Human nature est un recueil de photographies réalisées par le japonais Daikichi Amano. En parcourant rapidement les clichés, les connaisseurs penseront immédiatement à genki genki, les délires gentiment zoophiles de pornographes passionnés par l’union entre les jeunes femmes et des créatures de l’océan. Et pour cause, Daikichi Amano en est l’instigateur. Si genki genki donne dans le hard-crad (malgré tout les parties génitales restent censurées!), Human Nature est plus subtil et propose une mise en scène élaborée, un travail sur le fond (les situations) et sur la forme (les textures animales, végétales et humaines).
Ne nous y trompons pas, même si Daikichi Amano présente là des oeuvres d’art dont l’esthétique explose les mirettes, il reste aussi un ancien réalisteur de porno hardcore. On est donc sans cesse ballotté entre des sentiments antagonistes : l’excitation, la répulsion, la beauté des corps, l’horreur biologique. Il faut sans doute chercher du côté des fluides liés à la sexualité, qui rappellent le mucus poisseux des bêtes de la mer. Cronenberg et son exploration du corps et des organes, ne sont pas très loin. Le canadien expérimente à travers la fiction mais Daikichi est beaucoup proche de la réalité.
Le texte est signé Agnès Giard, miss spécialiste des perversion japonaises. Elle revient justement sur cette obsession typiquement japonaise, de tentacules sondant les orifices de jeunes femmes, qui serait née de la célèbre estampe d’Hokusai, “le rêve de la femme du pêcheur”. Les tentacules ainsi que les anguilles ne sont finalement que des substitutions graphiques du pénis. Même si le rapprochement est osé, il reste somme toute assez logique. Mais Daikichi ne se contente pas d’illustrer cela, il met en scène de véritables orgies. Agnès Giard tente d’expliquer l’art de Daikichi Amano, en dressant des parallèles avec la culture japonaise, la pornographie locale, la mythologie. Elle donne des détails sur la manière dont travaille l’artiste.
Le livre vous apprendra quelques détails sur les animaux aquatiques. Certains vivent longtemps en dehors de l’eau; c’est le cas de l’anguille, fréquemment utilisé dans le “genre”. Amano n’utilise pas exclusivement des créatures marines. On trouve aussi des scorpions, des blattes, d’énormes larves, des batraciens ou des vers de terre ! Au fur et à mesure que l’on parcourt les pages du livre, ces étranges et improbables unions deviennent peu à peu surréalistes, sorte de rencontre entre les peintres du siècle d’or néerlandais et le poissonnier du coin. En quatrième de couverture, Marilyn Manson résume assez bien l’oeuvre de l’artiste : “une combinaison de Jean Cocteau et Jacques Cousteau”.
Chaque photo est fascinante, souvent choquante et permet de s’interroger sur les liens entre humains et animaux. Bizarrement, les plus dures à contempler sont celles avec les poulpes. Par leur côté visqueux, leurs huit bras leurs ventouses ultra-collantes, les céphalopodes inspirent peur et répulsion. Encore plus effrayants : ces animaux comptent parmi les plus intelligents, juste après les dauphins. Daikichi a créé une série de mutants dignes de la mythologie grecque : des humains à tête de cerf ou de sanglier, une femme aux cheveux représentés par un poulpe posé sur le crâne, d’étranges créatures humanoïdes faites de plumes ou de végétaux. L’artiste semble bien entendu préférer les femmes (peut-être sont-elles aussi plus courageuses!) mais on trouve aussi quelques modèles masculins.
Les japonais n’ont, semble-t-il, pas les mêmes tabous que les occidentaux. Il faudra donc une certaine dose de courage pour apprécier certaines photos, proprement horribles. A chacun de voir si la curiosité et le goût pour la transgression peuvent surpasser le dégoût. On pourra trouver dérangeant de voir des filles en contact avec des tas de créatures visqueuses, mais le plus dérangeant est certainement la mise à mort des bestioles. Amano n’hésite pas à tuer son vivier au nom de l’art; ce qui avait déjà fait polémique dans Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato. Ce dernier s’était défendu en disant que de toute façon, les animaux massacrés l’étaient par les tribus indigènes pour leur propre consommation. Daikichi utilise le même prétexte et affirme que les bêtes comestibles sont cuisinées puis dégustées par l’équipe participant au tournage. A travers ces pratiques, c’est toute la relation des insulaires japonais avec l’océan qui se dessine.
La qualité de l’ouvrage est de très haute tenue et la taille des photos permet d’apprécier le travail minutieux sur les couleurs, les éclairages et les complexes mélanges de textures végétales, animales ou humaines. Le livre est publié par les éditions bongout.org, une boîte indépendante allemande située à Berlin. Le texte est proposé en deux langues : anglais, français. 132 pages, 23,5 x 30 cm. On peut trouver Human Nature notamment à la boutique Hors-Circuits à Paris.
Site officiel : http://www.daikichiamano.com/