Disparu du Net en septembre sans explications, ni pour ses camgirls ni pour ses clients, le site CamCokine.net prépare son grand retour. Problème : de nombreuses camgirls n’ont pas reçu leurs revenus du mois d’août et des premiers jours travaillés de septembre.
Pour des raisons évidentes, les camgirls interviewées n’ont pas souhaité que leur identité soit révélée. Le montant des sommes dues à chacune pouvant permettre leur identification, ce dernier n’est pas évoqué dans le détail.
Côté pile, CamCokine.net est l’un des plus importants sites français de liveshow en cam 2 cam. L’un des rares à proposer des shows privés à ses clients. Un site présent sur la Toile depuis plus de dix ans, à l’ambiance « familiale ». Côté face, c’est l’histoire d’une fermeture soudaine début septembre, à la grande surprise des camgirls et client·e·s. « On ne ferme pas un site comme ça […] C’est signer sa propre mort », constate l’une des anciens modèles du site.
Seconde déconvenue : les factures des mois d’août et septembre n’ont pas été réglées aux camgirls. Parmi elles, des participantes à un concours cet été qui n’ont pas touché leur récompense en argent. Au total, les sommes dues s’élèvent de quelques dizaines à plusieurs milliers d’euros. « Des filles n’avaient que CamCokine pour vivre, parfois des mères de familles. Elles se sont retrouvées sans ressources, du jour au lendemain. » Un groupe d’une vingtaine de camgirls estime leur préjudice cumulé à 35 000 euros. « Imaginez si l’on cumule pour toutes les filles. »
Petite piqûre de rappel : aujourd'hui le 14/11 nous attendons toujours notre paiement du travail d'août et septembre ainsi que les gains du concours de l'été, devant être payé par @camcokine ! Pour ma part 2200€
— Bad Sexy Girl (@BadSexyGirlFr) November 14, 2020
Des camgirls dans le flou
Petit retour en arrière. Début septembre, Célia, pseudo de la responsable du site Claudine Tricoire selon les personnes interrogées, annonce à son équipe – dont des camgirls – sur Discord « une maintenance importante à venir » suite « aux multiples erreurs de [notre] ancien webmaster ». Les filles s’interrogent. « Une maintenance ne nécessite pas forcément un arrêt total sur une si longue période », confie l’une d’elles. Le site est débranché, et moins de trois jours plus tard, le Discord fermé. Douche froide pour les travailleuses du sexe qui ouvrent un deuxième forum pour s’organiser. Elles tentent d’obtenir plus d’explications.
CamCokine aurait alors multiplié les versions les jours suivant pour justifier la fermeture du site, et le non-paiement des factures aux camgirls. Un ex-modérateur qui aurait volé 40 000 euros à la plateforme, un vol de site Web, des pressions subies par la gérante, etc. « Même la Covid-19 ! », s’amuse l’une des filles. « C’est difficile d’entrer en contact avec Célia, elle supprime nos messages sur Twitter, ne répond ni aux mails ni au téléphone… Elle ne répond que lorsque l’on remet son site en cause, sur les réseaux sociaux. Nous sommes dans le flou, nous avons une nouvelle version chaque semaine. »
Dans un échange que nous avons pu consulter, CamCokine s’engageait pourtant à régler les factures du mois d’août dès le 6 septembre, et celles de septembre à partir du 6 octobre. Un mail envoyé par le support du site avance une énième explication : suite à la faillite de la WireCard Bank (Allemagne), « principal mode de paiement pour notre clientèle », il est impossible de procéder aux règlements.
Difficultés financières et psychologiques
De l’autre côté de l’écran, la situation est désastreuse pour certaines camgirls. La détresse économique, et psychologique, fait des ravages.
« Des filles ont des gosses à nourrir et n’ont personne sur qui compter. », déplore une ex-camgirl du site. Elle poursuit : « Il y a eu des comptes bancaires bloqués, ça veut dire plus de virements possibles ou de carte de retrait. Des filles ont reçu des avis d’expulsion parce qu’elles ne pouvaient plus payer leurs factures (…). On nous promet toujours des courriers d’avocats, mais rien. » Sans argent, impossible pour les filles ne travaillant que sur CamCokine de régler leurs factures (entre autres)… et donc de continuer dans le métier, de se lancer ailleurs. Coincées.
Nous somme le 15 novembre,
Mon frigo est vide,
Vous me devez 3000€. @camcokine#PayezVosCamgirlsCamcokine
— 𝕷𝖎𝖑𝖎𝖙𝖍 (@Lilith_show) November 15, 2020
Une autre camgirl se confie : « Pour moi, le préjudice est surtout mental. La manière dont [Célia] nous a traitées, et inventé des choses horribles sur moi, ça a fait une surcharge d’émotions. Je suis suivi par un psy et diagnostiquée dépressive. J’y ai laissé ma santé mentale, je le regrette, vraiment. »
Selon des témoignages d’ex-hôtesses de CamCokine, et les messages que nous avons pu consulter, Célia apparaît comme une responsable à la menace facile. « Elle pouvait t’insulter (…) et dix minutes plus tard, te sortir des je t’aime. On parle bien d’une femme de 60 ans hein, pas d’une gamine », ironise l’une des filles. « Quand elle est contente, elle est généreuse, sinon elle menace. D’après elle, c’est son mari qui usurpait son compte dans ces moments-là, mais on n’y croit pas. On a des messages vocaux où elle nous insulte », poursuit sa collègue, au bout du fil.
Malheur également aux filles qui auraient l’audace de faire la pub d’un autre site sur lequel elles se produisent. « Célia insistait pour que l’on travaille exclusivement avec CamCokine. Mais rien ne nous y oblige. Nous ne sommes pas ses employées, nous n’avions pas signé de contrat de travail avec elle. Nous sommes prestataires de service, c’est pour cela que nous sommes réglées sur facture et non en salaire. »
Navrée de vous importuner, vous devez être très occupés avec la nouvelle équipe par la réouverture prochaine du site. Je vous rappelle juste: Nous sommes le 15 Novembre je n'ai toujours pas été payée @camcokine comme l'ensemble des modèles du site #PayezVosCamGirlsCamcokine https://t.co/zLeGApJpnS pic.twitter.com/meJQiqhBEb
— Mint Julep (@MintJulepFetish) November 15, 2020
Si la colère gronde du côté des camgirls, les clients ne sont pas en reste. Ils remettent en question la politique de CamCokine envers leurs Tokens (monnaie virtuelle permettant d’acheter des shows, 1 Token = 1 euro) au moment de la fermeture. « J’avais plus de 100 Tokens sur mon compte quand ça s’est passé. J’aimerai les récupérer. Mais je viens d’apprendre sur Twitter que ça ne sera possible qu’à la réouverture du site ! Sauf que moi, je n’ai pas envie d’y retourner, je veux mon argent ! C’est du chantage ! »
Vers une bataille judiciaire
Désormais, la bataille opposant CamCokine.net et les (ex)-camgirls se jouera sur le terrain judiciaire. La responsable du site, Claudine Tricoire, fait l’objet de plaintes pour abus de confiance, insultes, diffamation et menaces. Déterminée, l’une des travailleuses du sexe déclare : « Je m’en moque de récupérer mon argent. Contrairement à d’autres, je suis peu touchée. Mais je veux qu’elle paie pour tout ça, elle ne devrait pas pouvoir gérer ce genre de site. »
De son côté, CamCokine ne reste pas les bras croisés et tente d’apaiser la situation. Dans un document confidentiel, que nous avons pu consulter grâce à une source proche du dossier, l’entreprise derrière CamCokine a sollicité début octobre l’aide d’un mandataire ad hoc pour trouver un accord avec ses créanciers. Un courrier, émis par le mandataire désigné et à destination des camgirls, précise que le « protocole d’accord relatif au projet de règlement amiable de la dette » ne devrait pas excéder « 36 mois. » Mais pas de solution dans l’immédiat. « Pour l’heure, il s’agit d’identifier les créanciers et les montants. »
Loin de satisfaire les camgirls. L’une d’elles calcule, au téléphone : « elle me doit plus de 2 000 euros. Sur 36 mois, ça fait 60 euros par mois. Elle va payer ma facture Bouygues pendant deux ans… ? » Une autre s’insurge, « on va nous régler comment ? Avec les bénéfices des filles qui tournent ? C’est ignoble. » Problème : toutes les camgirls n’ont pas reçu la lettre d’information du mandataire, et ignorent potentiellement cette solution pour récupérer leur argent. « Un comble, car le site a toutes nos informations personnelles, dont nos adresses ! »
Merci à toutes les collègues de nous alerter des problèmes rencontrés suite à la fermeture de camcokine. Nous vous encourageons à vous faire connaitre auprès de notre service-juridique@strass-syndicat.org pour le montage d'un dossier collectif.
— STRASS – #SexWorkIsWork #LabourRights4SWs #Decrim (@STRASS_Syndicat) September 9, 2020
Un retour d’ici la fin de l’année ?
Il y a quelques temps CamCokine teasait un retour prochain à grand renfort de tweets. La page blanche du site a même laissé la place à un message qui ne laisse place à aucun doute : « Bientôt de retour… » Sans garantie aucune que les camgirls puisse récupérer leur argent.
La pilule passe mal. « Annoncer une réouverture, sans mentionner notre argent, en faisant comme si tout allait bien, c’est inadmissible. » D’autres mettent en garde les futures camgirls qui seraient tentées de faire carrière sur CamCokine, ou d’y retourner. « Ce site est une petite perle de base de clients. Une fille qui ne fonctionne nulle part ailleurs, ou qui n’a que ce site comme source de revenus, je comprendrai sa démarche. Mais je lui dirai de se méfier. » Plus catégorique, une dernière affirme « J’ai pu retomber sur mes pattes ailleurs. CamCokine, c’est terminé pour moi. »
Au moment d’écrire ces lignes, le 10 novembre 2020, CamCokine.net n’avait toujours pas effectué de réouverture. Le compte Twitter de CamCokine a été supprimé dans la soirée du 15 novembre 2020, après une dernière tentative d’explications auprès des camgirls.
Notes de l’auteur :
- Suite à l’appel à témoins lancé sur Twitter le 5 novembre, des difficultés ont rapidement fait leur apparition dans la rédaction de cet article. Tentative de percer le secret des sources (pourtant protégé la loi), menaces de signaler le compte Twitter à l’origine de l’appel à témoins pour « faux, calomnies, incitation à la haine, menaces », dénigrement, etc.
- Dans un souci d’impartialité du traitement de l’information, et d’apporter une dose de contradictoire à cet article, Claudine Tricoire (responsable de CamCokine.net) ainsi que l’équipe du site ont été sollicitées à de multiples reprises. En vain. Les questions qui leur ont été adressées étaient les suivantes :
- – Pourquoi CamCokine a-t-il fermé du jour au lendemain, à la grande surprise des camgirls et clients ? Annonce de maintenance, faillite de la banque allemande WireCard, fermeture de compte, un webmaster qui aurait « volé le site », les versions ne manquent pas… Où est la part de vérité ?
– Dans un tweet (29/10), vous évoquez qu’il « suffisait juste d’enlever le mauvais élément » pour régler la situation, sous-entendu le retour du site. À qui ou quoi faites-vous référence ?
– Dans un échange Discord, vous avanciez que le règlement des factures d’août serait effectué à partir 6 septembre, et pour celles de septembre à partir du 6 octobre. Au mois de novembre, les camgirls n’ont toujours pas été réglées. Savez-vous quand les camgirls pourront récupérer leur argent ? Disposez-vous des fonds ?
– Que répondez-vous aux camgirls en difficulté financière et morale suite à ce retard de paiement ?
– Toujours dans un tweet (30/10), en réponse à un client demandant quand il pourra récupérer ses Tokens, vous répondez qu’il les retrouvera à son retour sur le site. Pour les clients ne souhaitant pas revenir, comment seront-ils remboursés ?
– Vous teasez un retour de CamCokine.net avec des « modèles incroyables ». Pas de quoi rassurer les anciennes camgirls qui travaillaient sur votre plateforme qui craignent une concurrence déloyale avec des filles payées au rabais et des shows à prix cassés. Que leur répondez-vous ?