En ce mois de mai 2021, France TV Slash, la chaîne numérique et orientée “jeunes adultes” de France Télévisions s’intéresse à l’industrie adulte. Dans le cadre de sa série Génération 2021, la chaîne sort un troisième épisode consacré au porno amateur, avec Hugo Clément.
Ça fait déjà quelques temps que les médias mainstream se penchent sur le porno et le milieu de l’industrie adulte. Parfois voyeuriste, cette tendance s’est accélérée avec les confinements, la prise de vitesse d’Onlyfans et l’explosion du porno home made. Soudain, de nouvelles personnes se retrouvent sous les feux de la rampe : les amateur·ice·s. Loin des gros studios de production qu’on connait bien, ou des pornstars que l’on voit en home page des tubes, une nouvelle génération de performer·euse·s arrive et bouscule tout. En couple, en solo, ils et elles produisent du contenu plus intimiste, parfois « à la carte » et brouillent les frontières entre la performance et la réalité. Plus proches de leur public, ces nouvelles têtes s’imposent visiblement comme le futur du porn, abîmé par les bouleversements de la société qui nous entoure.
Dans cet épisode de Génération 2021, on retrouve à l’écran James Okko, le trio En Marche Noire, Diane Armoiz, et d’autres intervenant·e·s, parfois anonymisé·e·s. On y parle du quotidien des performers, de leur vision du travail du sexe. James s’y décrit comme « un influenceur du sexe », tandis que d’autres évoquent la création de contenus érotiques et pornographiques. Les séquences s’enchaînent, entre discussions posées et interviews dans la pénombre. Une jeune femme raconte sa descente aux enfers après avoir commencé à vendre des nudes sur Twitter puis être devenue escort. On parle des mineurs sur les plateformes telles qu’Onlyfans, ou Pornhub. Le tableau dressé n’est clairement pas reluisant, malgré les efforts des intervenants pour redresser le tir. On tombe très vite dans le pathos, on oublie la liberté du business à la maison et l’empowerment pour sombrer dans le « drame sombre » de la prostitution et de la pédocriminalité.
La question de l’argent est omniprésente dans cette vidéo. Que ce soit pour Jen qui raconte sa détresse étudiante et le poids moral qu’a eu l’aspect économique sur sa décision, la relation « sincère tarifée » de Diane ou encore le salaire de James : visiblement, les journalistes n’ont pas eu envie de passer à côté de l’évocation des gros sous.
Les réactions des internautes
Le public a fait à ce documentaire un accueil digne de ce qu’Internet nous propose souvent : « c’est l’apologie de la prostitution », « inciter les jeunes générations à perdre toute dignité »… Bref, le discours réactionnaire habituel, même venant d’une plateforme « jeune » comme Slash. La positive attitude qu’on aurait pu espérer n’est toujours pas au rendez-vous.
Mais voilà, si le documentaire a de bonnes intentions et offre un propos relativement honnête, En Marche Noire signale sur son compte Twitter et via Instagram être en désaccord avec la production et Hugo Clément quant à leur apparition dans l’émission.
Un texte publié par En Marche Noire sur les réseaux sociaux
Voilà ce qu’en pense le trio : « On est des amateurs, on n’a pas l’habitude de se montrer. On s’est demandé pourquoi on participait. Nous on ne faisait pas ça que pour l’expérience, mais aussi et surtout pour être présents sur les différents canaux de France TV. L’équipe de tournage était super. Finalement, la date de diffusion a été reportée, et on a été prévenus le jour même de la sortie, et la journaliste qu’on avait eu en contact nous prévient que finalement la plage horaire est restrictive et la diffusion sera moins large que prévue. Les délais sont liés au -16 et au caractère pornographique. On nous explique qu’il y a eu bataille avec la direction. Nous, ce qu’on ressent, c’est qu’il y a eu volonté de censure. On a eu l’impression d’être pris en traître, d’être prévenus au dernier moment. Notre intervention n’est même pas disponible sur l’extrait du document sur Youtube.”
“On a prévenu la production qu’on s’opposait à la diffusion”
« C’est notre image, et on est inquiets que tout ça se fasse sans nous en parler, on ne comprend pas ce qui se passe », reproche le collectif. « Donc on a décidé de prévenir la production qu’on s’opposait finalement à la diffusion de ce document, puisqu’on a signé aucun accord de cession de droit ou quoi. Ils ont supprimé un commentaire de notre part sur Instagram sous un post où l’on expliquait. Tout ce qu’on souhaite aujourd’hui, c’est qu’ils retirent notre image. Par principe, on n’est pas d’accord avec le cheminement qu’a pris la diffusion du documentaire. »
Quand le trio s’est exprimé sur les réseaux sociaux, Hugo Clément a réagi, en avançant que l’accord de diffusion avait été discuté en amont et que le droit d’information primait sur leurs réclamations. Mais ce que le trio En Marche Noire regrette, c’est plutôt la manière dont les choses ont été faites sans considération pour leur démarche.
Histoire d’en savoir un peu plus, on a voulu demander aux autres participants comment l’expérience s’était déroulée pour eux. James Okko nous a résumé son ressenti : « Ça arrive souvent, que les médias et autres se cachent derrière le droit à l’image, pour diffuser des trucs qu’on n’avait pas prévus. Et puis même, il faut comprendre qu’on est souvent contactés, et être sollicité gratuitement c’est déjà du temps, on comprend la volonté de nous faire intervenir mais il faut aussi respecter nos volontés. »
James, dans l’épisode de Génération 2021
Le performer a pourtant vécu une bonne expérience lors du tournage : « De mon point de vue, tout s’est bien passé, la communication super, l’équipe qui est venue chez moi était composée de gens intéressés par le sujet, de gens à l’écoute. Ils étaient assez tatillons, c’est le propre du journaliste, mais comme c’est une équipe jeune, c’était fun. J’ai accepté parce que je pensais que c’était bien de donner une image positive de ma profession. » Ses reproches se trouvent à un autre niveau : « Pour moi, on a un problème sur le format et les obligations du journalisme. On n’a pas du tout les mêmes objectifs à l’issue d’un documentaire comme ça. C’est tellement éloigné qu’on ne peut pas s’entendre sur le format ni le fond. Nous on veut essayer de changer l’image que peut avoir le milieu du porn ou au moins d’éduquer un peu les gens à ces nouvelles formes de créations de contenu qui challengent et bousculent un peu les codes établis du monde de l’adulte, sans pathos. Eux veulent faire de l’audience. »
Un manque d’objectivité
Comme le résume très bien James, la volonté des médias de faire des vues, du clic et de l’engagement entre trop souvent en contradiction avec la volonté des créateur·ice·s de parler de leurs contenus et de leur métier de manière simple et positive.
Évidemment, il ne s’agit pas de faire la promotion ouverte des contenus pornographiques, ni d’en faire la publicité. Mais la question du respect des intervenant·e·s se pose ici : pourquoi ne pas traiter plus simplement cette profession, comme on le ferait avec des restaurateurs, des musiciens ou des comptables ? Il est évident qu’il faut parler de tous les aspects des différents métiers du travail du sexe. Mais les médias mainstream sont malheureusement focalisés sur les aspects négatifs, et cherchent souvent le drame pour faire monter les audiences.
La stigmatisation des travailleur·euse·s du sexe est systématique. Aujourd’hui, les médias doivent réagir, et traiter le sujet autrement. Les problématiques du milieu de l’adulte ont besoin d’être considérées avec plus de positivité et surtout objectivité.