraction est la raison qui a conduit au SC Club, ce soir-là, un trio d’amis. Dont Jean et sa petite amie, Mélo. « Elles ont un sacré déhanché, les robottes ! » rigole t-il. Je suis soulagée, je vois leur regard à eux aussi se tourner vers les filles en chair. « Ça ne remplacera jamais les femmes, ni ça, ni les poupées super réalistes en silicone. On est venu par curiosité, pour les robots. Mais la beauté du corps féminin fait qu’on oublie les robots ! » Mélo sirote son coca, elle aussi subjuguée par les filles. D’autant que pour son anniversaire, le SC Club a fait venir la vice-championne d’Europe de pole dance. Note pour plus tard : penser à fermer la bouche quand tu la vois danser, et arrêter de penser à ton mal de dos.
Masha est une ancienne gymnaste. La voir évoluer entre les deux robots, sous la fumée et les lasers, est une vision surréaliste. Le tensiomètre sensualité est au climax. L’humanoïde fascine tant que la femme n’est pas en mouvement. Bobby, lui, n’est pas du tout venu pour les robots, il les trouve même « un peu vulgaires ». Je dirais plutôt un peu gauches, moi. Tu as presque envie qu’elles prennent vie.
Les cousines de C-3PO interpellent, qu’on le veuille ou non. Elles déclenchent une émotion, une pensée critique. « C’est quoi ce truc avec une caméra ? » s’interroge Bobby, en jetant un regard en coin. Plus loin, Dodo, un autre client, rigole : « Au départ, de loin, je croyais que c’était une nana ! » Ok, la fumée donne au bar des allures de film de SF, mais quand même, Dodo ! « C’est pas très beau… c’est beaucoup plus joli, une fille qui danse. » On te l’accorde. Il est tard, le club se remplit doucement. Les droïdes feront une pause, plus tard dans la soirée. Il faut éviter la surchauffe. « La pause syndicale des robots », sourit Laurent, le patron.
Them robots comin for EVERYBODY job pic.twitter.com/sHYVt88Zta
— whomst’veatlantavegas (@Namastaywoke) December 3, 2017
Dounia, une des danseuses, oscille entre rejet et amusement face à ses collègues d’un mois. « Si ça commence comme ça, qui sait s’il n’y en aura pas de plus perfectionné un jour… C’est à la fois étrange, perturbant, et fun. Mais ça reste plus de l’art que de la robotique. » À en juger par les réactions que cela suscite, oui. Je les regarde encore. Elles ne me gênent pas, paraissent inoffensives au final. Leurs corps de mannequin en plastique, le métal apparent…elles sont plutôt belles. La vraie question, la seule importante, vient de la tête-caméra qui vient tout dire de notre société. Dans un endroit clos comme un club de strip-tease, elle nous questionne sur notre regard. Et au-delà, sur celui que la société porte sur nous tous et sur ces femmes de chair qui dansent. Et qui sont magnifiques.
SC Club, « Invasion », anniversaire n°5. 15 rue Fouré, 44 000 Nantes. Entrée gratuite tous les soirs jusqu’au 28 septembre. Du mardi au samedi de 22h à 4h.
Ce reportage est possible grâce à la participation de Guillaume à notre cagnotte ulule, merci !
Finissons-en avec « les crimes passionnels » ! ou, une histoire de film qui amène Dominique Potin-Kahn, psychologue clinicienne, à traiter du terme Féminicide ! Séquence cinéma sur mon petit écran, un moment de farniente, je me loue un film. J’avais choisi un drame français de 2019 pour l’histoire et les comédiens : « Des coulisses à la scène du prétoire se convoquent, rhétorique magistrale et intime vérité »,…
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Ils sont nés avec les réseaux sociaux. Jusqu’au 21 septembre, l’Espace Commines, à Paris, accueille la nouvelle génération des créateurs taïwanais. Quelle est leur vision du monde ? Pourquoi font-ils de l’art avec #Metoo ?
Pour l’artiste Instagram John Yuyi, l’avenir c’est le branding digital : ses images montrent des humains tagués comme du bétail. Certains affichent la date de livraison sur le front. D’autres portent #Metoo sur le bout de la langue. Ou arborent sur les joues des icônes adhésives, pareilles à des tatouages… Ces oeuvres datent de 2018. John Yuyi les réalise pour illustrer un dossier spécial post-humain du New York Times. Consacré à l’impact des visuels numériques, le dossier commence par cette phrase : «Allons droit au but : ce que vous êtes en train de faire, lire de la prose sur un écran, c’est bientôt dépassé.» Pour l’éditorialiste, il s’agit de faire son deuil de «la pensée argumentée». Elle est has been, dit-il. Les gens préfèrent communiquer à l’aide de hashtags, de gifs ou d’instagrams. Les messages mêlant audio et visuel ont d’ailleurs tellement de succès que certains agitateurs politiques comme George Soros et la famille Mercer ont investi dans la fabrique de memes. Le financement de comptes Twitter relève du trafic d’influence et les YouTubeurs font plus vendre que les publicités papier. C’est le signe d’un changement d’ère, conclut le NY Times.
Taïwan New Wave
Tout comme les autres artistes exposés (jusqu’au 21 septembre à l’Espace Commines), John Yuyi ne juge pas. Elle se contente de donner corps à cette nouvelle réalité, celle des individus connectés. Le styliste Wang Liling, par exemple, conçoit des vêtements qui hybride les textiles et les matériaux conducteurs. La joaillère Fanny Tsai fabrique des bijoux qui semblent dématérialisés. Les créateurs de la revue 8G rising formatent leurs images pour une réalité augmentée dont ils anticipent déjà l’usage et dont ils font un outil de revendication LGBT. Taïwan est le premier pays d’Asie à légaliser le mariage pour tous. Taïwan fait aussi partie des 5 principaux producteurs de circuits intégrés. C’est Taïwan qui (de pair avec les 4 autres grands groupes de producteurs) a fait de la loi de Moore un objectif à suivre : depuis 1998, le célèbre rapport ITRS (International Technology Roadmap for Semiconductor) affiche comme but une multiplication par deux des performances des composants, tous les dix-huit mois, en même temps qu’une diminution de 50% des coûts.
En 2017, 80% des puces sont fabriquées à Taïwan
La loi de Moore n’était, en 1965, qu’une simple observation. Elle est devenue auto-prédictive. Les experts de l’ITRS y veillent. Résultat : depuis 1994, il se vend plus d’ordinateurs que de voitures. Les puces prolifèrent. Taïwan en est le premier fabriquant au monde. La quantité de données digitales augmente de façon exponentielle, bouleversant tout le système : «La pénétration des composants à l’intérieur des équipements qui supportent toute la communication des individus, des groupes nationaux ou des entités économiques leur a donné en quelques années le rôle de colonne vertébrale de l’activité humaine», résume Jacques Blamont (co-fondateur de l’Agence spatiale française, le CNES) dans Réseaux !, un ouvrage publié aux éditions CNRS en 2018. Le chercheur y dissèque les conséquences du boom des réseaux. «La mise en réseau de la foule produit une redistribution de l’autorité. Dix mille blogueurs mobilisés autour d’un discours disposent de pouvoir», dit-il. Mais quel pouvoir ? Dans le petit chapitre qu’il dédie à #Metoo, Jacques Blamont questionne l’impact des réseaux : #Metoo permet-il de changer le monde ?
#Metoo peut-il changer le monde ?
A priori, Jacques Blamont se méfie : le hashtag, dit-il, ne favorise guère que le clicktivisme (la protestation en-un-clic). Critiquant ce «mode d’engagement peu contraignant qui flatte à moindres frais la bonne conscience de pratiquants faiblement politisés», le chercheur dénonce les limites de cette forme d’action : ponctuelle, éphémère et émotionnelle, elle ne favorise ni la réflexion, ni la nuance. Retwitter un #Metoo, par exemple, cela signifie-t-il qu’on s’est fait pincer la fesse ou qu’on a été violée ? #Metoo entretient la confusion entre harcèlement et viol, au détriment des vraies victimes. Il est par ailleurs difficile d’évaluer l’impact de ce hashtag. On sait qu’il a encouragé les femmes à raconter ce qu’elles ont vécu. Dans les mois qui suivent l’affaire Weinstein, le nombre de plaintes pour agressions sexuelles augmente brutalement (+ 31 % au quatrième trimestre 2017 par rapport à 2016). Mais le hashtag a-t-il rendu les femmes plus fortes ? Leur a-t-il donné les moyens de résister aux prédateurs dans la vraie vie ? Il est encore trop tôt pour savoir. Une seule chose de sûre : le niveau d’intolérance aux abus sexuels et au sexisme a augmenté. La parole s’est déliée.
Celle dont le post a fait tomber le patron d’Uber
Dans le dossier du NY Times illustré par John Yuyi, une journaliste raconte le cas de Susan Fowler, l’ingénieure qui a fait tomber le patron d’Uber en 2017. «Elle s’était adressée au service des ressources humaines. Puis à ses supérieurs. Puis elle avait changé de service. Mais tout cela n’avait rien changé. Les messages sexuels et sexistes qu’elle recevait en tant qu’ingénieure chez Uber ne cessaient pas. Alors elle publia en ligne un post de 3000 mots sur son blog, en racontant l’histoire. Un an plus tard, une vingtaine de dirigeants (incluant le prédateur milliardaire Travis Kalanick) avaient été éjectés de l’entreprise. […] C’était à l’époque où les murmures en ligne s’étaient transformés en cris. Brusquement, les femmes pouvaient se faire entendre, les gens les écoutaient et les coupables payaient les conséquences. Une des raisons de ce changement, c’est que les médias sociaux fournissaient une plate-forme aux victimes, un réseau d’allié(e)s et une présence publique impossible à faire taire. Les médias sociaux, en dépit de leurs inconvénients, constituent désormais une puissance démocratique.»
Retwitter un hashtag : geste citoyen ou simulacre d’action ?
Pour la journaliste du NY Times, on ne peut que se féliciter de l’expansion des réseaux : ils donnent aux femmes la sensation rassurante qu’elles ne sont plus seules. «Même si ces réseaux favorisent les abus, ajoute-t-elle, puisqu’ils peuvent tout aussi bien servir à répandre des fausses accusations.» C’est sur ce point que Jacques Blamont se montre le plus critique. Retwitter un hashtag est-il un geste citoyen ou un simulacre d’engagement ? «Ce simulacre asphyxie les pratiques militantes en leur substituant un fantasme d’action. Twitter devient un tribunal virtuel dominé par l’intimidation collective. La foule se transforme en horde prête au lynchage. Même s’il est difficile d’évaluer l’impact des hashtags, on peut craindre leur nuisance médiatique.» En dépit de ces réserves, force est cependant de reconnaître la vérité. Plus rien ne peut arrêter le mouvement. Des communautés se forment en ligne. «Les citoyens n’attendent plus qu’on leur propose de participer, ils se prennent eux-mêmes en main. Ils pétitionnent, posent des questions, élaborent des réponses. […] Le Web devient la place centrale du débat ; il sera non plus un lieu de divertissement mais celui où se créent cultures, valeurs et peut-être action.»
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A LIRE : Réseaux ! Le pari de l’intelligence collective, de Jacques Blamont, CNRS éditions, 2018
A VOIR : Taïwan New Wave - Xanadu Motion, du mercredi 18 au samedi 21 septembre 2019, de midi à 19h. Espaces Commines : 17 rue commines, 75003 Paris.
L’agence d’édition design alamak!project, à Singapour et Tôkyô, avec la galerie Pon Ding 朋丁 à Taipei, ont choisi ces jeunes artistes et créateurs taïwanais pour leur recherche multi-disciplinaire, de la mode à la photographie, du dessin à la vidéo, de l’artisanat à la performance.
POUR EN SAVOIR PLUS : un excellent article de Mixte Magazine sur John Yuyi.
Ils sont nés avec les réseaux sociaux. Jusqu’au 21 septembre, l’Espace Commines, à Paris, accueille la nouvelle génération des créateurs taïwanais. Quelle est leur vision du monde ? Pourquoi font-ils de l’art avec #Metoo ?
Pour l’artiste Instagram John Yuyi, l’avenir c’est le branding digital : ses images montrent des humains tagués comme du bétail. Certains affichent la date de livraison sur le front. D’autres portent #Metoo sur le bout de la langue. Ou arborent sur les joues des icônes adhésives, pareilles à des tatouages… Ces oeuvres datent de 2018. John Yuyi les réalise pour illustrer un dossier spécial post-humain du New York Times. Consacré à l’impact des visuels numériques, le dossier commence par cette phrase : «Allons droit au but : ce que vous êtes en train de faire, lire de la prose sur un écran, c’est bientôt dépassé.» Pour l’éditorialiste, il s’agit de faire son deuil de «la pensée argumentée». Elle est has been, dit-il. Les gens préfèrent communiquer à l’aide de hashtags, de gifs ou d’instagrams. Les messages mêlant audio et visuel ont d’ailleurs tellement de succès que certains agitateurs politiques comme George Soros et la famille Mercer ont investi dans la fabrique de memes. Le financement de comptes Twitter relève du trafic d’influence et les YouTubeurs font plus vendre que les publicités papier. C’est le signe d’un changement d’ère, conclut le NY Times.
Taïwan New Wave
Tout comme les autres artistes exposés (jusqu’au 21 septembre à l’Espace Commines), John Yuyi ne juge pas. Elle se contente de donner corps à cette nouvelle réalité, celle des individus connectés. Le styliste Wang Liling, par exemple, conçoit des vêtements qui hybride les textiles et les matériaux conducteurs. La joaillère Fanny Tsai fabrique des bijoux qui semblent dématérialisés. Les créateurs de la revue 8G rising formatent leurs images pour une réalité augmentée dont ils anticipent déjà l’usage et dont ils font un outil de revendication LGBT. Taïwan est le premier pays d’Asie à légaliser le mariage pour tous. Taïwan fait aussi partie des 5 principaux producteurs de circuits intégrés. C’est Taïwan qui (de pair avec les 4 autres grands groupes de producteurs) a fait de la loi de Moore un objectif à suivre : depuis 1998, le célèbre rapport ITRS (International Technology Roadmap for Semiconductor) affiche comme but une multiplication par deux des performances des composants, tous les dix-huit mois, en même temps qu’une diminution de 50% des coûts.
En 2017, 80% des puces sont fabriquées à Taïwan
La loi de Moore n’était, en 1965, qu’une simple observation. Elle est devenue auto-prédictive. Les experts de l’ITRS y veillent. Résultat : depuis 1994, il se vend plus d’ordinateurs que de voitures. Les puces prolifèrent. Taïwan en est le premier fabriquant au monde. La quantité de données digitales augmente de façon exponentielle, bouleversant tout le système : «La pénétration des composants à l’intérieur des équipements qui supportent toute la communication des individus, des groupes nationaux ou des entités économiques leur a donné en quelques années le rôle de colonne vertébrale de l’activité humaine», résume Jacques Blamont (co-fondateur de l’Agence spatiale française, le CNES) dans Réseaux !, un ouvrage publié aux éditions CNRS en 2018. Le chercheur y dissèque les conséquences du boom des réseaux. «La mise en réseau de la foule produit une redistribution de l’autorité. Dix mille blogueurs mobilisés autour d’un discours disposent de pouvoir», dit-il. Mais quel pouvoir ? Dans le petit chapitre qu’il dédie à #Metoo, Jacques Blamont questionne l’impact des réseaux : #Metoo permet-il de changer le monde ?
#Metoo peut-il changer le monde ?
A priori, Jacques Blamont se méfie : le hashtag, dit-il, ne favorise guère que le clicktivisme (la protestation en-un-clic). Critiquant ce «mode d’engagement peu contraignant qui flatte à moindres frais la bonne conscience de pratiquants faiblement politisés», le chercheur dénonce les limites de cette forme d’action : ponctuelle, éphémère et émotionnelle, elle ne favorise ni la réflexion, ni la nuance. Retwitter un #Metoo, par exemple, cela signifie-t-il qu’on s’est fait pincer la fesse ou qu’on a été violée ? #Metoo entretient la confusion entre harcèlement et viol, au détriment des vraies victimes. Il est par ailleurs difficile d’évaluer l’impact de ce hashtag. On sait qu’il a encouragé les femmes à raconter ce qu’elles ont vécu. Dans les mois qui suivent l’affaire Weinstein, le nombre de plaintes pour agressions sexuelles augmente brutalement (+ 31 % au quatrième trimestre 2017 par rapport à 2016). Mais le hashtag a-t-il rendu les femmes plus fortes ? Leur a-t-il donné les moyens de résister aux prédateurs dans la vraie vie ? Il est encore trop tôt pour savoir. Une seule chose de sûre : le niveau d’intolérance aux abus sexuels et au sexisme a augmenté. La parole s’est déliée.
Celle dont le post a fait tomber le patron d’Uber
Dans le dossier du NY Times illustré par John Yuyi, une journaliste raconte le cas de Susan Fowler, l’ingénieure qui a fait tomber le patron d’Uber en 2017. «Elle s’était adressée au service des ressources humaines. Puis à ses supérieurs. Puis elle avait changé de service. Mais tout cela n’avait rien changé. Les messages sexuels et sexistes qu’elle recevait en tant qu’ingénieure chez Uber ne cessaient pas. Alors elle publia en ligne un post de 3000 mots sur son blog, en racontant l’histoire. Un an plus tard, une vingtaine de dirigeants (incluant le prédateur milliardaire Travis Kalanick) avaient été éjectés de l’entreprise. […] C’était à l’époque où les murmures en ligne s’étaient transformés en cris. Brusquement, les femmes pouvaient se faire entendre, les gens les écoutaient et les coupables payaient les conséquences. Une des raisons de ce changement, c’est que les médias sociaux fournissaient une plate-forme aux victimes, un réseau d’allié(e)s et une présence publique impossible à faire taire. Les médias sociaux, en dépit de leurs inconvénients, constituent désormais une puissance démocratique.»
Retwitter un hashtag : geste citoyen ou simulacre d’action ?
Pour la journaliste du NY Times, on ne peut que se féliciter de l’expansion des réseaux : ils donnent aux femmes la sensation rassurante qu’elles ne sont plus seules. «Même si ces réseaux favorisent les abus, ajoute-t-elle, puisqu’ils peuvent tout aussi bien servir à répandre des fausses accusations.» C’est sur ce point que Jacques Blamont se montre le plus critique. Retwitter un hashtag est-il un geste citoyen ou un simulacre d’engagement ? «Ce simulacre asphyxie les pratiques militantes en leur substituant un fantasme d’action. Twitter devient un tribunal virtuel dominé par l’intimidation collective. La foule se transforme en horde prête au lynchage. Même s’il est difficile d’évaluer l’impact des hashtags, on peut craindre leur nuisance médiatique.» En dépit de ces réserves, force est cependant de reconnaître la vérité. Plus rien ne peut arrêter le mouvement. Des communautés se forment en ligne. «Les citoyens n’attendent plus qu’on leur propose de participer, ils se prennent eux-mêmes en main. Ils pétitionnent, posent des questions, élaborent des réponses. […] Le Web devient la place centrale du débat ; il sera non plus un lieu de divertissement mais celui où se créent cultures, valeurs et peut-être action.»
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A LIRE : Réseaux ! Le pari de l’intelligence collective, de Jacques Blamont, CNRS éditions, 2018
A VOIR : Taïwan New Wave - Xanadu Motion, du mercredi 18 au samedi 21 septembre 2019, de midi à 19h. Espaces Commines : 17 rue commines, 75003 Paris.
L’agence d’édition design alamak!project, à Singapour et Tôkyô, avec la galerie Pon Ding 朋丁 à Taipei, ont choisi ces jeunes artistes et créateurs taïwanais pour leur recherche multi-disciplinaire, de la mode à la photographie, du dessin à la vidéo, de l’artisanat à la performance.
POUR EN SAVOIR PLUS : un excellent article de Mixte Magazine sur John Yuyi.