Une
tribune publiée sur LeMonde.fr fin janvier et intitulée
Aux associations de défense des homosexuels en France de dénoncer l’intégrisme musulman reproche aux organisations LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) françaises de rester silencieuses face à l’islamisme. Face à des postulats fondamentalement erronés, voire fallacieux, il paraît nécessaire de présenter une autre perspective sur cette question.
L’auteur de cette tribune accuse les associations LGBT françaises d’avoir abandonné « les homosexuel-le-s français-e-s issu-e-s de l’immigration maghrébine et africaine, (…) tous les homosexuels de culture ou confession musulmane vivant sur notre sol », à qui il conviendrait d’envoyer un « message d’amitié et d’espoir » (sic). Curieuse affirmation qui postule une séparation radicale entre les associations LGBT et les homosexuel-le-s musulman-e-s, là où la réalité est plus complexe et nuancée. Derrière la générosité de façade, de tels propos trahissent surtout la vision foncièrement paternaliste et condescendante de leur auteur : ce serait aux associations LGBT (exclusivement « blanches », si on suit cette logique) de « tendre la main » aux homosexuel-le-s musulman-e-s, éternels mineurs incapables de se prendre en charge.
Il existe des associations d’homosexuel-le-s musulman-e-s
En réalité, « les homosexuels de culture ou confession musulmane vivant sur notre sol » n’ont pas attendu un « sauveur blanc » pour s’organiser par eux-mêmes, comme en atteste par exemple l’existence, depuis 2010, du collectif Homosexuels Musulmans de France (HM2F), mené par Ludovic Mohamed Zahed. Loin d’être ignoré par les autres associations, ce collectif fait partie de certaines des structures inter-associatives LGBT les plus importantes, comme la Fédération LGBT, le Réseau d’aide aux victimes d’agression et de discrimination (RAVAD) ou l’International Lesbian and Gay Association (ILGA).
Et lorsque ses membres rencontrent effectivement des difficultés avec d’autres instances associatives, ce n’est nullement parce que ces dernières chercheraient à les faire taire au nom de la lutte contre l’islamophobie : c’est précisément, à l’inverse, parce que la double identité musulmane et homosexuelle pose manifestement problème à certains militants associatifs. C’est ainsi que l’Inter-LGBT (dont sont pourtant membres des associations chrétiennes et juives) a refusé l’adhésion du collectif HM2F en 2011.
D’autres exemples viennent contredire la thèse erronée selon laquelle les associations LGBT françaises se désintéresseraient du sort des homosexuel-le-s musulman-e-s par peur d’être accusées d’islamophobie. Citons ainsi la solidarité manifestée de ce côté-ci de la Méditerranée avec l’association LGBT tunisienne Shams (en photo), qui subit actuellement de fortes pressions de la part des autorités de Tunis.
Un contexte d’homonationalisme délibérément occulté
Depuis le début de ce siècle, on observe partout en Europe une extrême-droitisation de l’électorat gay, qui se tourne de plus en plus largement vers des partis faisant de la dénonciation de l’islam et des musulmans leur fond de commerce électoral. On est en réalité loin, très loin, d’une supposée indulgence des homosexuels occidentaux à l’égard de l’islamisme radical… Ce phénomène inquiétant, largement commenté ailleurs, est ici totalement passé sous silence.
Les associations LGBT ne peuvent pourtant faire abstraction de ce contexte. L’auteur de cette tribune semble attendre d’elles la même attitude (faite de méfiance et de vigilance critique) à l’égard de l’islam que celle qu’elles manifestent habituellement à l’égard du christianisme, dès lors que des représentants de ces deux religions prétendent s’immiscer dans nos vies sexuelles. C’est oublier qu’on ne peut pas se positionner de la même manière face une religion installée, institutionnalisée, majoritaire en Europe depuis des siècles, et face à une religion minoritaire, dont les fidèles sont en butte à un racisme croissant.
Quel rôle pour les associations LGBT ?
Le rôle des associations LGBT n’est pas de dénoncer pour dénoncer : est-il besoin de souligner la barbarie évidente des décapitations d’homosexuels auxquelles procède Daesh ? Qui, au juste, conteste l’horreur de ces exécutions ? Qui ne les condamne pas ? Plutôt que d’enfoncer des portes ouvertes, les associations LGBT doivent d’abord réfléchir à ce qu’il leur est possible de faire, ici et maintenant, avec leurs moyens limités, pour être de « bons alliés » des homosexuel-le-s de religion ou de culture musulmane.
Cela nécessite en premier lieu d’entendre ce qu’ils ont à dire, de prendre conscience que leur expérience se situe bien souvent au carrefour de multiples discriminations : l’homophobie, bien sûr, mais aussi et tout autant le sexisme, le racisme, l’islamophobie… Cela demande de leur laisser toute la place à laquelle ils ont droit dans les structures déjà existantes. De leur apporter leur soutien quand ils le demandent. De ne pas prétendre s’exprimer à leur place. C’est une réflexion nouvelle qui doit s’ouvrir, bien au-delà d’une simple dénonciation manichéenne vertueuse.
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