Jayne Mansfield est morte dans un accident de voiture. «La plus futée des blondes idiotes de Hollywood» emporte avec elle un secret : était-elle la prêtresse d’un culte à Satan ? Diffusé au Festival du Film Underground de Lausanne (LUFF), le documentaire “Mansfield” lève le voile.
On
peut tout écrire et tout dire après la mort de quelqu’un, plein de mensonges,
surtout s’il s’agit d’une star de Hollywood. Quand Jayne Mansfield est tuée, le
19 juin 1967, lorsque sa Buick passe sous l’arrière d’un
camion-remorque, près de la Nouvelle Orléans, des reporters photographient son
cadavre qui gît sur le bas côté et –remarquant la présence d’une chevelure
blonde dans les débris de la voitures– en déduisent que Jayne Mansfield a été
décapitée. La réalité est à peine moins atroce : Jayne a été scalpée. Presque
immédiatement, des gens sont prévenus, parmi ceux qui connaissaient l’actrice.
Le créateur de l’église de Satan, par exemple. Il fait partie des premiers à
savoir.
Photo de Jayne découpée au ciseau
Il
s’appelle Anton LaVey et la nouvelle de l’accident l’inquiète. «Car le matin
de la mort de Jayne, il est seul, et découpe dans un journal allemand des
photos de lui en train de fleurir la tombe de Marilyn Monroe. Et tandis qu’il
découpe, quelque chose en lui, dans son être, se passe, lors d’un coup de
ciseau précis. Quand il a fini, il tourne la page et se rend compte que sur
l’autre face, il y a une photo de Jayne Mansfield. et que ses ciseaux lui ont
coupé le cou. Puis, juste après, on l’appelle au téléphone, car bien sûr, il
est la première personne qu’on appelle. On lui annonce donc la mort de Jayne,
et il se rend compte qu’il en est la cause.» Anton LaVey est-il coupable ?
Dans un documentaire fascinant – Mansfield 66/67, diffusé au LUFF dans
le cadre d’un programme dédié aux liens qu’entretenaient l’Eglise de Satan avec le showbusiness de Hollywood – toutes
sortes de témoins racontent : John Waters, Kenneth Anger, Mamie van Doren, le fils d’Anton LaVey, etc, contribuant à faire du mythe un miroir révélateur de notre société.
Une
blonde idiote, sexy, un peu tarte et fêlée ?
Ca
commence par la vie de Jayne, «née Vera Jayne Palmer qui se rend à Hollywood
avec un soutien-gorge 105 G» et un QI de 163 (le même que celui
d’Einstein), bien décidée à crever l’écran. Les producteurs l’embauchent pour
faire peur à Marylin Monroe, pour lui montrer qu’elle est remplaçable, «parce
que Marilyn ne travaillait quasiment plus». Mais Jayne Mansfield ne se voit
pas donner les mêmes chances que Monroe : on la cantonne dans les rôles de
dinde, ce qu’elle fait du mieux qu’elle peut, avec autant d’ironie que possible
et des couinements inimitables, mais… Comment faire pour sortir de ces rôles
d’idiote ? Jayne en rajoute des couches et s’auto-parodie. Les témoins parlent
de son outrance : «elle cultivait l’absurde». Elle tombe amoureuse d’un
culturiste hongrois, Mickey (alias Monsieur Univers) et vit avec lui dans une
palais rose, avec des coeurs partout.
«Que
ce soit en bien comme en mal, on parlait toujours d’elle»
Elle
a besoin de se faire remarquer, comme une junkie. Même ses enfants, qu’elle
pond à la chaîne et les chihuahuas qu’elle collectionne doivent faire l’objet
des couvertures. Il faut qu’elle soit médiatisée : «Pour moi, elle était...
la première star de télé-réalité.» Rendant sa vie publique,
Jayne Mansfield devient la femme la plus photographiée des années 1950 mais ses
choix la perdent. «Donc, elle a des enfants, elle prend du poids, elle prend
des coupe-faim» et c’est l’engrenage : addict aux coupe-faim, puis à
l’alcool elle accepte des rôles dans des
séries Z, des tournées de strip-teases, des séances photo pour Playboy
et va jusqu’à tourner nue dans un film. «Elle y va à fond, elle est
excessive, elle n’a aucune honte, elle a ce côté rebelle luciférien, qui se
manifeste dans son auto-promotion, mais elle porte aussi en elle les germes de
cette horrible mort sanglante qui est l’issue inéluctable de cette soif sans
limite, cette quête de la célébrité à tout prix.»
1966, «l’an 1 de l’ère de Satan» ?
Son
goût pour le show l’amène à changer de compagnon sans cesse : «Les hommes
qui embarquaient avec elle devaient être porteurs d’une promesse de lui assurer
une médiatisation. Et s’ils ne répondaient pas à ses attentes, ils étaient
«débarqués”»…au profit d’autres hommes qui n’étaient parfois que des brutes. John Waters déplore qu’elle ait eu tant de «mauvais maris, qui avaient l’air de la
battre». Le dernier partenaire de Jayne, Sam Brody, est le pire de tous :
on le décrit comme type «très malsain, violent et accro à la dope». Il
convertit l’actrice à la drogue. Jayne devient infréquentable. Pour retenir l’attention
des médias, elle a alors l’idée de devenir l’amie d’un certain Anton Szandor
LaVey, fondateur de l’Église de Satan, ex-musicien, ex-photographe pour la
police, ex-dompteur de lion, qui fait de plus en plus parler de lui : «la
nuit de Walpurgis (30 avril) de l’année 1966, il s’est rasé la tête lors d’un
rituel, à la manière des bourreaux de l’ancien temps. Et il a annoncé que 1966
serait l’an de l’ère de Satan. Buvons à
l’année 1966 ! L’an 1 !»
Le satanisme selon LaVey : baisez-vous les uns les autres
Anton
essaie d’avoir l’apparence d’un sataniste et l’image qu’il en a lui vient tout
droit du cinéma : un habit de magicien, avec la traditionnelle cape, les
petites cornes sur la tête, le bouc… Sa maison est peinte en noir. Elle est
numérotée au 666 de la rue California et son salon, transformé en temple, sert
de décor publicitaire pour des mises en scène de messe noire guignolesques.
Mais ça marche : avec deux ans d’avance sur le film Rosemary’s Baby et
la «panique satanique» alimentée par des films trash, voire pornos, relatifs au
diable, Anton fait flipper l’Amérique profonde en prenant le contre-pied de la
doctrine chrétienne : «Le christianisme dit : “Tu ne pécheras point”. Lui
dit : “Le péché, c’est génial. Faites-en tout le temps.” Tant qu’à
pécher, soyez le meilleur ! Vous voulez faire... de vilaines choses ?
Faites-les, en pleine conscience, et profitez !»
La
blonde et le sataniste : association de transgresseurs ?
La blonde sexy, féru de coeurs roses, et le sulfureux sataniste, adepte de noir :
ils font la paire. Par opportunisme et par attirance, Jayne se rapproche
d’Anton. «Elle veut être photographiée dans l’église de Satan», raconte
un témoin. Anton y voit aussi son intérêt. Le problème, c’est Sam, jaloux de
leur alliance. Anton ne le supporte pas et conseille à Jayne de le quitter, ce
qui attise encore le conflit. Un jour, Sam se conduit si mal chez Anton que
celui-ci lui jette un sort en public : «Un sort vous a été jeté et vous
mourrez en voiture d’ici un an.» Même si Anton n’y croit pas, il sait bien
que les mots possèdent un pouvoir propre. A force d’y penser, la victime du
sort peut très bien l’accomplir. Tout le monde conseille à Jayne de quitter
Sam, parce qu’elle pourrait très bien mourir avec lui dans un accident. Hélas.
Le 19 juin 1967, vers 2h30 du matin, un nuage d’insecticide –répandu dans un champ– masque la présence
d’un camion-remorque sur la route et la Buick de Jayne Mansfield s’y encastre,
tuant sur le coup l’actrice, Sam Brody, leur chauffeur et un chihuahua.
C’est l’histoire d’un sacrifice collectif, celui de la blonde stupide
Pour
les auteurs du documentaire –David Ebersole & Todd Hughes–, il est symptomatique que la vie de Jayne,
considérée (la veille de sa mort) comme une midinette vulgaire et camée, soit brusquement
devenue (après son accident) l’héroïne d’une tragédie auréolée de mystère. «Lorsqu’une
célébrité meurt, on a tout d’un coup une perception différente de ce qu’elle a été
en tant que personne. Et c’est souvent à son avantage. On invente une histoire
et on l’étaie de preuves. Mais ces preuves sont douteuses, […] il est très
difficile de savoir ce qui s’est passé. […] Elle laisse une sorte d’héritage à
jamais fascinant. On veut en savoir plus, autant que possible. C’est peut-être
ça, son héritage, cette incertitude à son égard. Le spectacle continue, en
quelque sorte. La légende de Jayne Mansfield perdure, en partie parce que,
comme tant d’autres légendes, sa vie a été très courte. Elle est morte à 33
ans. Et elle incarnait magnifiquement la beauté, la liberté sexuelle,
l’insolence, la démesure…» Le MLF commence à peine quelques années après sa
mort.
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Un
journaliste : «Jusqu’à quand pensez-vous rester un sex-symbol ?». Jayne
Mansfield : «Pour l’éternité, mon chéri.»
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A VOIR LE 18 OCTOBRE 2018, à 18h15, AU LUFF : Mansfield 66/67, réalisé par P. David Ebersole & Todd Hughes, 2017, Etats-Unis HD, couleur, anglais (st. français), 84’
SPEAK OF THE DEVIL : Ce documentaire sera diffusé dans le cadre d’un programme »Speak of the Devil«, dédié aux liens entre l’église de Satan et le cinéma : »le LUFF se penche cette année sur
l’étonnante relation qu’entretenaient l’Eglise de Satan et son fondateur
Anton LaVey avec le show-business et Hollywood en particulier. Autour
de cette entité ont gravité les Rolling Stones, les Beatles, Jayne
Mansfield, Kenneth Anger ou encore Forrest J. Ackerman; LaVey fut engagé
comme consultant sur le tournage de La Pluie du Diable, tandis que l’accès au plateau de L’Exorciste lui était interdit. Séances présentées par le révérend Steven Johnson Leyba.
A LIRE ABSOLUMENT : Jayne Mansfield 1967, de Simon Liberati, Grasset, 2011. Prix Femina.