L’espérance de vie étant ce qu’elle est aujourd’hui, nous ne pouvons ignorer la part grandissante de la population aux traits marqués par les années et les expériences qui vont avec. Les crèmes anti-rides qui abondent les rayons cosmétiques n’y changeront rien. Les « seniors » sont partout, et il faut se rendre à l’évidence, toi plus moi (plus lui, plus elle) allons un jour faire partie du gang. Où sont les femmes sexagénaires sexuellement actives ? Elles sont mères, grand-mères, conseillères sages et avisées… Mais Seigneur, qu’elles restent asexuées, vidées de toute leur énergie érotique dans notre imaginaire ! Pourquoi n’auraient-elles pas droit au plaisir, à la masturbation, à l’orgasme ? Petit tour d’horizon du tabou qui gravite mollement autour de la sexualité des seniors – plus spécifiquement, celle des femmes.
Ménopause, sexe en pause ?
La figure maternelle souffre d’un paradoxe amusant : d’un côté elle est sacralisée, intouchable, et de l’autre elle est productrice de fantasmes. Sans prendre de détours psychanalytiques, prenons simplement du recul sur certaines insultes : insulter les mères c’est toucher le point sensible de son adversaire, l’atteindre dans sa dignité – et en plus c’est facile. Entre les classiques « Nique ta mère », « Ta mère la péripatéticienne », les vaseuses « Ta mère c’est comme un compteur électrique, on lui met des coups de jus », ou encore « Ouais c’est pas ce que ta mère m’a dit hier soir »… Bienvenue au pays du bon goût !
Cependant, force est de constater que la femme qui a enfanté voit sa sexualité prendre un tournant sociétal ambigu. Pire, lorsqu’arrive la ménopause, elle sonne le gong d’une horloge biologique qui a fini de tourner. Comme une alarme qu’on ne peut pas snoozer, il faut se rendre à l’évidence : ça y est, elle ne fait plus partie de la tranche d’âge de celles qu’on admire à la télévision, qu’on envie sur les affiches de publicité, qu’on désire dans les films.
À la limite, elle se console en se disant qu’elle fait partie de celles que l’on respecte, mais elle n’en est même pas tout à fait convaincue. On ajoute à ces ruminements psychologiques un corps qui change (hormones, baisse de libido, sécheresse vaginale…) et qui semble donner raison à ceux qui aimeraient la couper socialement de son désir. En bref, la femme a franchi un cap simplement naturel, et pourtant elle panique. Et quand ses enfants se mettent à avoir des enfants à leur tour, c’est génial, mais c’est aussi un coup de plus au moral. L’aura symbolique de grand-mère grandit et l’asexualise encore un peu plus.
L’utérus hiberne, mais le clit’ fonctionne toujours très bien
La représentation a un impact important sur la manière dont on trouve sa place dans la société. Elle rassure et réconforte même les esprits les plus indépendants. Les femmes âgées apparaissent quand il s’agit de vendre de la semoule Tipiak, des confitures ou des culottes pour fuites urinaires. On a rien contre, mais soulignons que rien n’est explicitement mis en place pour que ces femmes se sentent encore sexy, belles et désirables. Cette absence de validation de l’espace public et populaire entraîne nécessairement une forme de culpabilité chez ces femmes, qui bloquent alors plus volontiers l’expression de leurs désirs.
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Pourtant, 33% de femmes se masturbent après 70 ans, selon le Centre universitaire de promotion de la santé sexuelle de l’Indiana. C’est important de les accompagner dans l’interrogation de leur corps, dans le développement d’une meilleure connaissance de leur puissance sexuelle.
Beaucoup de mamies françaises d’aujourd’hui sont issues de cette jeunesse vive qui s’est battue en mai 68. Leur voix a été assez puissante pour faire de la contraception, de l’avortement, des droits des femmes et de la reconnaissance de l’homosexualité des luttes fondamentales ! Cette libéralisation des mœurs a bouleversé les schémas traditionnels de la vie familiale et, par effet boule de neige, les constructions portées par les médias sur le sujet.
Les années 70 ont marqué un tournant dans la conception de la conjugalité et le « sexuel » a cessé d’être un péché. Les magazines féminins ont aussi actualisé leurs discours et donné une perception plus « enjouée » de la sexualité, détachée de tout jugement de valeur et de toute contrainte ou devoir domestique. Mai 68, c’était aussi le temps des slogans forts comme « vivre sans temps mort et jouir sans entraves » et c’est dans les années 70 qu’on s’est intéressé de plus près à l’orgasme féminin.
Sexagénaires sexy
Connsaissez-vous le projet du photographe New-Yorkais Clayton Cubitt, Hysterical Literature ? C’est une série de portraits vidéos féminins qui explore l’expression du plaisir féminin. Plusieurs femmes s’installent dans le même décor et lisent un extrait de leur bouquin préféré, pendant qu’un sextoy les stimule. Portons notre attention sur Janet, la plus âgée des participantes :
Janet, qui semble être sexagénaire, se retrouve installée dans le même dispositif que les autres. Ses ongles sont vernis, ses cheveux coiffés consciencieusement, elle est maquillée et mise en valeur. Elle est dans la même continuité esthétique que les autres sessions, la seule caractéristique différenciante étant son âge. C’est la vidéo dont le retour négatif est le plus notable (proportionnellement au nombre de vues et de retours exprimés par les pouces en l’air ou en bas) et qui totalise le moins de nombre de vues. Qu’est-ce qui dérange davantage le public dans la vision de cette scène ? Les commentaires de la vidéo étant désormais désactivés, on peut qu’émettre des hypothèses.
La session de Janet fait partie des dernières à avoir été postées, on peut supposer que cela a eu un impact sur le degré d’intérêt du public. Néanmoins, d’autres sessions ont été postées plus tard et continuent de comptabiliser plus de vues et de réactions positives. On doit donc considérer l’hypothèse plus directement liée au contenu de la vidéo : l’âge de cette femme provoque la gêne ou le rejet par une partie du public, qui refuse sa capacité à continuer d’éprouver du désir et de jouir.
Vas-y Frankie c’est bon
Heureusement, il y a un peu d’évolution dans les moeurs ! La preuve avec la série visionnaire Grace & Frankie, très appréciée sur Netflix. Produite et écrite par l’une des productrices de Friends (Marta Kauffman), la série montre deux héroïnes septuagénaires un peu barrées, dont l’une d’entre elles est incarnée par Jane Fonda.
Elles sont mères et grand-mères, mais elles continuent de rire à en pleurer, de prendre soin d’elles, de sortir, de baiser, de boire, de faire des conneries impulsives parce qu’elles n’ont pas le monopole de la sagesse. Et oui, la série prend en compte le fait que ce n’est pas un train de vie facile à supporter physiquement parfois. Grace & Frankie ne prétend pas évincer la réalité indéniable que représente l’instabilité de la santé à cet âge : au contraire, elle s’en fait aussi porte-parole et la tourne en dérision. On désacralise. Et on se marre, vraiment.
La série Grace & Frankie aborde la sexualité des seniors sans mépris et montre qu’on peut être sexagénaires et bien dans son corps. On parle d’homosexualité entre retraités, de tromperies, de masturbation, de plaisir (le tout sans contenu véritablement explicite, ce n’est pas l’objectif). On comprend aussi combien le marché du sexe écarte et rejette ces femmes qui, pourtant, auraient bien besoin de lubrifiants et sextoys adaptés à leur condition physique ! Enfin un succès populaire qui conjugue plaisir avec papy et masturbation avec mamie, sans rien de glauque ni dérangeant.
Prenons en compte la réalité du corps âgé, qui n’est pas seulement ridé ou affaibli. C’est un corps encore bien vivant, dont l’érotisme a aussi sa place dans la société.
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