Journaliste et producteur, Alex Taylor a animé de nombreuses émissions. D’abord à FG puis pour France 3 (avec la célèbre émission « Continentales »), Pink TV et Arte. Journaliste à France Inter, à la BBC et à Vox (Allemagne), il a aussi été le directeur des programmes de RFI. Il a publié le Journal d’un apprenti pervers (Lattès, 2007) et Bouche bée, tout ouïe (Lattès, 2010). De septembre 2010 à juin 2011, il coprésente la tranche matinale de France Musique, avant d’animer sur cette même antenne une émission de rencontres « Voyage en moi Majeur ». Il anime sur France Inter chaque matin la revue de presse internationale.
Résumé
La vie d’Alex Taylor avait atteint son altitude de croisière, la cinquantaine tranquille, carrière de journaliste « européen » entre Paris, Berlin, Bruxelles. Jusqu’à un coup de fil qui l’oblige à tout laisser tomber pour rentrer s’occuper de son père, 90 ans, et atteint de la maladie d’Alzheimer.
Extrait
Mon père possédait de vieilles pendules. Il passait son temps à réparer le temps. Je le vois, cheveux longs et rebelles, soulever avec précaution les cadrans de ces horloges qui ont marqué les innombrables o’clock de sa vie et de ma jeunesse. Insérant une clef dans le mécanisme, il la tournait doucement, permettant au temps de poursuivre son œuvre dans le continuum des Taylor.
Souvent il récupérait ces horloges dans les écoles cornouaillaises dont il était l’inspecteur. La plupart d’entre elles étaient abandonnées ou détraquées. Souvent, il suffisait d’un peu de tendresse, de simple « T.L.C. », tender loving care, comme il disait. Parfois, c’était plus long. Un crayon niché derrière son oreille, il décalait chaque jour d’un iota leur centre de gravité contre le mur. Une petite marque, finement tracée sur le papier peint, indiquait chaque nouvel emplacement.
J’ai hérité de lui mon obstination. Il ne lâchait pas prise, tant que ces engins ne rattrapaient pas leurs heures perdues. Une fois il avait trouvé, dans une brocante, une vieille pendule française avec les mots « Saint-Denis » écrits sur le cadran. Loin de son home, Dieu sait quels aléas de la vie avaient fait qu’elle atterrisse au début des années 1970 à Morwenstow, quelque part au nord de Bude. Cette horloge avait du caractère. Si elle était restée en France, une version de mon père aurait dit qu’elle « n’était pas commode » !
Crânement, la mutine refusait d’obtempérer aux imprécations de mon géniteur, accusant des écarts de plus en plus excentriques. Il se levait le matin rien que pour vérifier l’heure qu’elle indiquait, de plus en plus éloignée de l’heure réelle. Mon père a néanmoins remporté la partie, et un beau matin l’insoumise a fini, en guise de reddition, par livrer l’heure exacte dans un enchaînement glorieux de gongs en parfait unisson avec les bips de la BBC !
Mon avis
Alex Taylor a quitté l’Angleterre il y a plus de trente ans sans vraiment de raisons et surtout, sans en chercher les raisons. Alors qu’il y revient pour accompagner son père atteint d’Alzheimer dans ses dernières semaines de vie, le journaliste se pose plein de questions. Etre Anglais, Européen et gay même, qu’est-ce que cela veut dire ? Qui est-il, lui qui se définit auprès des autres comme un déraciné à vie ?
A force de retrouver des souvenirs quelquefois bien cachés au fond de sa mémoire, Alex Taylor se rend compte d’une chose : lorsque son père ne sera plus là, il n’aura plus aucune raison de revenir dans le pays qui l’a vu naître, tous les membres de sa famille seront morts. Il se rend compte aussi, pour la première fois, des sacrifices qu’ont fait ses parents et sa belle-mère dans leurs vies, des gestes d’amour qu’ils ont eus pour que l’enfant qu’il était puisse grandir normalement, pour que l’adulte qu’il est aujourd’hui vive sans souci. Ainsi, c’est sa belle-mère qui désherbe la tombe de sa mère depuis des années, c’est elle qui lui a donné une lettre d’amour que son père avait écrite à sa mère.
Quand as-tu vu ton père pour la dernière fois ? est un essai émouvant sans être triste puisqu’il contient des anecdotes teintées d’humour. Il parlera sans aucun doute à toutes celles et ceux qui reviennent pour un temps sur les traces de leur enfance.
Quand as-tu vu ton père pour la dernière fois ?, Alex Taylor, éditions JC Lattès collection Essais et Documents 231 pages 17 €