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Lors des attentats de janvier, nous étions tous au travail lorsqu'un collègue a appris qu'il y avait eu des tirs à Charlie hebdo. Nous sommes modérateurs pour la presse sur Internet. Dans le cas d'une actualité comme celle-là, nous nous préparons psychologiquement au tsunami de merde qui va arriver ; désolée de l'image mais je n'en vois pas d'autre pour qualifier ce qu'on voit. Nous appelons nos clients, abordons la charte que l'on va appliquer, les points sensibles, les hésitations possibles. On attend confirmation des noms des morts pour pouvoir publier les commentaires qui en parlent.
Nous savons qu'en quelques minutes, des milliers de commentaires vont déferler et que cela ne sera pas beau ; la tristesse de quelques uns sera oubliée, fondue par le racisme et la colère des milliers d'autres. Nous pouvons lire quelques 5 ou 6000 commentaires en une journée pour vous donner une idée. Mes internautes répètent en boucle le néologisme "padamalgam"pour s'empresser d'en faire.
Alors on s'arc boute, on pleure. C'est curieux de pleurer pour un boulot n'est ce pas ?
Le plus paradoxal est qu'on n'a pas le temps de pleurer les morts ; on pleure de ce qu'on lit, on pleure de la haine, on pleure du racisme, on pleure de ce qu'il va advenir si les commentaires se répercutaient un jour dans les urnes.
Le vendredi suivant les attentats j'étais chez un client et je rentrais par la ligne 1 ; j'ai vaguement entendu que le métro n'allait pas jusqu'à Vincennes sans y prêter plus d'attention jusqu'à ce qu'on me prévienne de la prise d'otages en cours dans un magasin casher.
Et là je savais, qu'en plus du racisme, nous aurions à lire de l'antisémitisme ; parce que c'est cela la magie des commentaires sur Internet c'est que même les victimes deviennent coupables. Et que de toutes façons derrière "les musulmans forcément violents qui commettent des attentats", il y a toujours "les juifs qui les manipulent". Toujours, ca ne change jamais, on y a toujours droit. Pendant deux jours on a eu droit à la litanie des coms des "juifs qui manquent jamais une occasion se de faire remarquer".
Les 15 jours suivants ont été compliqués ; voyez vous dans notre métier on n'a pas le temps de s'arrêter pour respirer face à l'actualité, pour comprendre ce que cela signifie parce qu'on doit gérer au plus vite les réactions des gens qui eux n'ont aucune envie de réfléchir.
Ce vendredi j'ai été sur le pont dés l'annonce des attentats, en support et maintien de vendredi à dimanche.
Cette fois ci les internautes n'ont pas pris leur dix minutes réglementaires pour pleurer les victimes ; ils se sont jetés sur leurs cibles fétiches - les musulman-es - pour les accuser de tous les maux, les sommer de se désolidariser, accuser ceux qui le faisaient d'avoir un double visage. Alors je pleure.
Je regarde les beaux visages des victimes pour continuer , parce qu'ils n'ont pas mérité, aucun d'entre eux, que de la haine s'ajoute à ce qu'ils ont déjà subi. Je ne suis pas croyante - pas cette chance ai je parfois envie de dire - alors je ne sais pas ce qu'on fait dans ces cas là.
Je n'écris pas, contrairement à ce qui pourrait être cru, pour être consolée ou plainte. Les blessé-es peuvent ou doivent être plaint-es, les familles de victimes peuvent ou doivent être plaint-es.
J'écris pour essayer de vous demander de réfléchir. Pour vous demander - et je m'inclus là dedans - si le commentaire que vous vous préparez à poster je ne sais où, est vraiment nécessaire.
J'écris parce que je ne comprends pas comment ce merveilleux outil qu'est Internet est devenu ce torrent de boue haineuse racisme, antisémite et islamophobe (il n'est pas que cela mais c'est ce qu'il est là aujourd'hui pour moi).
J'écris parce qu'il est étrange de voir des gens écrire des propos racistes, se plaindre d'avoir été "censurés" et lorsqu'on leur lit leurs commentaires, réaliser d'un coup qu'en effet "ils se sont peut-être emportés". Et parce que je les crois sincères ; parce que certains n'ont plus aucune mesure, parce que certains sont comme emportés par une foule haineuse qui jette des pierres parce que les autres en ont jeté aussi.
Il est scandaleux et indécent de vous voir instrumentaliser ces victimes pour répandre votre haine.
Hier, un homme m'a souhaité sur twitter de "crever dans un attentat" , parce que j'avais simplement demandé à ne pas faire l'amalgame entre réfugiés et terroristes. Le pire est peut-être que cette phrase ne m'a pas touchée, ni blessée tellement je me blinde sinon je ne résisterais pas à mon travail.
Et je me dis, sincèrement que dans la vie normale, cet homme ne se serait jamais autorisé ce genre de propos ; qu'il sera peut-être sincèrement étonné ce matin de se relire.
Aujourd'hui je lis qu'il faut interdire l'islam en France, fermer définitivement les frontières, traduire la quasi totalité de la classe politique devant un tribunal militaire comme Pétain le fut en son temps, rouvrir Cayenne, organiser des milices, fermer toutes les mosquées, demander un pardon collectif de la part des musulmans, enquêter pour voir si les juifs n'ont pas organisé tout cela. Et je lis des menaces de crimes racistes.
Voyez vous je compare parfois cela au harcèlement de rue ; entendre une fois "eh mademoiselle" ca serait tolérable mais imaginez qu'on l'entend des dizaines de fois. C'est ce qu'il se passe ici ; on lirait parfois au hasard d'un propos , un propos raciste, on se dirait benoîtement comme on le fait depuis 30 ans "qu'il s'agit d'une minorité isolée" mais on ne peut plus le dire ; pas quand on rejette à tour des bras (et j'entends par là des milliers de commentaires par jour) des propos pénalement condamnables. Vous remarquerez que je ne propose pas de solution ; parce que toutes celles que j'envisage impliquent de renoncer à certaines libertés et je sais qu'elles ne sont pas bonnes.
J'aimerais - parce que je suis à la fois d'un pessimisme inégalé mais que je conserve aussi foi en la raison humaine - que certains d'entre vous réfléchissent à ce qu'ils vont écrire ces prochains jours. Aux amalgames qu'ils vont faire. A la haine qu'ils vont entretenir.
J'aimerais dire à quel point je suis persuadée que les terroristes vont jubiler en vous lisant ; combien ils jubilent que vous haïssiez les musulmans ; c'est un point que vous avez en commun d'ailleurs parce que pour ces gens là il est sans aucun doute encore pire que de mal croire en Allah (comme ils pensent que font les musulmans) que de ne pas y croire du tout.
J'écris parce que même les gens (non concernés par le racisme) et pas spécialement racistes l'ont dépolitisé ; ils voient les propos racistes et détournent les yeux comme on le ferait d'un crachat sur le sol : "Il n'y a qu'à pas lire, il n'y a qu'à tout coller sous le tapis".
J'ai parfois l'impression d'être complice de ce racisme, de cet antisémitisme, de cette islamophobie, de ce sexisme, de cette homophobie, de cette transphobie en cachant tout ce que je lis derrière un bon gros tapis épais.
Petit à petit nous faisons leur jeu, en refusant d'admettre le simple mot "islamophobie", en refusant de nous interroger sur nos pratiques et réflexes face à nos concitoyens musulmans. Nos concitoyens. Pas nos invités en transit, nos bonniches et nos ouvriers. Pas des gens qu'on tolère. Nos concitoyens.
Je ne sais pas ce qu'il convient de faire face aux discours de haine sur Internet ; il serait vain de penser que la justice a la capacité physique, financière, logistique de traiter chaque parole délictueuse. J'aimerais penser que les gens vont arriver à se raisonner, qu'ils vont lire les articles que des journalistes s'évertuent chaque jour à écrire pour qu'on comprenne mieux, qu'on analyse, qu'on réfléchisse. J'aimerais qu'on repense nos façons de parler sur internet qu'on soit moins dans l'instantanéité ce qui permet, je le constate chaque jour, le développement d'une parole haineuse.
Alors je vais me remettre au boulot, comme mes collègues, espérer cacher la merde sous le tapis et continuer jour après jour. Mais ce jour comme chaque jour depuis longtemps, je me dis que les terroristes ont gagné. La haine, le racisme, l'islamophobie, le manque de respect des victimes qui sont instrumentalisées crient aux terroristes que leur plan fonctionne comme ils l'avaient prévu.
Voilà je ne sais pas quoi dire de plus. je doute que ce texte soit lu par celles et ceux qui le devraient.
Je n'ai même plus le temps de pleurer sur les victimes, je pleure sur ce que vous en faites.
Les terroristes ne nous tueront pas tous non , ca j'en suis bien sûre ; votre haine, votre bêtise, votre racisme, votre antisémitisme, votre islamophobie y arrivera.
Toutes mes pensées, mon soutien, vont aux victimes et à leur famille. Je pense à vous comme des millions d'autres personnes le font.
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L’équipe du CCF reste sans voix après les événements de ce vendredi. Pour cette raison, nous préférons ne rien publier cette semaine et nous reportons l’émission de radio de mercredi. Cependant, nous reprendrons la parole à partir de lundi prochain, soyez-en assurés ! Nous ne nous tairons pas ! Une prescription de l’équipe en ces...
The post 13 novembre 2015 appeared first on Le Cabinet de Curiosité Féminine.
Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.
Interview de Eve.
Peux-tu te présenter ?
Je m'appelle Evelyne et, bien que je porte un prénom d'esthéticienne quinquagénaire, j'ai 34 ans et je suis mère au foyer.
Depuis quand es-tu féministe ?
Je crois que j'ai commencé à me considérer féministe le jour où j'ai compris à quel point j'avais fini par intégrer le sexisme comme une forme de normalité. Et à quel point j'étais en train de me contenter tout naturellement de l'éducation sexiste que, dans la famille, on se refile de génération en génération. C'est arrivé assez tard, vers mes 25 ans dirais-je, quand je me suis vue adopter, comme un automatisme, l'attitude fataliste de ma mère à l'égard du sexisme, un fatalisme un peu tordu qui consiste à reconnaître que les femmes ont souvent le mauvais rôle tout en réussissant pourtant à se convaincre qu'il y a une certaine fierté à tirer de ce rôle de bonniche opprimée. C'est à ce moment-là que j'ai compris que dans ma famille, le sexisme était une forme d'inexorable malédiction que les mères transmettent à leur fille le plus naturellement du monde. J'avais une toute petite fille à l'époque, je me suis promis de ne pas reproduire cette éducation à la con qui consiste à élever les filles tout d'abord dans la culture du viol mais aussi dans une posture de bonniche, comme si nos codons d'ADN étaient programmés pour assumer tout le merdier domestique.
Pourquoi as-tu hésité à faire cet interview ?
J'ai hésité à faire cet interview car je ne parviens toujours pas à me sentir légitime en tant que féministe. Et parce que, pour être parfaitement honnête, je commence à douter sérieusement du féminisme qui, selon mon point de vue, divise beaucoup trop les femmes alors qu'il est censé les rassembler. Même dans le féminisme, on te dit comment faire ou comment penser, on t'explique ce qui fait que tu es plus ou moins féministe que ta voisine. J'ai passé la trentaine, j'ai quatre enfants, je suis mère au foyer et j'ai zéro indépendance financière. Alors forcément, quand je commence à la ramener sur le féminisme, on me rit au nez et on me ramène à la sordide caricature de meuf entretenue par son mari et tout juste bonne à pondre des gosses en série. Pire, je suis une traitresse à la cause, moi qui plonge tête la première dans ce que les militantes féministes aiment qualifier de servitude volontaire : car comment oser prétendre être féministe quand on a ni le temps ni les moyens de penser rien qu'à soi ?
Est-ce que tu peux reparler de cet article Home sweet home et nous dire ou tu en est de tes réflexions ?
J'ai fini par sortir de cette frustration de mère au foyer contrariée par le manque de vie sociale et de considération. Et d'accepter une bonne fois pour toutes que c'était mon choix. Que j'avais voulu cette grande famille et que mon mari et moi avions décidé ensemble de cette situation qui, bien que, d'une certaine façon, typique des schémas familiaux sexistes décriés par le féminisme (papa au boulot, maman à la maison), est plutôt pour moi une certaine idée du travail d'équipe : on a choisi d'avoir beaucoup d'enfants, maintenant à nous de faire le choix le plus optimal pour garantir notre qualité de vie tout en s'y retrouvant au mieux financièrement. Finalement, c'est cela, le sexisme que je défends. Avoir le choix. Le choix de travailler à plein temps et de ne pas être forcément complètement disponible pour ses enfants. Le choix de ne pas avoir d'enfant du tout. Le choix de vouloir élever ses enfants à plein temps. Mais dans tous les cas, cesser d'être victimes des préjugés sexistes de base (qui, à mon grand regret, proviennent bien souvent des femmes elles-mêmes) et être respectée et soutenue dans ses choix.
Tu as 4 enfants ; arrives tu à les éduquer de manière antisexiste et te comporter de la même façon qu'ils soient fille ou garçon ?
J'ai tellement vécu le sexisme au quotidien dans ma famille que je mets un point d'honneur à ne pas reproduire l'éducation que j'ai reçu de ma mère. Car oui, étrangement chez nous, le sexisme se transmet de mère en fille, c'est quand même dément de voir à quel point des générations de femmes ont intégré les préceptes et attentes sexistes de leurs aïeux au point de les transmettre elles- tout naturellement à leurs propres filles.
Chez nous, à la fin des repas de famille, toutes les filles étaient systématiquement attendues pour la vaisselle et le rangement et dès sept ou huit ans, tu avais droit à ton torchon pour aider les femmes de la famille. Les hommes et les garçons en revanche restaient à table à discuter ou à finir leur verre pendant que les femmes s'activaient en chœur. Et tout le monde avait toujours l'air de trouver cela parfaitement normal. A table, on servait aussi systématiquement les hommes en premier, va savoir pourquoi. Les dimanches matins, pas de grasse matinée pour les filles, jamais. Même enfants, il fallait épauler la mère dans les maintes tâches ménagères. Mon frère de son côté a eu droit à toutes les grasses matinées du monde et personne ne s'étonnait de le voir interrompre le déjeuner dominical pour réclamer un petit déj. Jamais on n'aurait toléré cela de la part de ma sœur ou de moi.
Et puis surtout, il y a eu cette différence flagrante dans l'approche de la sexualité. Ma mère s'est toujours revendiquée moderne et à la cool pour avoir "offert" la pilule à ses filles dès leur 15 ans. Mon point de vue, avec le recul, c'est que c'était aussi et surtout une façon d'avoir le contrôle sur la sexualité de ses filles, en nous traînant et nous accompagnant chez le gynéco. Plus tard, quand les petits amis dormaient à la maison, c'était chacun dans une chambre et y avait pas intérêt à déconner avec ça. Quelques années plus tard, mon frère ramenait sa gonzesse à la maison et au lieu de mises en garde, on lui a offert un lit double pour qu'il ait plus de place lorsqu'il dormirait avec ses amoureuses. Quand j'y repense, je suis folle de rage.
Voilà un exemple des différences d'éducation filles / garçons dans ma famille. Ah oui, et puis bien sûr il y avait cette fameuse culture du viol omniprésente chez nous : ne pas provoquer, ne pas aguicher, ne pas trop faire "fille qui cherche", "parce qu'on sait jamais ce qu'un garçon peut avoir derrière la tête". C'était notre mission à nous les filles, de veiller à faire oublier la plaie qu'on a entre les jambes. Ca menait parfois à des situations très injustes et humiliantes, comme cette fois où j'allais réviser chez un ami et où j'avais décidé de porter un chandail avec col en V, très légèrement décolleté. Ma mère m'a vue et m'a demandée si j'étais sûre d'y aller uniquement pour réviser. Un chandail putain. Un chandail ! Pas un soutien-gorge en résille hein ! A côté de ça, j'ai pas le souvenir d'avoir jamais entendu ma mère rencarder mon frère sur la façon dont il était censé s'habiller ni se comporter avec les filles. Jamais.
Et bref, tout ça, quand j'y repense, ça me met hors de moi. Alors je suis très, très vigilante avec mes enfants. Je ne laisse pas les garçons de la famille prendre les filles pour leurs bonniches. Tout le monde participe équitablement à tout. Si spontanément ma fille aînée se lève pour accomplir une tâche, je n'hésite pas à la faire s'asseoir et je rappelle à tout le monde que les membres de cette famille pourvus d'un pénis sont également aptes à se lever et à se servir tout seuls. Idem quand mon mec fait accidentellement des remarques maladroites à nos filles du genre "Brosse-toi les dents sinon tu vas avoir des dents pourries et tu trouveras jamais d'amoureux", ou bien "Si tu ne te coiffes pas, tu seras moche et les garçons ne te regarderont pas", je bondis : ça a l'air de rien mais je refuse ça, qu'on éduque les petites filles en sous-entendant que dans la vie, il faut être belle dans l'unique but d'interpeler les garçons ou de leur plaire. Alors je le reprends à chaque fois et j'explique bien aux filles qu'on ne prend pas soin de soi pour faire plaisir aux garçons, certainement pas. Et évidemment, je refuse d'élever mes filles dans cette culture du viol et je veille d'ores et déjà à attirer l'attention de mes fils sur la façon dont ils sont et seront tenus de se comporter avec les filles.
Pourquoi as tu fais le choix de rendre ton blog payant ?
Je sais que tout le monde aimerait bien entendre que j'ai fait ça pour l'appât du gain, parce que c'est vraiment trop tentant de gagner de l'argent en vendant des trucs aux gens, parce que je suis une collabo vendue au grand Capital. Et aussi parce que j'ai pas de cœur et que je m'en fous d'obliger les gens à choisir entre manger et lire mon blog tellement je leur soutire tout leur blé (sans déconner, j'exagère à peine, j'ai eu droit à beaucoup de remarques de ce genre, à croire que j'étais en train de réclamer un demi SMIC à chacun de mes lecteurs... pour info, on parle de 2 balles par mois hein).
Mais la vérité c'est que je n'ai pas beaucoup de temps libre pour moi, ni beaucoup d'activités. Une heure de piano par semaine, un peu de jardinage entre deux sorties d'école, des travaux d'aiguille tard le soir quand les enfants sont couchés. Je suis le genre de fille qui se lève une heure plus tôt le matin pour avoir droit à une heure de libre pour lire un livre, sans ça, j'aurais jamais le temps de lire quoi que ce soit. Je ne dis pas ça pour me plaindre, c'est juste pour donner le ton de ce qu'est, pour beaucoup de femmes, le quotidien de mère de famille presque-nombreuse.
Et bref, dans tout ça, le blog me prenait vraiment beaucoup de temps. Et j'écrivais souvent à des heures pas possible, entre une heure et trois heures du matin par exemple, pour pouvoir boucler mes articles. C'est certes amusant, d'écrire pour le plaisir, mais dans ces conditions, c'est aussi vachement épuisant (bonjour le réveil à 6 h du mat' hein). Et très sincèrement, j'ai été à deux doigts de le laisser en plan car ça devenait un peu pénible à gérer. Alors je me suis dit que si les gens se mettaient à soutenir financièrement le blog, et si je parvenais à rassembler une petite cagnotte mensuelle, peut-être bien que ça me donnerait à nouveau la patate. Parce qu'on va pas se mentir, c'est tout de même gratifiant et rassurant de se sentir un peu soutenue de la sorte. D'autant que ça fait des mois que les gens lm'interpellent régulièrement en me disant "Hey mais édite ces chroniques ! Fais-en un bouquin, j'achèterai direct !", ce qui semblait laisser entendre que oui, une bonne partie de mon public était prête à me soutenir financièrement pour que je puisse écrire encore plus.
Alors oui, c'est peut-être moche d'avoir besoin d'en passer par la thune pour se sentir soutenue mais hey, il me semble qu'on vit dans un monde qui fonctionne grâce à l'argent non, alors pourquoi ce serait sale et honteux de faire payer ses textes ? Je veux dire, on est d'accord pour payer à peu près tout et n'importe quoi. On paye pour des chaînes TV, on paye même pour un traitement prioritaire de sa commande... Du coup je comprends pas pourquoi les blogs d'écriture devraient faire exception. On paye son journal, on paye ses légumes chez son primeur, on paye sa viande chez son boucher, on achète la musique aux musiciens, mais par contre les auteurs, non, veto, eux ils doivent continuer à distraire à l'œil. Je suis pas du tout d'accord avec ça et passer le blog en abonnements, ça a aussi été ma façon de marquer le coup et de défendre ce que je considère comme une sorte d'artisanat. Oui, selon moi les chroniqueurs, les illustrateurs, sont autant d'artisans qui travaillent et donnent de leur temps pour proposer un "produit".
Et j'avoue que je comprends pas trop le déchaînement de reproches suscités à chaque fois qu'un auteur passe son contenu en payant. Je trouve ça limite triste de voir certains auteurs de talent me confier "Moi j'adorerais faire payer l'accès à mon blog mais j'ai peur du bashing". Come on ! Vous payez bien pour vous abonner à des chaînes câblées bidon qui vous coûtent une fortune, vous allez sérieusement chialer pour un abonnement mensuel à deux balles ? Ah mais oui, j'oubliais que les gens ont des principes ("Si tous les blogs deviennent payants, où va-t-on ??" >> les blogs payants sont-ils un signe annonciateurs de l'apocalypse ? Dans deux heures je ramasse les copies).
Mais bon, pour en finir avec cette question, je suis très contente d'avoir fait le choix de passer le contenu du blog en contenu réservé aux abonnés (je précise qu'en plus, cela ne concerne qu'une partie des publications, la moitié des chroniques restant accessibles gratuitement de même que trois ans d'archives) même si pour le coup, je suis passée de quelques 2000 lecteurs quotidiens à une petite trentaine d'abonnés. Et j'ai le regret de vous annoncer qu'après ça, j'arrive encore à me regarder dans un miroir, même si ça va en décevoir plus d'un.
Du coup, la dynamique du blog a changé, les abonnés se sentent un peu plus comme chez eux et sortent de leur anonymat, j'échange dix fois plus avec mes lecteurs que je n'ai eu l'occasion de le faire par le passé. Les gens m'écrivent plus facilement, me remercient et m'encouragent, et moi ça me file une sacrée banane et ça me donne encore plus envie d'écrire des trucs chouettes pour faire plaisir à tous ces gens-là. Et puis il y a beaucoup moins de râleurs, ça aussi c'est drôle (les gens qui savent que tu écris gratos mais qui en plus la ramènent sur ce que tu dis, sur la faute d'orthographe que t'as pas vue à la quatrième ligne, qui se plaignent des sujets que tu n'as pas encore abordés ou qui te harcèlent pas toujours gentiment parce que bordel, ça fait au moins trois semaines que t'as rien publié, si ça continue comme ça ils arrêtent de suivre ton blog hein) ("remboursez nos invitations !") (parce qu'en fait, c'est ça, internet : non seulement ça doit être gratos mais en plus ça doit autoriser n'importe qui à dire n'importe quoi, tout le temps).
Est-ce que je dois regretter les milliers de lecteurs qui ont cessé de me suivre depuis l'ouverture des abonnements et du contenu payant ? Etrangement, je n'y pense pas et je n'arrive pas à trouver cela dommage, je n'arrive pas à plaindre tous ces gens qui "à cause de moi", sont "obligés" d'arrêter de me suivre. Moi je n'oblige personne hein. D'ailleurs c'est ça qui est bien dans la vie, c'est qu'on n'est jamais complètement obligé. Les gens peuvent s'abonner à mon blog, ils peuvent aussi ne pas le faire. Ils peuvent le lire ou ne pas le lire. Ils peuvent décider d'amputer leur budget de deux euros par mois ou refuser de le faire parce qu'ils préfèrent acheter deux paquets de Pim's à la framboise à la place. Ils peuvent aussi refuser de s'abonner en guise de protestation contre la mort de la gratuité du web. On peut s'abonner ou non à Deezer ou à Netflix, et ben pour mon blog c'est pareil. Je propose un contenu à deux euros. Et à partir de là, chacun fait comme il veut. Et pour citer Jean-Claude : et ça c'est beau !
As-tu eu l'occasion de parler à ta mère de ce qui te pèse dans l'éducation que tu as reçue ? Envisages-tu de le faire ?
Concernant ma mère, on en a déjà parlé comme ça, concernant deux ou trois trucs, mais on n'a jamais abordé la question pour de bon. Cela dit, j'ai vite pigé qu'elle comprenait, qu'elle se rendait compte qu'elle avait simplement reproduit le schéma de sa mère, sans doute hérité de sa propre mère. En revanche, on ne parle pas des différences d'éducation fille / garçon, ça reste sujet tabou. Et c'est très étrange car de temps en temps, elle parle elle-même de son adolescence et dénonce les injustices qu'elle a elle-même subies à cause de la différence d'éducation filles / garçons... sauf qu'elle semble même pas percuter que ce dont elle se plaint, c'est très exactement ce qu'elle a elle-même reproduit avec ses enfants. Je ne sais pas si c'est du déni ou quoi (en tous cas ça y ressemble fortement).
Tu as brièvement évoqué ta journée de mère de famille nombreuse ; pour beaucoup de gens c'est un continent inconnu, peux-tu l’évoquer plus en détail ?
Je ne sais pas comment résumer une journée de mère de famille nombreuse. Ca commence à 6 heures 30 et ça se termine vers 22 h. Enfin à 22 h, c'est la fin de toute tâche domestique (repassage et tutti quanti), l'heure à laquelle je dis stop, quoi qu'il arrive, même si tout n'est pas terminé. Le tout entrecoupé par douze trajets entre la maison, les écoles et le bus scolaire. Et des plages horaires libres qui excèdent rarement les deux heures consécutives. Du coup clairement, je cours tout le temps. Et les loisirs, c'est soit après 22 h, soit les week-ends quand les gosses sont chez une mamie ou en vadrouille. Plus quelques loisirs et activités ponctuels trois ou quatre soirs par mois. Mais ça a ses bons côtés hein, je m'en plains pas (même si parfois, on dirait que).
Des gens te rétorqueraient que tu as voulu tes enfants, pourquoi t'en plaindre ?
La vérité c'est que c'est pas tant mes enfants qui me pèsent. Je veux dire, tous les parents ont leurs moments de ras le bol avec les gosses, qu'on en ait qu'un, deux ou douze. Et je ne fais pas exception à ça. Dans l'ensemble, ce n'est pas ça qui est lourd et si c'était à refaire, je referai tout pareil. Le rythme un peu balèze et les horaires à gérer, ça me saoule parfois mais pas plus que ne me saouleraient mon boss ou mes horaires de boulot si j'étais salariée, j'imagine. Ce qui est plus difficile en revanche, c'est l'étiquette "mère au foyer" en société. Après tu me diras, c'est peut-être bien qu'une question d'ego, j'en sais rien. Mais clairement, j'en peux plus de voir les mines embarrassées quand on me demande mon job et que je réponds que j'élève mes mômes (et encore, je m'estime heureuse quand j'ai pas droit aux remarques du genre "Ah ok, tu fais rien, donc"). C'est aussi les amalgames mesquins et débiles du genre mère au foyer = fainéante qui veut pas bosser et qui se la coule douce pendant que son mari l'entretient. Ou bien encore dans les repas, quand je me rends compte (et je jure que ce n'est pas de la parano) que dès lors que je me suis présentée comme mère au foyer, on m'implique pas forcément dans les conversations. Comme si j'avais rien à dire. Comme si je maîtrisais aucun sujet à part peut-être la recette de la tarte aux pommes et la cuisson du bœuf bourguignon. Comme si mes seules compétences c'était la pâte à modeler. Et mes seules connaissances celles de la chaîne Disney Junior. Car là aussi, les amalgames et raccourcis vont bon train. Mère au foyer car juste bonne à "pondre" et donc probablement pas assez intelligente pour avoir fait des études, avoir un avis ou des opinions. Tout cela, oui, c'est très frustrant. Et je vais même aller plus loin, ce qui me contrarie le plus, c'est que souvent, quand je suis confrontée à des femmes ayant le profil inverse (par exemple sans enfant, travaillant etc), je sens la condescendance fuiter de chacun de leurs pores. Le mépris total façon "Han ok, t'es une pondeuse, tu branles rien de tes journées, t'as pas d'ambition, t'es enchaînée à ta vie comme à un boulet, pauvre conne va". Et ça, oui, ça me met en rogne. Parce que c'est une réalité, pas un fantasme. C'est pas systématique, par chance, mais ça revient quand même assez régulièrement ce truc. De la même façon que très régulièrement, je suis la meuf qu'on prévient pas en cas de virée ou qu'on n'invite plus aux soirées sous prétexte que "Tu comprends, avec tous tes gosses, on s'est dit que tu serais peut-être pas trop dispo pour faire la fête !". C'est tous ces trucs-là qui, à force, me pèsent pour de bon.
Est-ce que tu aurais quelque chose à dire aux féministes qui considèrent qu'on ne peut pas être féministe et mère au foyer ?
Ce que j'ai envie de dire aux féministes qui considèrent qu'on ne peut pas être féministe tout en étant mère au foyer ? Tu veux dire, en restant polie ? Sérieusement, j'ai même plus envie de m'aventurer sur ce terrain-là tellement l'expérience m'a montré que ça servait à que dalle. Pour moi, depuis le début, être féministe c'était : avoir le choix. Mais en fait non. Il suffit de regarder les causes défendues par le féminisme en général, ça bouge au gré des tendances, faut que le militantisme reste sexy. On défend les filles harcelées dans le métro, on défend les victimes de viol, on défend les femmes opprimées du bout du monde. On milite, on fait de la boxe ou du self defense, on porte des badges à slogan. Le féminisme qui se passe dans une cuisine, avec des mères au foyer qui débattraient aussi du sexisme au quotidien et de tout ce qu'il faudrait faire bouger à petite échelle, sans forcément en passer par le militantisme pur et dur, ben j'ai pas l'impression que ce soit le féminisme à cette sauce-là qui l'emporte. Ce féminisme là me donne l'air de pas intéresser grand monde. J'ai souvenir de pas mal d'élans de solidarité sur les réseaux sociaux en faveur de victimes d'actes de sexisme. Mais tu vois, par exemple, j'ai jamais vu aucune féministe défendre précisément ces "sœurs" qui font le choix d'élever des mômes et qui revendiquent le droit à ce qu'on leur foute la paix (et qu'on arrête de les prendre pour des gogoles exploitant pleinement les capacités de leur utérus à défaut de savoir faire usage de leur cerveau). Et tout cela m'amène parfois à me demander si ça a encore du sens de nos jours de se revendiquer féministe.
Tu as constaté une situation extrêmement violente sur twitter il y a peu, peux-tu nous en parler ?
Tu vois la dernière fois par exemple sur Twitter, avec une autre fille on a voulu donné un coup de main à une lycéenne qui était en train de se faire harcelée par d'autres gamins sur les réseaux sociaux. Harcelée pour avoir mis des talons hauts à 15 ans. Ca allait très loin, du genre "Haha trop fort venez on continue elle va finir par se suicider !". Ben j'ai été vraiment dégoûtée car ce soir-là je t'assure qu'y avait vraiment du monde su Twitter, y compris des gens qui passent leur temps à s'indigner et se révolter sur le sexisme, le bashing, le harcèlement et compagnie. Sauf que là, PERSONNE a réagi. Personne. On n'était que deux. On a contacté l'établissement de la môme et pris les choses en main. Ca m'a dégoûtée car - et je dis ça sans méchanceté, on est bien d'accord - la moindre parisienne qui se fait peloter le cul dans le métro a le soutien de tous les enragés et tous les féministes de Twitter. En revanche quand ça touche une petite péquenaude d'un lycée rural, subitement, ça n'interpelle personne. Alors que selon moi, le gros du travail il est là. Soutenir les gosses qui se font traiter de pute, utiliser son statut de grande personne pour intimider un peu ces jeunes cons qui harcèlent et leur remettre un peu les idées en place, ben tout ça, c'est aussi un combat. Et peut-être que j'en fait des caisses, je sais pas, que je suis pessimiste concernant le combat féministe. Mais dès qu'une fille se fait agressée verbalement dans le métro parisien ou dans un train, on a droit au billet de blog, aux réseaux sociaux qui relayent, à tout le soutien possible. Autant pour des agressions ou harcèlement moins "sexy", il se passe rien. Alors que ça sert à rien de se battre contre des gros cons machos de 30 ou 40 ans si on prend pas la peine de s'attaquer direct aux jeunes générations, histoire d'éviter qu'ils ne deviennent justement les gros cons qui, plus tard, toucheront le cul des filles dans le train. Bref, c'est ce genre d'anecdote isolée qui me fait prendre conscience des lacunes du féminisme. On peut pas faire du féminisme de façon intelligente, durable et constructive, si on s'attaque qu'à certains aspects au détriment de tout le reste. Et si on néglige ce qui, de mon point de vue est la clé (mais là encore, je peux me tromper) : l'éducation des garçons, nom d'un chien !
By the way, true fact qui m'a troué le cul, c'est la réponse de l'établissement après qu'on ait signalé le harcèlement dont a été victime la gamine :
- "On va faire un rappel à l'ordre".
- "Vous savez, on a les preuves des propos tenus et l'identité des élèves harceleurs qui la poussent au suicide ou l'humilient depuis des heures !"
- "Oui mais ça on n'en tient pas compte. Pour l'éducation nationale, les réseaux sociaux n'ont aucune existence. On n'est pas habilité à enquêter de ce côté et on ne peut pas considérer quoi que ce soit qui émane des réseaux sociaux comme des preuves."
Aucun des harceleurs s'est pris la moindre sanction. La môme se serait foutue en l'air que ça aurait été pareil. Alors, ça fait pas froid dans le dos, de voir comment le gouvernement prétend gérer le problème du harcèlement à l'école ? Personnellement, j'en chialerai.
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Ce matin, le soleil brillait dans le ciel de Paris. Ce soleil d’hiver qui ne réchauffe pas vraiment, mais qui fait du bien, qui donne le sourire. Après les deux jours qui venaient de s’écouler, c’était le soleil de l’espoir, le soleil qui dit merde à l’horreur, à la tragédie, à l’abomination. C’était la lumière au bout du tunnel.
Alors, je suis sortie. Je suis sortie la fleur au fusil. Je suis sortie le sourire aux lèvres pour rejoindre des amies. Le sourire aux lèvres mais le cœur gros.
J’avais la chance de n’avoir perdu personne, de ne connaître personne qui ait été touché. Et pourtant, j’étais triste pour ces dizaines, ces centaines de personnes endeuillées. Pour ces lieux que je connaissais, que j’avais fréquentés, à côté desquels j’avais vécu pendant des années. Mais sortir c’était tout ce qu’il fallait faire. Je suis sortie rejoindre des amies. On s’est serrées dans les bras. On a brunché, comme les parisiennes que nous sommes. On a bu des cafés, on a fumé des clopes. On a même fait des blagues.
On est allées poser une bougie devant le Bataclan. On s’est recueilli. On a souri aux gens. On a parlé à voix basse, dans ce silence de mort. Comme le 7 janvier sur la place de la République. Les larmes des uns et des autres. Les gens qui se prennent dans les bras. C’était fort. C’était bien d’être là. Il fallait être là. Se monter unis. Il y a le symbole, oui. Mais, profondément, j’avais besoin d’être là.
On est allé poser une bougie devant le Carillon et le Petit Cambodge. Les mêmes scènes, les mêmes gens, les mêmes pensées « Ça aurait pu être nous », « On aurait pu être là ». Et continuer malgré tout à faire des blagues. Parce qu’on est comme ça. Pour dédramatiser. Pour faire tomber la pression. Pour alléger l’ambiance.
Et puis la nuit est tombée. On a eu envie de boire une bière. On s’est installées à une terrasse proche de la place de la République. On n’a pas trop réfléchi. C’était simple d’aller là. Comme ça ce serait facile pour tout le monde après de rentrer chez soi. On a commandé des bières, on a vu l’addition, on s’est dit que c’était quand même vachement cher cet endroit. Mais on a trinqué. On a trinqué à la vie.
Et tout s’est arrêté. Ou tout s’est accéléré. Un regard à droite, vers la place de la République. Des gens qui courent. Qui crient. Se lever, le verre à la main. Courir. Lâcher le verre, alors je m’étais mise à courir avec ma bière à la main. Eviter les gens. Sauter par dessus les chaises renversées. Apercevoir le dos d’une amie, courir vers elle, surtout ne pas la perdre de vue. Ne pas être seule dans ce qui ressemble à un chaos. Entrer dans le hall d’un hôtel. Réaliser qu’on n’est que deux alors qu’on était cinq à la terrasse.
Les pleurs, les tremblements. On est vingt, peut-être trente, dans le hall de cet hôtel. Les journalistes étrangers qui sont là ne comprennent rien. On ne comprend rien non plus. Que s’est-il passé ? Des tirs ? C’est sûr ? On n’en sait rien. Où sont nos amis ? Sains et saufs, à l’abri. Heureusement.
L’attente et l’angoisse durent de longues minutes. Et puis finalement, ce n’était rien. Une fausse alerte. Un mouvement de foule. Peut-être des pétards. Personne ne sait vraiment.
Se retrouver, se serrer dans les bras. Rassurer tant qu’on peut les proches qui appellent. Rentrer chez soi. Se servir un verre. Allumer une clope. Et puis les images qui reviennent, en boucle, au ralenti, comme un mauvais film. Pendant plusieurs heures.
Ce matin, je n’avais pas peur. Ce soir, j’ai peur. Il faut continuer à vivre. Le texte de Luc Le Vaillant dans Libération est sublime, il est très vrai. J’ai passé deux jours à tenter de rationnaliser, d’analyser, de me blinder derrière mon métier de journaliste. Ce soir, je n’y arrive plus. J’ai couru pour rien. Mais j’ai couru.
J’ai couru pour fuir. J’ai couru pour me mettre à l’abri. J’ai couru en pensant que je devais courir pour sauver ma vie. J’ai couru dans les rues de Paris. Je ne peux pas oublier cette sensation. J’ai beau savoir que c’est dérisoire par rapport à ce qu’ont vécu toutes les victimes vendredi soir, ce soir, je ne suis plus la même.
Ce soir, je ne suis plus celle que j’étais ce matin. J’ai la sensation d’avoir perdu une part d’innocence, d’inconscience, de légèreté. J’espère que tout cela n’est que perdu et que je vais les retrouver…
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