Alors qu’elle porte en étendard les valeurs d’une pornographie « éthique », la productrice Bree Mills est accusée par l’actrice Lily Adams d’avoir volontairement ignorée les abus d’un réalisateur sur un tournage en décembre dernier. Prenant l’affaire très au sérieux, Bree Mills et Gamma Films ont rapidement réagi et ont publié un nouveau « code de conduite » pour les tournages de la firme canadienne. Une initiative louable mais qui continue de questionner les règles encore floues des productions dites « éthiques » dans l’industrie porno.
Bree Mills fustigée pour son inactionBree Mills et Stills by Alan, collaborateurs depuis de nombreuses années (extrait itv par Girlsway en 2015)
Le 30 décembre dernier, la performeuse Lily Adams lâche un thread édifiant sur Twitter. Au fil des messages, elle témoigne d’une agression sexuelle dont elle aurait fait l’objet durant un casting – un rapport anal non-consenti. L’agresseur serait Alan Eigen, alias « Stills by Alan« . Réalisateur de films X, il officie principalement pour Girlsway, la boîte de production de pornos lesbiens dirigée par Bree Mills depuis cinq ans. A l’époque des faits rapportés, la productrice de films X « éthiques » aurait été alertée de la situation par Lily Adams, mais n’aurait rien fait. Dans le milieu, Bree Mills est pourtant estimée pour son militantisme. Le lendemain, l’actrice pornographique Samantha Rone fustige à l’unisson le comportement dudit Alan, affirmant être sortie avec lui. Elle aussi inclue Bree Mills dans le cadre de ces accusations.
Reading the allegations of @LilyAdamsXo towards @stillsbyalan and @TheBreeMills . As someone that was in a relationship with him for over 2 years. I can confirm towards the behavior & what happened during the “go sees”. My condolences to Lilly and all others.
— AloneWithRone (@SamanthaRone1) January 1, 2019
« Je ne peux pas laisser ce genre de personnes blesser d’autres filles comme il a pu le faire avec moi » a tweeté Lily Adams. Rapidement, Karl Bernard, le directeur de Gamma Films (auxquels appartiennent les studios Girlsway), réagit en publiant un communiqué. Le texte convie les personnes concernées à se rediriger vers les « autorités compétentes« . De son côté, Lily Adams annonce avoir engagé l’avocat Robert Rafii. Ce dernier déclare le 2 janvier à Buzzfeed News qu’il s’agit d’une affaire « à la fois civile et criminelle« . Dans le même laps de temps, Bree Mills s’exprime à son tour sur Twitter. Si elle aussi recommande d’en faire part de ces allégations « aux autorités compétentes« , elle annonce également la rédaction d’un « code de conduite » professionnel dont l’application concernerait l’ensemble des productions Gamma Films.
Un code de conduite du porno— Bree Mills (@TheBreeMills) January 2, 2019
Chose, promise, chose due, les grandes lignes du code de conduite de Gamma Films ont été mis en ligne le 13 janvier. Le code a pour but de « préserver les performers et l’équipe de toute forme d’harcèlement et de mauvaise conduite, durant ou après la production d’un film ». Le directeur Karl Bernard précise à Xbiz qu’il croit en l’importance « de la sécurité et du bien être de [l’]industrie et de tous ceux et celles qui la constituent« . C’est afin d’assurer cette harmonie que plusieurs règles sont établies. Les voici :
– Maintenir des limites appropriés dans le cadre de relations professionnelles entre les performers et tout autre membre de l’équipe,. Ne pas profiter du pouvoir inhérent à sa position dans un but déraisonnable et inapproprié, envers les performers, les membres de l’équipe et autres sous-traitants de la production.
– Ne pas harceler physiquement, psychologiquement ou sexuellement quelconque performer ou membre de l’équipe. Une situation de harcèlement peut consister en un simple incident, ou en un comportement persistant, instaurant un environnement intimidant, hostile et agressif.
– Aucun représentant de l’équipe ne doit solliciter la moindre faveur sexuelle à un·e performer au sein ou en dehors du tournage, ou bien proposer du travail, des cadeaux ou une quelconque forme de « pistonnage » professionnel en échange de faveurs sexuelles de la part des performers, ni solliciter ou accepter des cadeaux/faveurs sexuelles en échange d’un traitement préférentiel sur le tournage.
– Au regard de la politique dite du « rendez-vous » (« go-see » policy) il est établi qu’une troisième personne, performer ou autre, se doit d’être présente dans ce cadre. Toute personne ou membre du casting surpris en train d’arranger un rendez-vous « privé » sera licenciée de la production.
– Il n’est pas permis ou accepté d’user d’une position d’autorité afin d’imposer, suggérer, promettre, menacer, contraindre, attirer ou récompenser un·e performer, dans le cadre du travail professionnel, en échange d’une faveur – sexuelle ou autre. Lorsqu’une personne est en position d’autorité, il est difficile pour quiconque de se sentir en sécurité. Il n’est jamais, quelles que soient les circonstances, approprié d’entreprendre une activité sexuelle durant le tournage d’une production Gamma.
– Tous les performers devront compléter une liste des actes et des situations susceptibles de susciter leur inconfort (intitulée « no list ») et s’échanger cette liste réciproquement, entre performers, membres de l’équipe et sous-traitants, au début de chaque nouvelle production Gamma Films.
– Tout contractant ou sous-traitant témoin d’une situation de harcèlement sexuel, ou de toute autre situation impliquant la violation du Code de Conduite, se doit d’en faire part dans l’immédiat à Gamma Films.
– Si un performer oublie ses effets personnels ou doit finaliser un travail (paperwork ?), par exemple, le signataire du contrat doit faire en sorte que la propriété soit remise aux mains de l’agent du performer, ou au sein d’un lieu public. Le « paperwork » doit être complété au sein d’un lieu public. Aucun performer ou membre de l’équipe ne doit être en ce sens invité seul dans la maison du signataire du contrat.
Vers un #MeToo du X ?Comme on peut le voir, les règles énoncées paraissent encore assez vagues. Comment au juste rendre compte d’une situation de chantage ou de manipulation ? Quelle tierce personne légitime pourrait être désignée afin d’en témoigner, si une relation abusive a lieu durant un tournage par exemple ? Comment au juste définir avec précision les règles qui caractérisent une situation inconfortable ? Est-il cohérent de globaliser ces règles en se basant sur les potentielles mauvaises intentions d’un réalisateur ou d’un producteur ?
Comme l’indique Synergy Mag, « les extraits mentionnés font partie d’un document plus complet qui sera appliqué dans toutes les productions de Gamma Films au cours des prochaines semaines, y compris dans les productions Girlsway, lesquelles reprendront au cours du mois de février ». Cette « reprise » devrait faire suite à l’approbation formelle du code de conduite par les producteurs desdits films pornographiques. Dans les semaines qui viennent sera également précisé « un moyen de signaler en toute sécurité les comportements indésirables des contractants, sous-traitants, membres de l’équipe ou représentants« .
« Nous voulons nous assurer que ce nouveau code de conduite n’est pas simplement un texte dont nous discuterons mais que nous mettrons en action » affirme de son côté Karl Bernard. Si les faits d’accusation énoncés par Lily Adams doivent avant tout être traités dans un cadre judiciaire, ils rappellent cependant, en ce début d’année, l’importance d’un « #MeToo du porno« . Une libération de la parole qui n’est pas si simple quand il est question de l’industrie pornographique, et des travailleurs du sexe au sens le plus global. Du côté des médias américains, de nombreux articles le rappellent, tel ce post Medium au titre évocateur. L’espace d’un tweet, Lily Adams affirme d’ailleurs son dégoût d’œuvrer pour une industrie « qui protège les violeurs et les nomme au titre de meilleur réalisateur ». L’on espère que sa voix éveillera les consciences. La création de ce Code de Conduite, aussi perfectible soit-il, pourrait le laisser penser.