Flirtant avec les pires perversions, Hisayasu Satô – chef de file du porno-soft déviant japonais – se voit rendre un bel hommage par le célèbre Festival du Film Underground de Lausanne (LUFF) qui diffuse ses films-phare. Aussi perturbants qu’énervés.
Considéré comme l’un des Pink shitennô, les « Quatre Empereurs du Porno-soft » (avec Kazuhiro Sano, Toshiki Sato and Takahisa Zeze), Hisayasu Satô s’est rendu célèbre avec des films sombres, grinçants et surtout «limites», dont la plupart des fans soulignent volontiers les excès. On ne sort pas forcément indemne d’une «séance Satô». Dans Turtle Vision, suite à un viol, une jeune femme mutile des hommes, après avoir couché avec eux, en leur crevant les yeux lors de crises de somnambulisme. Dans Naked Blood, Un jeune chercheur invente une drogue capable de transformer la douleur en plaisir. Il décide d’en tester les effets sur trois jeunes filles. Dans Soft Skin, une femme au foyer qui s’ennuie, s’inspire d’un serial-killer armé d’une tronçonneuse pour monter un faux kidnapping (le sien). Dans The Eye’s Dream, kidnappée et transformée en esclave sexuelle dans son enfance par un homme qui lui a également arraché un œil, une photographe traque les gens dans la rue pour prendre des photos de. Dans Lolita Vibrator Torture, Un psychopathe attire des écolières chez lui avant de les torturer à l’aide d’un vibromasseur... Dans Lolita Disgrace, un couple de jeunes diffuse des émissions de radios pirates en espionnant des criminels sexuels. Dans Ruff Sex, trois marginaux (une femme qui a tué sa sœur, un nécrophile et une amnésique) capturent une jeune femme…
Un pot pourri de perversions au service d’un discours de dénonciation
S’il fallait faire la liste des perversions mises en scène par Satô, il n’en manquerait aucune dans le registre du hardcore. Même la zoophilie fait ses délices. Mais le plus frappant dans son cinéma, ce n’est pas le plaisir de la transgression. Non. C’est au contraire la rage avec laquelle il dénonce les déviances. Dans ses films, pas de héros. Il n’y a pratiquement aucun personnage pour en sauver un autre. Hommes, femmes, hétéros, homos : tous des pervers dégénérés, des hystériques et des frustrés. Même les victimes sont détestables. «Satô dresse un portrait sombre de l’être humain moderne, et plus particulièrement du japonais urbain contemporain, explique Julien Bodivit, directeur du LUFF. Pour autant, je ne pense pas que Satô soit misanthrope. Du point de vue de la démarche, on peut le comparer au cinéaste Koji Wakamatsu (une influence avouée), qui émergea dans les années 1960 et dont les propos étaient plus politiques, mais la méthode similaire : profiter du cinéma érotique pour y faire véhiculer ses protestations et obsessions. Wakamatsu, c’est l’ancien yakuza anarchiste qui défonce autant le système policier que les gauchistes aux discours creux dans lesquels il ne se reconnaît plus... Vingt ans plus tard, la politique et la société nipponne n’ont plus le même visage. C’est alors qu’apparaît Satô, l’otaku en puissance qui satyrise le citadin moderne, reclus et passif, victime d’un environnement sociétal dans lequel il ne se reconnaît pas. A force de se renfermer sur lui-même, il voit la pression monter et la soupape lâcher. Alors survient l’hystérie et le meurtre. Exactement comme chez Wakamatsu.»
Pour Satô, tout le monde est malade ?
On pourrait s’étonner que des films estampillés pink (porno-soft) mettent en scène la sexualité comme une sorte de tout-à-l’égoût des pulsions assassines. L’oeuvre de Satô n’est pas tendre pour le genre humain. Mais il serait réducteur de ne voir là qu’une forme larvée de puritanisme. De fait, Satô ne se contente pas de vitupérer : il prouve par l’image ce qu’il avance. Vous voulez savoir à quel point les gens sont devenus froids et indifférents ? Satô le montre : «Dans plusieurs de ses films, on trouve des scènes tournées de manière dite “guérilla”. Par exemple, un ou plusieurs acteurs déambulent dans la rue et simulent des scènes d’agressions ou d’évanouissement au milieu d’une foule ignorant qu’elle est épiée par la caméra du réalisateur. Le résultat est tétanisant : devant des actes parfois violents, l’indifférence est générale, tout au plus pouvons-nous assister à un sursaut de curiosité de la part d’un badaud un peu plus observateur – ou voyeur – qu’un autre ! C’est pour le moins perturbant. Encore plus dingue, dans le film Wife Collector (1985), la victime d’un violeur est jetée nue de la voiture de l’agresseur sur le bord d’une route en plein jour. La caméra, visiblement située à plusieurs dizaines de mètres de là, imprime alors les passages d’automobilistes indifférents à la détresse de la victime ! Si les personnages des films de Satô sont clairement malades, ces éléments laissent penser qu’ils ne sont malheureusement pas des cas isolés – même si les symptômes ne sont pas les mêmes. C’est assez dérangeant quand on y pense…»
Du cinéma Pink détourné par un cinéaste Punk
Pour Julien Bodivit, l’oeuvre de Satô a donc la vertu d’un électrochoc. Elle dénonce autant qu’elle dévoile les lâchetés quotidiennes de la foule et l’égoïsme individuel. Peut-on dire qu’il s’agit d’un cinéma pink ? Non. C’est du faux porno. Les scènes de sexe ne sont pas faites pour exciter (au contraire), même si elles en ont les apparences. Satô a besoin d’argent pour tourner ses brûlots. Or les maisons de production sont prêtes à financer le tournage de n’importe quel film pourvu que celui-ci comporte un certain nombre de coïts. Peu importe que le coït en question soit un viol répulsif filmé dans un esprit de dénonciation. «Dans les années 1960 déjà, Koji Wakamatsu a su détourner le créneau du Pink pour aborder les sujets qui lui tenaient à cœur, violents et destructeurs. Ces sujets n’avaient aucuns intérêts commerciaux, mais en respectant un cahier des charges dont la seule exigence était de montrer une certaine durée de nudité à l’écran, alors les portes d’un certain circuit de distribution s’ouvraient. Que le film parle de la récolte du riz au Nord du Japon ou des activités de l’armée rouge japonaise n’avait finalement que peu d’intérêt aux yeux des exploitants. Tout ce qui comptait pour eux, c’était d’avoir des scènes de sexe toutes les quinze minutes. Je pense que l’approche de Satô est assez similaire, détourner le pink pour asséner un bon coup de massue.»
Le miroir aux alouettes des scènes de coït
De façon étonnante, il arrive que ces films-coups-de-massue soient malgré tout excitants. Très excitants même. C’est tout le paradoxe de ce cinéma qui –sous couvert de stimuler notre libido– met en accusation la société toute entière et parvient à le faire sans pour autant sombrer dans la simple diatribe. Il y a de la critique sociale, mais aussi des phéromones et des séquences dadaïstes soulignées par d’étranges partitions musicales… Dans Muscle, Satô filme un gay amoureux de l’homme dont il a coupé le bras, bras qu’il conserve dans un bocal avec lequel il se masturbe tandis que résonnent les accords du groupe de musique industrielle Coil. C’est un cinéma mitigé et finalement bien plus humain que le cinéma «engagé». Rien de plus humain que la contradiction. Il serait donc faux de dire que les films de Satô sont juste politiques. Puisqu’en réalité, ils sont un mélange de tout : sexuels, comiques, horrifiques, poétiques. «D’ailleurs, si Satô et les trois autres “rois divins du pinku” se sont distingués de la masse des réalisateurs du genre, c’est bien parce que leurs films ont su se faire remarquer au-delà du public purement érotomane grâce à leurs propos et certains partis-pris esthétiques témoignant d’un réel souci cinématographique, explique Julien Bodivit. A tel point que ces réalisateurs, Satô en tête, sont plus reconnus aujourd’hui par les amateurs de cinéma “alternatif” que par les amateurs de cinéma masturbatoire. Pour terminer, je ne pense pas que ces films aient la prétention de nous dire que le monde est pourri, mais simplement de présenter ce qui effraie leurs auteurs dans ce même monde.»
Quatre films phare d’Hisayasu Satô seront diffusés au LUFF, qui se déroule du 18 au 22 octobre à Lausanne, avec un riche programme musical en sus, une carte blanche accordée à l’émission Mauvais Genre, etc
16e édition du Lausanne Underground Film & Music Festival : «Cinéma, musique, arts vivants et plastiques s’entrecroiseront pour amocher en bonne et due forme les cloisons entre les arts. Les avant-gardes d’hier tisseront des liens avec les jeunes recrues de l’underground pour cinq jours de projets rares et parfois inédits. Cette année - entre autres – seront présents : Klara Lewis et Graham Lewis, Hisayasu Satō, Helen Thorington, Maxime Lachaud, Klein, François Angelier et Christophe Bier pour les 20 ans de Mauvais Genres, Stine Janvin Motland, Petra Pied de Biche, Avenir, Maria Violenza et bien d’autres…»
LUFF - UNDERGROUND FILM FESTIVAL DE LAUSANNE :
Quatre films phare d’Hisayasu Satō: divin roi du film rose, sont diffusés au LUFF
Turtle Vision (1991) : «Le titre le plus expérimental d’une œuvre largement obsédée par le thème du voyeurisme.» (Julien Bodivit) - VEN 20 OCT
Muscle (1989) : «Hommage à Pier Paolo Pasolini, le film suit les amours cruelles entre un homme sensible et un danseur classique au tempérament impulsif […] le tout sur les partitions si caractéristiques du groupe de musique industrielle britannique Coil.» (Julien Bodivit) - JEU 19 OCT
Rafureshia (1995) : «Dans ce monde où la double vie est la norme, vous découvrirez un univers de perversion et de trafic sexuel, compilé dans un joyeux maelström de n’importe quoi. Pinku déluré façon – osons le qualificatif inadapté - comédie franchouillarde, mêlé à un délire manga-gore qui a dû inspirer les productions Sushi Tycoon, voici le film le plus comique de Satô.» (Julien Bodivit) - DIM 22 OCT
Naked Blood (1996) : «Remake de son propre Gimme Shelter réalisé en 1986 dans lequel l’explosion de la cellule familiale préfigurait le fameux Visitor Q de Takashi Miike» (Julien Bodivit) - SAN 21 OCT