Cet article Tumblr, le safe place queer des années 10’s provient de Manifesto XXI.
Dans ce cycle de 5 chroniques, l’auteur et journaliste
Hanneli Victoire décrypte certains phénomènes pop des années 2010 qui ont marqué la culture des jeunes queers, à l’aube d’une décennie de luttes et de conquêtes politiques.
Passé de réseau social superstar à outsider pour vieux geeks nostalgiques en l’espace d’une décennie seulement, le cas de Tumblr a de quoi surprendre. Là où Facebook, Instagram et autre X (ex-Twitter) sont devenus des monstres, le réseau social Tumblr continue quant à lui son petit chemin tranquille démarré en 2007. À la base refuge de prédilection pour les communautés de fans en tout genre, le site, entre le blog et le réseau social, devient rapidement une terre d’accueil pour les queers d’internet.
Le réseau des outsiders
Revenons en arrière. 2007 : Facebook explose un peu partout sur la planète, suivi de près par Twitter, où le monde s’enflamme et se découvre une soudaine passion frénétique pour les punchlines en 140 caractères. À côté, se développent les blogs, sur WordPress pour les plus expérimenté·es ou sur Blogger pour les néophytes, dans la belle lignée des Skyblogs. La tendance prend sur tous les segments, du voyage à la mode en passant par la mécanique. Et au milieu de tout cela ? Tumblr. Le site, créé cette année-là par l’Américain David Karp, propose un mélange entre les deux phénomènes. Morgane Tual, journaliste à la rubrique Pixels du Monde et autrice de l’ouvrage « Le Web d’avant » (2020, Huginn & Muninn) nous précise : « Tumblr est un outil de reblogging comme sur les réseaux sociaux, mais reste quand même un espace à soi. On peut personnaliser son blog, faire son propre design, c’est très rassurant. » À mi-chemin entre les deux tendances, Tumblr se démarque sur plusieurs points, décisifs pour les communautés LGBTQIA+ en ligne qui commencent alors à se créer. Déjà, la notion d’anonymat est de mise, avec l’utilisation des pseudos, là où Facebook mise sur le dévoilement entier de sa personnalité. Pour Morgane Tual : « Tumblr a un côté assez safe dans la façon dont il est conçu, par exemple, il n’y a pas besoin de photo de profil. Pour les personnes LGBTQIA+, cet espace peut représenter un endroit où on aura moins la peur de s’outer auprès de ses proches en partageant des contenus. Sur Facebook, on a l’impression d’être dans la transparence totale, et sur Twitter, l’endroit n’est pas du tout safe, c’est le royaume des trolls. Tumblr se démarque beaucoup pour cela. » Sascha, ancien utilisateur, se souvient : « c’était une bulle où je pouvais me réfugier. Pour moi cette époque, c’était un peu le contraire de la sortie du placard, c’était plutôt la phase qui la précède et qui dure plus ou moins longtemps selon les personnes. » La recherche d’une certaine esthétique, la construction d’un univers, d’un profil personnalisé… Tous ces paramètres permettent aux usager·ères de développer des espaces virtuels qui leur sont propres. Sur son blog Tumblr, la personnalisation donne la sensation d’être « chez soi », tout en permettant de repartager un nombre infini de contenus photos, textes, vidéos ou GIF. Autant de fonctionnalités qui permettent aux jeunes LGBTQI+ d’y trouver une safe place où se réfugier.
Un réseau militant
L’autre point important que soulève Morgane Tual est celui de la recherche d’informations. Plus qu’ailleurs, Tumblr devient un espace de partage de contenus militants, engagés ou pédagogiques, accessibles de manière anonyme. « Les utilisatrices y sont majoritaires, c’est un ratio hommes / femmes différent de toutes les autres plateformes sur le web. Je pense que ça a beaucoup contribué au fait que Tumblr soit perçu comme plus safe. » Asteire, jeune homme trans, enchaîne : « J’ai commencé à traîner sur Tumblr juste après le lycée et c’est le premier endroit où j’ai côtoyé les identités queers. Je suis convaincu que j’aurais eu beaucoup plus de mal à mettre des mots sur qui j’étais sans Tumblr. » Outre les contenus pédagogiques, Tumblr est également l’espace roi de la pornographie en ligne. Mais là aussi, son contenu n’a rien à voir avec les autres plateformes du web. « Les codes étaient complètement différents de ce qu’on pouvait trouver ailleurs. Tout était vraiment homemade, il y avait des dessins, des photos, des gifs, des textes… Le panorama des sexualités et des corps différents était inédit. Ça n’existait pas ailleurs et c’était, je pense, un endroit hyper important pour les jeunes » relate Morgane Tual.
Une évolution qui fait grincer des dents
Après un rachat mirobolant par Yahoo en 2013, qui laissait présager la création d’un mastodonte à la Facebook, Tumblr continue de faire son chemin sans exploser en route. Néanmoins, la nouvelle direction décide en 2018 de supprimer tout contenu pornographique de la plateforme. Le tollé suscité chez les utilisateur·ices est énorme, des pétitions circulent en ligne, des boycotts s’organisent, le nombre d’abonné·es chute, mais rien n’y fait, le porno est désormais banni. Pour Morgane Tual : « C’est un drame pour l’histoire du web, car les archives ont totalement disparu. C’est aussi une très mauvaise nouvelle pour l’univers du porno, car c’est tout un pan alternatif et inclusif de cette industrie qui s’en est allé. » De nos jours, Tumblr reste l’endroit de développement par excellence des fandoms, communautés de fan en ligne qui partagent des productions autour de leurs œuvres préférées (Harry Potter, Marvel, Startreck…), et si les premier·ères usager·ères queers ont désormais grandi et ont accès à un nombre incalculable de ressources ailleurs sur le web, certain·es irréductibles continuent d’y retourner, comme Asteire : « Aujourd’hui ça reste un endroit où je vais pour du contenu de fandom, y’a beaucoup moins de monde qu’avant et du coup c’est très chill. »
Tumblr a réussi un pari peu commun : rester un lieu alternatif et underground du web depuis plus de quinze ans, tout en demeurant accessible à tous·tes, éternelle terre d’accueil de tous les weirdos du monde.
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Illustration © Léane Alestra
Cet article Tumblr, le safe place queer des années 10’s provient de Manifesto XXI.