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Ambiance romance Harlequin dans ce billet :-) |
Au moins, il n’y aura pas de suspense : oui, on a fini par baiser. On l’a finalement fait, après tout ce temps passé à m’en faire douter.
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D’ailleurs, je vais parler de lui, dans ma vie ces dernières semaines, en commençant par cet instant précis (d’une trentaine de secondes) qui tourne en boucle dans mes pensées :
le corps – le mien - entièrement saisi par le désir, le corps qui m’échappe complètement. Ca se passe à Paris en début d’après-midi, quelque chose comme 14h15, à mon appartement. Je suis allongée près de lui et ma confusion est absolue : mon cœur bat à tout rompre, mes veines sont gorgées du sang des bêtes, ma peau pourrait prendre feu : il est
enfincontre moi, nu, et son sexe est d’une dureté absolue, prêt à me prendre. Il me fait languir encore un tout petit peu, après tous ces détours pour en arriver là... Moi je pourrais rugir, hurler pour le supplier de me pénétrer, tellement j’en ai
besoin : je suis une bête, il a fait ça de moi, là : juste un animal, juste femelle et c’est primaire, viscéral : mon sexe impose sa loi, il réclame d’être
enfin pris, empli, pénétré… Mon sexe réclame une queue… Et de toute urgence... Ca fait tellement longtemps que… que j’y
pense, disons… J’en ai tellement envie… Quand il vient enfin sur moi, félin et hyper-sensuel, je me sens proche de la chute dans l’abîme : je gémis sous lui, suppliante, haletante, gorgée de désir… J’ai trop besoin de son sexe d’homme, j’ai trop besoin de le sentir
enfinen moi, trop besoin de le sentir
s’enfoncer… Je serre les cuisses pour essayer de me calmer, mais rien n’y fait : je veux qu’il me plante sa putain de bite, là, et tout de suite... Je le veux
tellement que je n’en peux plus de ce moment… C’est érotique, bestial, suffoquant - je suis absolument trempée et je meurs de chaud. Il vient de mettre un préservatif, alors oui, il va le faire, il est sur moi pour ça, pour me pénétrer. Donc respirer, me calmer, tout va bien… Mais j’ai
tellement envie de lui, tellement envie de ça : qu’il vienne en moi pour la toute première fois… Qu’il devienne
enfin mon amant… Je n’attends que ça, il sait. Il me fait attendre plusieurs secondes mais je ne crois pas que ce soit par défi, je crois qu’il est juste concentré, conscient de mon trouble immense, il ressent mon affolement. Il sait que pour moi cet instant sera sacré, cet instant où je vais le sentir
pour la toute première fois en moi. Il sait aussi que je n’ai pas fait l’amour depuis un moment, il sait tout ça. Alors je meurs de désir sous son corps, qui ne m’a toujours pas pénétrée. Je respire et je parviens tant bien que mal à le supplier, en murmurant : «
viens, prends-moi… fais-moi l’amour… ». Je l’entends me dire «
oui », mais je ne suis plus très sure, j’ai peut-être fantasmé cette approbation, dans mon affolement. Il m’embrasse encore dans le cou, caresse mes seins... mais mon corps n’en a que faire, mon désir est tellement plus cru : à cet instant précis, tout se passe seulement entre mes cuisses. Alors je l’enserre pour lui faire bien comprendre que c’est sa queue que je désire, pas ses caresses... Intérieurement j’ai envie de crier, de lui hurler de me prendre, de me pénétrer, mais je ne peux même pas parler. Tout mon corps le supplie : la tension, à cet instant, est absolue : je VEUX qu’il me plante sa queue. Mes bras autour de son cou, mes cuisses autour de ses hanches, ce qui veut dire :
prends-moi mon amour, je t’en supplie, le vide entre mes cuisses est insoutenable, enfonce-toi… Je râle encore, remue les hanches, ondule, les cuisses grandes écartées, tout mon corps l’implore de s’enfoncer en moi... L’urgence mène entièrement la danse, je me cabre, je convulse d’envie de lui. Vraiment là je n’en peux plus. Qu’il me prenne. Qu’il me prenne
enfin… Quand soudain : il se recule un instant, ne me déshabille pas mais décale légèrement la culotte en dentelle : il dégage l’accès. Là je crois que je flambe. Il va le faire. Il va le faire, là, et ça sera la toute première fois. Je vais le sentir en moi.
Enfin.
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Après, avec le recul de ce soir d’écriture, je ne peux pas m’empêcher, pensant à lui, d’en venir à Duras, plus précisément à son premier amant qu’elle appelait
« celui qui faisait la jouissance de l’après-midi », dans ce livre qui lui a valu le Goncourt au crépuscule de sa vie, ce livre époustouflant qui s’appelle
« L’amant », et qui parle
« de la solitude de l’amour, aussi bien que celle du désir ». Duras écrit de son amant :
« C’est un homme qui a des habitudes (…), c’est un homme qui doit faire beaucoup l’amour. Je lui dis que j’aime l’idée qu’il ait beaucoup de femmes, celle d’être parmi ces femmes, confondue. » (L’Amant)L’amant dont je parle, le mien, a cela de commun avec son chinois, oui : c’est un homme qui a des habitudes, qui fait beaucoup l’amour. Ou en tout cas qui l’a énormément fait dans sa vie, à énormément de femmes. Il m’a dit :
« tu dois être ma 1001e amante », et ce n’était pas qu’une jolie référence à la licence orientale, Shéhérazade et le nombre de ses nuits : l’ordre de grandeur était signifiant. C’est un séducteur, au vrai sens du terme : de ces hommes qui parviennent si bien à s’attacher le désir inconditionnel des femmes en feignant de ne pas le rechercher, puis qui font mine d’en être un peu gênés, après. «
Tu te rends compte, elle est littéralement dingue de moi, si je la quitte je vais la briser, que faire ? ». Lorsqu’il m’adresse ce genre de question (il me parlait ici de son amante régulière), je ne réponds rien… Mais chacun des gestes qu’il a sur moi, durant cette après-midi que j’ai commencée à raconter, ces gestes si sûrs d’eux, cette science si évidente de l’amour, me ramenait à sa fréquentation assidue du corps des femmes - au moins 1000 avant moi, oui, tout à fait crédible. J’écris « science de l’amour » comme j’aurais pu écrire « technique infaillible », du reste – l’émotion c’est très différent, j’en parlerais après.
Donc il l’a tellement fait, dans sa vie, l’amour (à plus de 1000 femmes, à ce qu’il en dit) qu’il ne veut plus le faire, maintenant, n’importe comment : il est lassé des « simples » assouvissements indifférents, en clair de tout ce qui pourrait s’apparenter de près ou loin à un plan Q. Il prétend qu'à présent, « le sexe pour le sexe » ne l’intéresse plus. Et voilà mon histoire : celle d’un hyper séducteur, qui a et a eu absolument toutes les femmes qu’il veut / a voulu, mais n’en veut pas, justement, n’en veut plus. En tout cas plus pour un simple coup. Et donc je me suis retrouvée dans le lot, à mon insu puisque c’est lui qui m’a sollicitée avec insistance… puis j’ai eu très envie de lui… et je lui ai dit… mais niet, il m’a alors exposé sa théorie : apprenons d’abord à bien se connaître. Et bien !
C’est la première fois de ma vie qu’on m’adressait une telle demande, d’autant plus surprenante vu son passé (les 1000), sa personnalité, son extrême assurance de la vie… Alors j’ai joué le jeu, docile… ou presque…
Je me rappelle notre premier rendez-vous galant, dans un palace parisien où il m’avait priée de le retrouver- il irradiait l’endroit de toute son aisance, et – il faut bien l’avouer - de sa beauté physique époustouflante. Moi j’étais complètement affolée face à lui et il m’avait dit, tranquille et très sûr de lui, au 1
er degré :
« Les femmes sont toutes amoureuses de moi, tu dois le savoir, vraiment toutes. Je ne comprends pas mais je leur fais un effet incroyable, parfois elles deviennent folles : folles de désir pour moi, elles perdent pieds. ». A noter que c’était dit sans une once d’arrogance, aucune prétention. C’était dit avec un ton enfantin, candide, comme s’il était réellement surpris de l’effet qu’il peut faire – et surtout : comme s’il en était innocent, comme s’il n’en jouait pas, tout à fait sciemment.En fait, je comprenais très bien sa confidence, déjà. Déjà…
« Parce qu’il ne sait pas pour lui, je le dis pour lui, à sa place, parce qu’il ne sait pas qu’il porte en lui une élégance cardinale, je le dis pour lui. » (L’Amant)C’est un séducteur, oui : la séduction lui sort de toutes parts. Le jeu est devenu limpide pour lui, il le pratique avec une intelligence désinvolte et ambigüe. Il est né meneur de jeu. Il a toutes les plus belles cartes en main, un vrai carré d’as : une intelligence suprême, une vraie réussite sociale, une beauté du diable, beaucoup de fric, et même, en prime (ce qui est très utile pour pouvoir jouer, évidemment : en avoir le temps) : une assez grande liberté de ses journées. Il a cette assurance qui semble innée, cette aisance des gosses de riches auxquels on a inculqué depuis l’enfance qu’ils ont raison d’exister : ces gosses bien nés auxquels on a toujours appris que le monde est fait pour servir leurs desseins, et aussi leurs désirs. Qu’ils n’ont qu’à se pencher pour ramasser, que tout leur appartient : le monde, l’argent et aussi les femmes, évidemment. Mais lui n’a pas gâché les chances que la vie lui a données, loin de là : il a affûté sa suprême intelligence, et sa grande sensibilité aux situations, à la psychologie. Il sait négocier, il est suprêmement doué en rhétorique : il sait parfaitement aller dans le sens de ses interlocuteurs quand ça le sert, les prendre à revers quand ça le sert, s’en sortir par un pas de côté ou son humour fou – quand ça le sert aussi, évidemment. Lui qui comprend si bien les ressorts du monde et de ses habitants, il est évident qu’il peut obtenir d’un battement de cil les faveurs de tant de femmes, flatteuses, courtisanes et rapidement amoureuses transies, éblouie par ce personnage si bien servi par la vie : s’il le voulait il ne pourrait jouer sa vie intime que sur la gamme infantile de l’envie, du caprice et de la bouderie. Prendre, congédier ou disparaître sans se retourner, laissant derrière lui les amantes éplorées…Oui, mais.Mais il m’a sollicitée
moi, et draguée, en disant (en gros) : «
Avec toi, je cherche autre chose ». Autre chose ? Mais «
autre chose » que quoi, que des aventures sensuelles ? Moi Camille Beaufils qui écrit sur le libertinage ? Moi je serais censée lui offrir autre chose que toutes les femmes qui rêvent déjà de lui, de son corps, de son sexe en elles ? Dès le début, les paradoxes de notre rapprochement avaient tout pour m’alerter…
Je repense aussi à Duras qui écrivait à propos de son amant chinois :
c’est comme si son corps était fait pour l’amour.« - C’est comme un métier que tu aurais de ne rien faire, d’avoir des femmes, de fumer l’opium. D’ailler dans les clubs, à la piscine… à Paris… à New York, en Floride… » (L’Amant de la Chine du Nord)Et c’est exactement ce que je pense, en revoyant cet homme sur moi, à un instant de me pénétrer pour la toute première fois : son corps semble fait pour l’amour. Il a le temps et largement les moyens pour être cet amant-là : aguerri, entraîné, très soigné. Le week-end, il m’appelle souvent depuis son club de fitness, un des plus luxueux de Paris, entre ses séances de musculation. Il porte des chemises à boutons de manchettes, ce qui devient si rare. Sa peau est ambrée, elle porte encore la trace des semaines de vacances qu’il a passées cet été sur les plages paradisiaques de l’hémisphère sud (avec son amante). Son sourire, comme il me l’a dit lui-même : « ultra-bright ».
« Il sent bon la cigarette anglaise, le parfum cher, il sent le miel, à force sa peau a pris l’odeur de la soie, celle fruitée du tussor de soie, celle de l’or, il est désirable. Je lui dis ce désir de lui. Il me dit d’attendre encore. » (L’Amant)
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« Il me dit d’attendre encore. » : il est vrai qu’il m’aura fait attendre, cet homme-là, après qu’il m’ait sollicitée, séduite, et que je lui ai dit ce désir de lui qu’il avait crée en moi (
certainement pas sur la base de son physique, loin de là, qui m’a au contraire clairement retenue). Mais son approche de moi n’avait rien d’un affût éphémère, une prise de plus. Il m’a dit, notamment : «
j’ai absolument tout lu sur ton blog, en détail, j’ai analysé tes propos, tes contradictions, il y a des éléments que je comprends et auxquels j’adhère, d’autres qui m’agacent très fortement : je suis lucide mais en tout cas, j’ai passé un temps fou à te lire, comme peut-être personne ne t’a lue ». Il m’a dit aussi : «
je déteste ton blog mais je suis tombé amoureux de ton histoire, ton passé, ce que tu racontais dans ton ITW sur Rue 89… Et puis tous ces mecs qui t’ont abîmée… moi je vais être différent d’eux, je n’ai rien en commun avec eux, moi je vais t’apporter beaucoup. ».
Il refusait de faire de moi «
une de plus », anonyme, il voulait prendre le temps de la découverte, me connaître « pour de vrai », sans s’arrêter au blog. Quelle affaire !
En réalité, il a très rapidement laissé entendre que je l’intéressais, qu’il me ferait l’amour, que je n’avais aucune raison d’en douter. Mais «
quand il le déciderait ». Il insinuait toujours que ces détours ne servaient qu’à couver des orages qui n’allaient pas tarder à éclater : «
un jour où tu ne t’y attendras pas ». Et il a si bien tenu sa résolution, malgré mes insinuations, allusions voire suppliques parfois acharnées, bref malgré mon immense et pressent désir, que par instants j’ai pu me demander s’il ne s’amusait pas de moi, dans l’exercice cruel d’une torture sans merci – torture qui dès le début aurait été destinée à ne mener à rien. J’ai pu me demander, parfois, si je n’étais pas son nouveau jouet, juste un petit hochet divertissant qu’il allait agiter un peu, pour la nouveauté, avant de le reposer l’air dédaigneux. Il est vrai qu’il a souvent vanté en moi «
la nouveauté », il m’a beaucoup dit : «
Avec toi, tout est différent des amantes que j’ai connues avant, tes raisonnements, ton rapport aux hommes, tes références… je découvre, j’explore cette nouveauté ».
Je me rappelle ce premier tête-à-tête amoureux, donc, dans le palace parisien dont je parlais, quand il m’avait dit au premier degré que TOUTES les femmes étaient folles de lui : un miracle de désir et de complicité absolues.Pour la surréaliste que je suis, ce rendez-vous avait eu lieu dans une autre dimension de la réalité, clairement : quelque part dans un temps chaviré où n’existaient plus que l’aube et les crépuscules mêlés – quelque part sur une promenade de bord de mer où nous aurions été seuls au monde, avec l’éternité de la nuit pour nous confier tous nos secrets, remonter l’un pour l’autre nos passés… Moi je lui ai tout dit d’emblée, toute la noirceur de ma vie actuelle : mon histoire avec S. brisée sur un « coup du destin » dont je n’étais pas responsable, ma grosse déception de sentir le manque de soutien de mon ex-amant B., mes difficultés à trouver ma voie professionnelle, etc… Malgré la dureté de ces confidences tout était si doux, si soyeux dans ce temps partagé : il m’écoutait, sans jugement, me comprenait, me gratifiait de tout son intérêt, et les yeux qu’il posait sur moi étaient si protecteurs, si tendres et bienveillants… Un vrai prodige de magie, tout était d’une telle douceur dans les confidences partagées… Lui me parlait de son passé mouvementé (toutes ses années à courir une femme différente chaque soir, notamment) et tandis que je l’écoutais n’existait déjà plus pour moi que la séduction qu’il déployait, enchantement majeur qui vous fige, annihile et rapte au firmament : ce premier rendez-vous de plus de 2h30 partagées était inoubliable.
Quelque chose s’est produit entre nous, je crois, durant ce rendez-vous.
Quelque chose qui ressemblait si fort à du désir…Bref, plus de 2h30 passées à le dévorer des yeux sans scrupules, captivée déjà, et déjà me donnant à lui sans rémission, dans mon regard totalement à sa merci, et aimant ça au-delà de tout : être à lui.
Nous avions bel et bien basculé dans la séduction, et tout y était déjà, dans l’ordre des symboles : la pomme du péché qui brillait, rouge vif, comme le furent mes joues quand, à un instant durant lequel il me parlait de son amante, il s’est interrompu net pour me pousser sur le grill chauffé à blanc : «
Mais dis moi, tu es jalouse, ça t’agace déjà que je parle d’une autre femme à qui je fais l’amour, comme si elle te prenait déjà quelque chose ! » (lui, un air triomphateur et amusé, moi, plus pourpre que la pomme de l’Eden, donc), et puis le petit serpent de la tentation, évidemment, enlacé sur un des barreaux de la grille du palais que je voyais s’entrouvrir, et qui me susurrait de me laisser séduire, évidemment, et sans scrupules, de m’abandonner dans les bras de cet homme-là, advienne que pourra mais au moins tu auras à nouveau cédé au plus précieux des péchés, alors tu vois que la vie vaut d’être vécue, vas-y, fais lui comprendre que tu en as envie… (Saleté de petit serpent que je sentais gronder dans le fond de mon ventre…)
Bref, après un tel moment suspendu j’aurais trouvé beau, et même sublime, que nous prolongions l’enchantement par un partage charnel, et je l’ai vraiment laissé comprendre.
Oui mais.
Mais pour lui, il n’en était
absolument pas question.
Il avait tué le petit serpent de sang froid : «
non, pas question, certainement pas ce soir, allons, la question ne se pose même pas ».
Ah oui, la question ne se posait pas, pardon (traitre de petit serpent qui m’a poussée à l’aveu… je me sentais bien bête !).
Alors après, nous avions simplement marché, ensemble, jusqu’au métro le plus proche, pour rentrer chacun chez soi.
« Ils roulent quelques temps. L’histoire est là, déjà, inévitable, Celle d’un amour aveuglant, Toujours à venir, Jamais oublié. L’enfant descend de l’auto, elle va lentement.Le Chinois ne la regarde pas.Ils ne se retournent pas, ne se regardent plus. »(L’Amant de la Chine du Nord)Ce soir là, donc, il me raccompagnait à pieds au métro, et en sortant d’un tel moment passé avec lui je ne savais plus trop où nous étions ni ce qu’on venait de partager, seulement l’impression de marcher sur un fil avec le vide dessous, à me demander « va-t-il au moins m’embrasser ? ». Je me rappelle très bien que je l’écoutais me parler, totalement indifférente au fond de ses propos, juste à me dire «
mais où je suis, là ? dans Paris ? Où se sont déroulées, exactement, les trois dernières heures de ma vie ? D’où sort toute cette magie, et où je suis ? Est-ce que j’ai vraiment suggéré à cet homme que j’avais envie de lui ? J’ai fait ça, vraiment ? Et il m’a répondu « non, c’est trop tôt», vraiment ? Ca a vraiment eu lieu, tout ça ? On va me réveiller ? »
Face à la station de métro, il avait frôlé mes lèvres.
Il avait été
très attentif à ne rien me donner de plus. Surtout pas un vrai contact, surtout pas sa langue,
de facto. Vraiment : un frôlement. Je ne sais même pas si, de fait, je peux considérer qu’il s’agissait d’un baiser. Mais bien sur ça voulait dire quelque chose : c’était un frôlement qui a duré très longtemps. On ne peut pas dire que c’était « un égarement », non. C’était pensé, réfléchi, c’était lourd de sens, ça voulait dire :
ce soir je te donne ça, attends-toi à plus bientôt, sois patiente c’est moi qui vais dicter le tempo.Après, par sms, l’enchanteur en question m’avait demandé, en gros, de bien réfléchir avant de parapher le pacte implicite, parce qu’ «
où donc tout cela nous mènera ? ».
J’avais répondu «
Tout ça ? Comment ça, « tout ça » ? La séduction ? Coucher avec toi ? Mais qu’est ce que ça changerait, au fond ? Qu’est-ce qui serait différent, par rapport au moment qu’on vient déjà de partager, s’il y avait en plus du sexe ? ».
C’était l’époque où je me posais tellement moins de questions de lui, si insouciante face à cette rencontre tombée du ciel que je ne pouvais QUE savourer, sans questions…
Voilà, son piège commençait à se refermer sur moi. J’en étais vaguement consciente, mais en tout cas totalement consentante.
Son piège… car j’en reviens à mon sujet : il m’a beaucoup fait attendre.Notre histoire s’est écrite
crescendo. Paradoxe : que ce
crescendo m’ait inspiré, tout à fait sincèrement, deux sentiments contradictoires :
- A la fois le luxe soyeux des détours, une forme de volupté tendre et douce, deux adultes qui jouent au flirt un peu adolescent en repoussant l’instant de ce céder : une insouciance qui m’a enchantée, et clairement valorisée. Il m’a donné un côté « princesse », celle dont les faveurs sont si précieuses qu’il ne faut pas lui ravir sans avoir avant prononcé quelques serments…
- En même temps les complexes labyrinthes qu’emprunte parfois la séduction pour certains, une forme de complication : un rapport de force un peu affaiblissant, pas forcément très sain, peut-être un rapport sombre, de son côté, à la sexualité : est-il de ces hommes qui pensent, au fond d’eux-mêmes, que faire l’amour à une femme revient à la profaner ? Il est vrai qu’il ne baise plus son épouse depuis X années, pour qui il semble pourtant ressentir une estime immense.
Il m’a même dit, tout de go : «
Parlons de sexe mezzo voce, s’il te plait. Tu en parles trop. Beaucoup trop. N’en parle plus, mais quand l’heure sera venue, je te prendrai, tu ne dois pas en douter.»
Voilà ce qu’il s’est employé à créer : l’antichambre d’inextricables enfers et paradis. Il déchaînait mon désir à organiser des baisers toujours un peu plus progressifs à chaque rendez-vous, à y adjoindre les caresses qu’on imagine, à insinuer que…
mais je ne devais pas en parler. Alors ces dernières semaines, dans ma vie, Paris s’est enflammé pour moi à supputer cela, dont il me priait de ne pas parler. J’ai aimé ça, en même temps que j’y ai clairement laissé quelques plumes. Et avec le recul, je ne suis plus très sure de rien...
Parce qu’évidemment, tous ces rendez-vous à se désirer sans s’aimer, à seulement s’embrasser (de plus en plus), tous ces instants de communion, moi je ne rêvais que de les profaner. Je voulais qu’il m’aime, évidemment, qu’il me le fasse… parfois, je n’ai pas compris pourquoi il me refusait cela, qui est si beau, qui rend la vie si inestimable, au nom de quel principe moral ou autre il décrétait que le sexe devait attendre… De toute évidence il n’avait rien à cacher, alors pourquoi ? Pourquoi pour ces choses d’éternelle beauté voulait-il que nous attendions ? Lui l’homme aux « 1000 amantes » ? Je n’ai pas compris. Mais j’ai joué le jeu, j’ai joué à chaque instant pour qu’il ne devine pas combien j’y pensais - peine perdue évidemment… Parce que je le voulais, lui, très fort, c’est clair, je voulais son corps et le sexe me manquait, mes arrière-pensées étaient absolument torrides, pour moi ces dernières semaines Paris a vraiment flambé.
Je me rappelle ce texte que j’avais écrit, pour lui seul, ou j’essayais d’y exposer mon désarroi face à tant de détours avant d’en venir au sexe.
Le texte intégral est ici. J’écrivais, à son attention mais en parlant de lui à la 3
e personne :
« En fait ce n’est vraiment pas ma « philosophie » de la volupté, et je ne lui en cache rien. Mais pour rien au monde je ne voudrais pour autant renverser l’échiquier, quitter la partie. D’abord je lui ai dit : le désir est pour moi, par nature, très solaire, très instinctif, donc se savoure sans calcul, c'est-à-dire, bien souvent, sans attendre. Il a répondu « oui, je comprends », pour terrasser la force de mon argument d’un sourire détaché, qui anéantissait par avance tous les arguments que j’aurais pu encore ajouter… Du coup je n’ai même pas développé le reste : retarder sciemment le sexe présente pour moi un très grand danger : sublimer à l’infini cette part de l’amour qui est belle d’être profane, justement, me semble un des meilleurs moyens de pousser les instincts à l’autocensure, et c’est ainsi que la chair s’avère toujours plus triste que ses promesses… Qu’on en désespère ou non, on aime souvent (physiquement) plus intensément avec la liberté que procure une histoire non encore signée : le drame de la tendresse étant justement qu’elle est souvent contraire à une pleine souveraineté sensorielle. On est contraint par l’estime qu’on lit dans les yeux de l’autre, dans cette logique qui veut qu’on commence par « apprendre à se connaître », avant d’apprendre à s’aimer… Je ne dis pas qu’il faut baiser sans désir (j’en suis totalement incapable), mais qu’il faut prendre le virage de la baise bien avant d’avoir résolu l’énigme de l’autre… C’est tout le rapport surréaliste au sexe, où le plaisir est initiatique et alchimique : plongée assumée au cœur de l’énigme, tout l’inverse d’une équation préalablement résolue… »Et pourtant ce n’est pas qu’il « n’avait pas envie de moi » : les signes de son désir ont toujours été évidents. A chacun de nos rendez-vous ma main trouvait quand même moyen de s’égarer, et je le sentais bander fort… Une fois, notre 4
e rendez-vous, il m’avait tellement embrassée, dans la rue, que j’ai presque eu l’impression qu’il me faisait l’amour. Je lui avais aussitôt écrit mon affolement, ce baiser que je n’oublierai jamais, qui était tellement plus qu’un baiser : une tombée de foudre d’ordre séismique – tellement sexuel et bestial, tellement intense, tellement chargé en désir et en émotion, un baiser totalement hallucinant – bref : un éclair s’abattant sur mes 30 ans devenus soudain totalement inexperts, face à lui – et je n’en revenais pas, j’avais 13 ans soudain et c’était le tout premier baiser de ma vie, dans les talus derrière mon collège privé catholique de province, pourtant non c’était un soir, dans le haut du Boulevard Haussmann à Paris, j’avais 30 ans et embrassé un bon paquet d’hommes avant lui...
C'est drôle parce que je lui ai écrit ça, après, que c’est comme s’il m’avait fait l’amour dans la rue tellement ce baiser était sexuel, avant de me surprendre à lire exactement cette même phrase, sous la plume de Duras :
« Ses yeux sont restés fermés comme dans les films. C’est comme si l’amour avait été fait dans la rue, elle avait dit. Aussi fort. »(L’Amant de la Chine du Nord)
Ce baiser si sexuel, c’était la consécration de son empire sur moi (les sens affutés par une passion aux aguets, bien sur, n’importe quel baiser semble ultra-sexuel, oui j’en ai conscience, et alors ?), et pourtant après il m’en a reparlé comme pour chercher à s’en innocenter, comme s’il avait pratiqué cela, ce baiser qui relevait de l’envoutement, de la magie noire, un peu à son insu. Ce soir là, après ce baiser, nous nous séparions encore pour rentrer chacun chez soi, mais tout commençait évidemment à se diriger vers cette scène, inexorablement cette scène, celle que je raconte en tout premier dans ce billet. S’y diriger si lentement que c’était à en mourir de désir - ou à en désespérer, c’est selon…
A un moment de notre histoire, je languissais tellement qu’il me touche que j’avais sombré dans la provocation. J’avais laissé entendre, par pur goût des enchaînements aux déchaînements, que sa main qui me caressait, avec toujours plus d’audace à chaque rendez-vous, n’était peut-être pas, finalement, la patte du grand fauve prête à s’abattre, mais peut-être plutôt celle du tout petit félin discrètement sadique, qui ne fait jamais que s’amuser avec sa victime sans aucune intention, au fond, de la baiser dévorer : le chaton repu (déjà trop bien nourri par ses parents) qui ne chasse plus que pour le plaisir sadique de voir la panique dans les yeux de sa proie ; proie qu’il relâchera empli de contentement, pour l’avoir simplement sentie suppliante et affolée en passant si près de ses crocs. Sans s’être donné la peine de refermer la mâchoire : il n’avait même pas faim. Cette patte qu’on observe se tendre et s’armer, qu’on redoute et qu’on espère, le ventre noué, puis qui, l’instant où l'on plisse les yeux de stupeur en attendant qu’elle nous transperce de ses griffes, est déjà en train de jouer avec le passereau, la fauvette suivante : on a frissonné mais en finalement on réalise en rouvrant les paupières qu'il ne s’est rien passé, et le chat s’amuse, rissole de son effet : l’histoire est déjà terminée, voilà, sans recours.
Bref je lui disais :
non mais c’est bon, on est potes tous les deux, tu ne me baiseras jamais… Juste deux potes… J’ai compris… Pourquoi tant de promesses sensuelles si c’est pour différer indéfiniment l’instant de se donner l’un à l’autre ? Tu voulais juste t’offrir le frisson de savoir que j’en avais envie, et tu vas me jeter sans même m’avoir touchée…J’aurais aussi pu parler du petit chaton qui adore regarder la pelote de laine dévaler une à une toutes les marches de l’escalier, parce que ça l’amuse et qu’il se fout du désordre qu’ainsi il crée : de toute façon quelqu’un d’autre passera derrière-lui pour ranger, et surtout ce qui se passe
derrière-lui, les dégâts qu’il peut causer, ça n’a jamais été son souci, à ce petit félin un peu trop narcisse pour penser que ce soit grave, au fond, l’espérance qu’il a pu faire naître chez autrui mais à laquelle il ne prend même pas la peine de répondre…
Evidemment je ne lui ai pas dit comme ça, mais ça voulait dire ça, au fond :
tu ne me baiseras, de toute façon, surement jamais, et que j’y ai cru, que je l’ai désiré et espéré, tu t’en fous, je ne suis que ton jouet, un brin de nouveauté après 1000 amantes toutes dûment baisées. Exactement comme dans l’interminable passage ci-dessus sur le chat : j’en avais fait des tonnes, je lui avais dit :
non mais c’est bon, j’ai compris, le sexe ne t’intéresse plus, après en avoir baisées 1000, tu es lassé. Je comprends très bien. Tu ne fais que t’amuser avec moi, tu me promets des choses qui n’arriveront jamais… C’était ce qui s’appelle : un contre-feu.
Ce qui l’avait, je crois… plus qu’agacé (il a l’agacement facile !).
A jouer ce genre de provocation puérile, j’avais obtenu une réaction de lui. A savoir : couloir du siège d’une grande entreprise française, la porte d’une salle de réunion refermée derrière nous, je le revois encore descendre sa braguette immédiatement, saisir mes cheveux et diriger du début à la fin une fellation où ma bouche n’était que le strict instrument de son plaisir : il ne me laissait aucune marge de manœuvre, il se branlait dans ma bouche en dirigeant tout, le rythme, la profondeur... Implicitement, je l’ai compris comme ça :
tu veux du sexe ? Et bien tiens, voilà ma queue… Sa jouissance dans ma bouche, son sperme descendant le long de ma gorge, j’avais aimé ça… Et encore, n’eût été mon refus, il m’aurait prise en levrette, m’a-t-il dit après, dans cette même sale de réunion. Dont la porte n’était même pas verrouillée ! D’ailleurs à un instant, la femme de ménage est entrée. L’espace de trois secondes, le temps d’apercevoir qu’un genre « assez spécial » de réunion était en train de se dérouler : elle s’était aussitôt empressée de retourner sur ses pas…
Souvenir étincelant… la vie sans ce genre d’audaces flamboyantes serait-elle vraiment la vie ? J’avais adoré qu’il fasse ça, adoré qu’il éjacule comme ça, dans ma bouche, dans une salle de réunion… Oui, bien sur, ça m’avait calmée. Il me ferait l’amour, tôt ou tard, je ne pouvais plus en douter, avec son plaisir dans ma bouche…
En tout cas, tout ça pour dire : à notre 6
e rendez-vous j’ai su, au moins, que s’il refusait de me baiser, ce n’était certainement pas qu’il avait quelque chose à cacher, une difficulté à bander ou quoi que ce soit de ce genre : j’en avais à présent la preuve, incontestable : elle avait coulé le long de ma gorge, et je la portais dans mon corps…
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Ce qu’il faut dire surtout, pour parler de lui, c’est sa bienveillance. Celle qui avait faire écrire à Duras, à propos de son chinois :
« cette visite, tombée des mains de Dieu », et cette expression je la reprends mot pour mot à son sujet
. C’est exactement ce qu’a été pour moi cet homme, un lumineux cadeau du ciel, l’archange Gabriel dépêché du très-haut pour me remettre (en mains propres) les clés d’un paradis que je croyais perdu pour de bon. La Séduction, avec sa majuscule de majesté. Avec lui j’ai compris en un seul appel (début septembre, quand il m’a dit au téléphone « je suis heureux pour toi » à propos de
[je garde pour moi cet aspect de ma vie, dont tout le monde dans mon entourage fait un drame, sauf lui]… en fait je commençais à lui expliquer que ma vie était actuellement dévastée davantage qu’après le passage de trois tornades, que j’étais en train de tout perdre et que ce n’était vraiment pas la meilleure période pour moi pour entrer dans un jeu de séduction, et lui était doux, rassurant, drôle, ne faisait un drame de rien, au contraire : il me parlait d’or, d’espoir et d’aller de l’avant, d’opportunités fabuleuses auxquelles « il vaut toujours mieux être confronté trop tôt que trop tard », et j’ai aimé sa folle liberté, j’ai aimé chacun de ses propos et probablement est-ce dans cette bienveillance là, cette bienveillance absolue qu’il eut ce soir là pour moi au téléphone, que j’ai commencé à l’aimer, irrémédiablement. Bref, j’ai compris dans ces premiers mots de lui après l’été, prononcés au téléphone, que la roue avait tourné pour moi qui est celle du destin, destin qui dans ma vision de la vie se confond avec les très grands désirs – ou en tout cas les passions amoureuses qui toujours le façonnent forcément. Comme s’il avait été décidé que tout le mal que j’ai eu à surmonter en 2015
(cf. ce récit sur mon début d'été), il me serait entièrement compensé, remboursé en félicité, le tout livré en une seule rencontre cardinale : cet homme-là, si bienveillant et tendre à mon égard, si acharné à consacrer du temps, (beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps) pour jouer avec moi au jeu de la séduction. Entre ses mains il m’a tout rendu : le cœur qui bat à tout rompre (extra-systoles des très grandes occasions), le désir qui brûle jusqu’à la surface même de la peau, le sol qui se dérobe sous les pas, etc. : toutes choses si essentielles sans lesquelles la vie est d’une fadeur à passer par la fenêtre, ou à s’ouvrir les veines, scénarios avec lesquels je flirtais dangereusement, au plus noir de ma déroute, à peine quelques semaines auparavant… Mais plus que cela : il était compréhensif, patient, bienveillant, semblait passionné par ma vie, mes raisonnements, tout ce que j’écrivais, mon passé, ma famille, etc, : il m’apportait tellement d’affection, de tendresse. Enfin en tout cas, sur le moment, tout cela me semblait tellement inespéré, sublime…Alors oui, le risque était grand de tomber amoureuse de lui… mais c’était un risque qui me rendait vivante, qui me ramenait à la vie… N’est-ce pas seulement par les passions que l’on tient à la vie, malgré leur pouvoir de destruction ? Pouvoir de destruction que l’on pressent dès le début (on le pressent tout autant qu’on le balaie d’un revers de main : rien, de toute façon, ne pourra nous empêcher d’aller nous y brûler), et que là, oui, je pressentais assez clairement. Dès le début j’ai su que cet homme me donnait tellement, qu’il m’offrait tellement (de tendresse, de bienveillance, d’écoute et de compréhension, de gentillesse, etc. en sus du désir de lui) que le jour où ces vagues-là se retireraient sous mes pieds, restera un grand vide sans lui, difficile à combler, après qu’auront disparu de ma vie toutes ces jolies attentions qui m’auront rendue, durant tout ce temps de séduction, si précieuse.Il m’a dit :
« Je sais, je comprends, je te comprends, je sais ce qui s’est passé avec S., le choix que tu as du faire, combien tu as souffert. Je serais celui qui te fera dépasser tout ça. Je suis là pour toi. Je vais te faire dépasser cette épreuve, elle sera derrière toi à présent. »Alors oui, évidemment comment ne pas déjà me dire ça : que le jour où les dieux capricieux décideront de dérober sous mes pieds le tapis d’Orient qu’y avait déployé cet homme, je tomberai de mon tapis volant, retour à la vie « normale », et j’aurai surement un peu mal… Je repense, là, aux mots de la philosophe Blanche de Richemont, à propos de ceux qu’elle appelle les « êtres incandescents » : «
Ils se sont brûlés les ailes mais au moins, eux, ils ont volé ». Je me suis brûlée les ailes, oui...
Je me rappelle à nouveau du tout premier rendez-vous, au palace. Je me rappelle précisément de ce moment : je lui demande si je peux lui faire une confidence très intime. En fait, nous n’arrêtions pas de nous faire des confidences très intimes, alors par quel génie a-t-il compris que là, j’allais lui dire ce que personne ne savait, ce qui était si difficile à avouer pour moi, et ce qui achèverait de me mettre face à lui dans une position d’extrême fragilité ? Il a dit «
Attends », puis il a saisi mes mains, et il m’a dit, en les serrant fort dans les siennes :
« maintenant, oui, tu peux m’expliquer ». Ce fut notre tout premier contact charnel : mes mains dans les siennes, pour me permettre de lui avouer mes secrets, apaisée, afin qu’ils ne nous encombrent pas. Mes mains dans les siennes, je lui ai expliqué que je n’avais pas refait l’amour depuis le jour où j’avais avorté, et que j’attendais d’être sure de rencontrer la bonne personne, capable de comprendre ma détresse, et de la dompter. Je crois qu’il était déjà entendu, implicitement entre nous, qu’il serait celui-là, qu’on allait s’aimer, même si officiellement « on ne le savait pas tout de suite » :
« Cette absence, celle du petit frère. (…). Elle dit qu’elle est dans une détresse insurmontable. L’amant est venu près d’elle, il a mis son corps contre le sien. Il dit qu’il sait ce qu’elle a en ce moment, ce désespoir, cette peine. Il dit que c’est comme ça, quelquefois, à une certaine heure de la nuit, ce désarroi, qu’il sait comme on est perdu. Mais que ce n’est rien. Que c’est comme ça pour tout le monde, la nuit, quand on ne dort pas. Il dit que peut-être ils vont s’aimer, qu’on ne sait pas tout de suite. »Non, on ne le savait pas tout de suite. Je ne sais pas. En quelque sorte on le savait peut être déjà. Que ce serait lui, que j’allais l’aimer, qu’il m’offrirait ça et que je ne l’oublierai jamais.
Pour me rassurer, j’ai imaginé mille raisons qui l’ont conduit à différer entre nous tout contact charnel, à attendre notre 8e rendez-vous amoureux (qu’on se figure comme c’est long, 7 rendez-vous galants avant d’enlever enfin nos vêtements, et de laisser les corps se trouver…) – tout en soufflant, tout ce temps durant, très fort sur mon désir, et en continuant à disperser, de-ci delà, des pépites de sacré, tout ce Beau et ce Bien qui souvent m’ont serré si fort le cœur (par exemple ce soir où il m’a dit : «
je serai ton sparring partner », ou encore : «
j’adore ta voix, je voulais appeler ton répondeur juste pour entendre trois mots de toi, mais je suis triste, tu ne l’as pas personnalisé, c’est la voix standard de ton opérateur, quelle horreur, moi qui avait tellement envie d’entendre ta voix » – exemples parmi d’autres).
Mais en fait, il m’arrive de penser que c’est simplement par égard pour moi, en rapport avec cette confidence sacrée. Il voulait que ce soit un peu « comme une première fois » pour moi, et que ça ne soit pas n’importe comment, qu’on prenne tout le temps.
« Elle rit brusquement près de la figure du Chinois. Elle caresse son visage. Elle dit : - C’est drôle le bonheur, ça vient d’un seul coup. »Oui le bonheur, bien sur, qu’il ait été là, si tendre et bienveillant à ce moment de ma vie, au-dessus de la mêlée et merveilleux, amant missionné par les dieux, de toute évidence (Eros en premier lieu), et si je n’en pouvais plus de languir de lui, je pressentais aussi qu’il me faisait attendre pour générer de la beauté, de l’inoubliable dans ma vie, et qu’effectivement il avait raison, que le jeu en valait peut-être bien la chandelle, malgré toutes mes théories sur le sujet.
Aujourd’hui, avec le recul, je ne sais plus très bien ce qu’il faut en penser.
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Ce qu’il faut dire aussi, c’est que toute vraie histoire entre nous, malgré tous ces rendez-vous, était impossible. Il y avait un espace à trouver, qui serait forcément furtif, voire impossible. Ce qui est contradictoire avec toute l’attention, tout le temps qu’il m’a consacrés (des heures et des heures passées au téléphone, en sus des 7 rendez-vous qui ont précédé le moment charnel que je commence à décrire).Alors parlons de sa vie…
Une épouse, des enfants, des entreprises à diriger, une amante absolument régulière (
le genre d’amante à demeure : installée dans un appartement parisien qui est à lui, qu’il met à sa disposition et ainsi il passe la baiser sous son propre toit quand ça lui chante – elle évidemment est folle de lui, ne demande que ça, sous son toit elle lui dit qu’il est l’Homme de sa vie et qu’elle découvre le plaisir sous ses coups, etc…).
L’épouse pour la stabilité mais pas le sexe, l’amante (celle qui est logée) pour le sexe mais «
je ne suis pas amoureux d’elle, aussi merveilleuse soit-elle », bref, il voulait échapper aux deux versants de sa vie si bien remplie avec une 3e actrice - pas seulement
figurante, mais sans que son nom ne puisse figurer pour autant dans les rôles titres. C’est la place qu’il me proposait. C’est pour cela qu’il m’a consacré ces centaines d’heures d’attention et de complicité, il me « castait » pour ce 3
erôle censé le divertir, le rafraîchir avec une nouveauté bienvenue…
Biensur, la « 3e » dans la vie d’un homme ne doit être ni susceptible ni jalouse. C’est un rang médiocre dans le protocole : je savais d’emblée que je n’aurais accès à aucun des privilèges réservés à l’amante qui, en coulisse, me toiserait surement d’un air supérieur, depuis la garçonnière où il l’a installée, si elle savait mon existence.
Il m’a plusieurs fois demandé, par téléphone, si tout cela me posait un problème. Comment je vivrais le fait qu’il continue à la baiser, elle, l’amante (
et elle, sans préservatif) après que notre liaison aura démarré. Nous n’avions toujours pas partagé de moment intime tous les deux qu’il me demandait déjà d’être jalouse. Au risque de le décevoir, j’ai répondu : «
aucun problème. Tu es un grand garçon, tu fais tes choix. Si tu la quittes très bien, mais ce sera ton seul choix, je ne t’aurais rien demandé. » (A l’heure où j’écris ces lignes, il ne l’a pas quittée, loin de là…)Mais je savais que toute histoire serait impossible. Que jamais je ne lui demanderai d’évincer l’amante installée dans la garçonnière, aussi amoureuse que soumise, et en tout cas disponible à demeure. Que je n’enviais absolument pas, du reste, sa petite cage dorée, que je n’avais aucune envie d’aller l’y remplacer.
En clair, qu’il pourrait y avoir entre nous de l’affection et du sexe, mais rien de plus établi que cela.
Comme, dans un contexte certes totalement différent, Duras savait qu’avec « le chinois de Cholen », il ne pourrait jamais y avoir plus que de l’attraction et du sexe. Que la vie du chinois était écrite par d’autres, et qu’une petite blanche pauvre ne pourrait jamais rivaliser avec l’épouse chinoise promise depuis sa naissance, choisie pour son immense dot.
Peut être que comme Duras, j’aurais d’ailleurs du avoir cette pudeur : faire comme s’il ne s’agissait avec lui
que d’attraction et de sexe. Duras a écrit à la fois
« Nous retournons à la garçonnière. Nous sommes des amants. Nous ne pouvons pas nous arrêter d’aimer. ». Et quelques pages plus loin, elle ne disait plus que le sexe à nu, sa crudité, sa cruauté :
« Cela se passe dans le quartier mal famé de Cholen, chaque soir. Chaque soir cette petite vicieuse va se faire caresser le corps par un sale Chinois millionnaire. » Une autre façon de raconter la même histoire… Peut-être, pour ma part, aurais-je du me cantonner à la version «
petite vicieuse qui veut se faire caresser le corps ». C’eût été plus sage.Et en même temps, c’est lui qui me demandait de ne pas parler de sexe… lui qui m’offrait tant d’attention… lui qui me traitait comme une princesse inestimable…
Oh oui, comme elle est curieuse cette histoire que j’ai partagée avec lui…
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Il y a autre chose, évidemment, que j’ai toujours mis à son crédit : il s’intéresse aux personnes bien au-delà des apparences sociales. Certes, il a ce tic tellement pénible des hommes qui s’aiment beaucoup (lui s’adore – un soir il m’appelait alors qu’il était devant son miroir, il venait d’essayer le smoking qu’il porterait pour son rallye du week-end, et il m’avait dit « Mais comme je suis beau, si tu voyais ça, je comprends que les femmes me désirent ». C’était du 2
e degré ? Je ne le sais même pas moi-même !). Bref, il a ce tic là : il appartient à cette race d’hommes qui ne peuvent s’empêcher de porter sur chaque femme rencontrée un regard discrètement évaluateur (à noter qu’il est habitué à être dragué par les toutes toutes plus belles femmes de Paris, le genre de femmes ultra-belles, ultra-brillantes, richissimes… genre Amal Clooney, ce genre).
Ok, mais ce qu’il y a d’inestimable en lui, qui le rend si libre et rare, c’est qu’il ne confond pas « réussir sa vie » et « réussir dans la vie ». Il a un ENORME recul sur son milieu social, dont il est souvent très défiant (une fois il me disait à propos d’un cocktail guindé où il était : ce genre de soirée, je regarde les gens s’agiter en tous sens, je voudrais juste qu’on coupe le son, tout cela est de la perte de temps, du vide, du leurre, la vie, la vraie Vie ce n’est pas ça ! ». Et comme j’étais d’accord avec lui !). Il n’appréhende pas les gens en fonction de leur place dans un organigramme d’entreprise, à travers leur réussite sociale ou je ne sais quelle autre case. Il préfère connaître les gens que les classer, comme la plupart des gens le font pourtant sans cesse, par exemple avec moi : tous ces gens qui semblent savoir mieux que moi-même où me situer, ça me sidère toujours… Me concernant, lui m’a dit : «
tu es définitivement unique, libre et unique, et je respecte cela ». A vrai dire, lui est exactement cela. Irréductible à la moindre case. Et même en écrivant ici quelques traits de caractère que j’ai pu constater de lui, loin de moi toute idée de l’enfermer, comme tant d’autres femmes doivent le faire, dans une image figée, péremptoire et définitive, en serrant bien le cadre, en décrivant bien ses contours. J’ai conscience de ne savoir de lui, même avec ces centaines d’heures partagées, qu’un tout petit aspect de sa vérité. Ce que j’écris ici sur lui ne prétend certainement pas dresser un portrait, un personnage. Ce sont juste quelques aspects, parmi tant d’autres, mais je ne dispose pas moi-même d’une vue d’ensemble sur le kaléidoscope de sa personnalité si surprenante.
Ca m’avait plu qu’il me dise, au tout début : «
mon rapport aux femmes est atypique. J’ai eu beau en avoir énormément (« au moins 1000 »), je me suis toujours intéressé sincèrement à elles. Il m’a plu de découvrir des tas et des tas de personnalités différentes. Je leur ai toujours prêté de l’attention, et j’ai aidé celles qui en avaient besoin. Je ne fais pas partie de tous ces mecs qui obéissent à leur bite, et qui se retrouvent un peu plus tard à se demander comment se barrer le plus rapidement possible, une fois au lit, collés à un corps moite qu’ils viennent de niquer, mais dont ils ont envie de ne surtout rien savoir. Même quand j’ai baisé des putes, je les ai toujours respectées et j’ai cherché quelle était leur vraie personnalité. » (oui, moi je dis « baiser » mais lui dit « niquer ». Question de vocabulaire…)
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Mais j’en reviens à mon récit, interrompu le temps de cette digression : après 7 rendez-vous de séduction il est enfin sur moi et je ne sais plus réellement ce que je suis, dissoute dans mon envie de lui : une femme, un sexe, du vide, des pulsations… ? Ma peau est brûlante, j’ai vraiment chaud, tellement chaud. Son corps est sur le mien, il me diffuse ses ondes torrides et je désire si fort ce qu’il va me faire... Il va me prendre.
EnfinEnfin…Après m’avoir menée à la baguette, après m’avoir offert un parcours de séduction aussi enchanté qu’interminable. De longues semaines de marivaudage avant d’en arriver là, cette après-midi où il est nu, sur ce lit, à un instant de me prendre, probablement moins d’une dizaine de secondes…
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Avec une conscience évidente de ce que certaines choses sont sans prix, il me plante son sexe dans le ventre.
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Et soudain l’univers n’existe plus pour moi qu’en ses coups de reins. Immédiatement, une autre partie commence. Une autre manche de notre jeu : la flânerie, le temps des politesses et de la découverte de nos personnalités : cette partie-là explose. Là, plus rien n’est vraiment pour l’autre. Tout est pour jouir, et l’amour devient féroce et vorace. Finies les bienséances. L’envie ne se joue pas à l’économie, chaque mouvement lui obéit. L’urgence est là. Les corps se cognent, les désirs s’affrontent, se disputent leur jouissance. Sa queue me baise vraiment fort, elle me déchire. Moi : je fais l’amour avec cette démoniaque envie de jouir, cette sorte de feu féminin qui consiste à chercher, en tout premier lieu, son propre plaisir. Lui est dans la technique. Dans la puissance. Il pénètre. Il pilonne.
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Ce qu’il faut dire aussi, c’est qu’il a toujours détesté, depuis le début, que j’ai eu d’autres amants avant lui. Que j’ai connu « des hommes », et d’après lui, « trop ».
Il avait trouvé pitoyable ce récit, par exemple (lien ici), sur le mode : tu t’es laissée baiser en trois coups de cuiller à pot, tu te rends compte ce que tu racontes : le type s’est pointé chez toi, et paf, il te parle dix minutes et il est déjà dans ton lit… C’est une des choses qui aurait du m’alerter, à son sujet : il était attiré par cette vision de l’amour, chez moi, très libre, autant que déjà, il me la reprochait. Contradictoire. Je pense que ce qui l’a attiré en moi relève du caractère, semblable à ce que le chinois si riche, « l’héritier des fortunes » trouvait à Duras : qu’elle soit si
« sexuelle, folle de lire, de voir, insolente, libre. »Il aimait que je vive dans le péché, véniel et mortel, ad libitum selon les saisons, bref, il aimait mon blog, il aimait l’image de moi que renvoient les articles les plus osés de mon blog. Il aimait ma manière de regarder les hommes, puis de leur exprimer dans le regard de l’envie, du sexe. Il aimait mon désir irrépressible de ne rien laisser passer de la vie (donc de l’amour) qu’on puisse un jour regretter. Il aimer que mes rêveries soient, à n’importe quelle heure de la journée, sensuelles. Il aimait imaginer en moi une audace qui peut mener très loin. Il aimait que j’ai connu des hommes, beaucoup selon lui, des mâles alpha surtout, comme lui, il aimait tout ça, pouvoir se confronter à tous ces hommes de mon passé…
… et pourtant il me le reprochait insidieusement, très souvent. Un jour, il insinuait si fort que je n’étais qu’une trainée, au fond, que je lui ai dit (avec un sourire dans la voix) : «
Ok, alors le trottoir, c’est ça ? C’est bien ma place, selon toi, c’est ce que tu insinues ? Pourquoi perds-tu ton temps à parler avec une pute, puisque tu insinues que c’est ce que je suis ? Puis ce que la seule image que tu me renvoies de moi, c’est celle du trottoir ? Tu penses que je suis une pute pour avoir eu des amants avant toi, c’est ça ? Vas-y, dis-le, mais dis-le, tu veux qu’on arrête de se parler et que je retourne faire le trottoir, que je retourne faire la pute avec mes amants ? »
Quelques jours auparavant, à notre 5
e rendez-vous, au bar feutré d’un hôtel ultra luxueux du 8
e arrondissement, il me disait : «
Je vais avoir un soucis : je ne baise pas deux femmes sans capote en même temps dans ma vie, je tiens à ce que tout cela soit très réglo… Or je fais l’amour avec mon amante sans protection… Et toi, je ne vais quand même pas te baiser avec une capote : ce sont les putes qu’on baise avec des capotes, et toi, tu es tout sauf une pute ! Tu es le contraire d’une pute ! Toi tu es celle que je veux pour maîtresse, certainement pas une pute, tu m’inspires tous les plus beaux sentiments, justement. ». Evidemment, sur le moment, je fondais.
Si fort que mon cerveau avait refusé de faire le lien entre les deux déclarations, refusé de reconnaître que son comportement à mon endroit était très contradictoire, et que peut être, il était bel et bien en train de s’amuser avec moi, à allumer un incendie, l’attiser, jeter sans cesse de l’huile sur le feu, puis qu’il serait le premier à éteindre toute illusion, qui sait, après qu’il ait fini de se divertir de ma « nouveauté »…
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Dans sa façon de me pilonner prendre, j’ai compris ça : c’est après mon passé qu’il en avait, ces mecs qu’il connait, qui m’ont eu avant lui. J’aurais du comprendre ça (comprendre l’impact sexuel que ça aurait) : il adore l’affrontement, viril, masculin, il s’exaspère que j’ai pu aimer ces hommes avant lui, mais il adore, aussi : il veut des rivaux qui tiennent la route, des mâles compétitifs,
dominants,des fauves.
Il a besoin de ça, la bataille pour la position dominante, « alpha » comme on qualifie les plus puissants représentants de la faune terrestre dont les lions et les tigres. Dans sa façon de me pénétrer ce n’est pas avec moi qu’il est, il cherche à broyer ces pauvres plaisirs pris ailleurs, à les écrabouiller de toute sa dominance. Il ne m’épargne pas, il me dissout, il me déchire, il m’absorbe dans son combat contre ces autres hommes, je ne suis plus que l’objet de sa compétition virile. Je jouis. Beaucoup. A force le préservatif me brûle. Je ne dis rien, il sait, ça aussi. Il l’enlève. Me reprend, encore mieux, encore plus fort, peau contre peau. Reprend son combat. S’acharne.
Il m’avait dit, dès le soir dans le palace : «
Si on démarre quelque chose, je voudrais être le tout premier dans ta vie. Le plus important. Le seul. Rien de ce que tu n’as connu avant ne comptera plus. Il n’y aura plus que moi, dans ton présent mais aussi dans tout ce que tu auras connu avant. Si je sais que certains ont beaucoup compté pour toi, avant, je vais vouloir qu’ils disparaissent, définitivement, de tes souvenirs. ».
Et là, je ne sais plus très bien s’il est en train de me faire l’amour à moi, ou de se dire qu’il baise « l’ex de ».
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On n’a pas du tout le même « référentiel » sexuel.
En faisant l’amour, en réalisant que l’émotion était absente de ce moment, nous entrions dans une nouvelle constellation qui allait modifier nos rapports.
Je crois bien que c’est la toute première fois de ma vie qu’un tél désenchantement se produit. Décidemment, après tant de détours, l’échelle des voluptés réserve bien des surprises et des difficultés...
Alors évidemment, si l’on regarde la scène de façon extérieure, cela a tout d’une superbe baise : de l’extérieur on parlerait d’une chambre close d’où s’échappent des cris, des râles, des gémissements de plaisirs, des jouissances sans cesse renouvelées. Toutes choses que j’ai vécues, littéralement, à corps perdu. Les hurlements comme si j’agonisais, etc.
Mais voilà, le sexe c’est aussi cette étrange et indescriptible alchimie… Un détail imperceptible et la fusion opère, ou pas. Un rien suffit pour que flotte dans l’air un parfum des Lumières, un rien suffit à le dissiper. On sent parfois que ça ne le fait pas, voilà, et tout s’éteint dans les cœurs, flambeaux et musiques de fête.
Je me rappelle du texte que j’avais écrit,
à propos de ma première nuit avec B., j’avais indiqué de façon tristement prémonitoire :« Il est des liaisons où quelque chose s’achève à l’instant même où le sexe commence. »Pour expliquer qu’avec B., justement, c’était l’inverse de ça. Avec lui, l’amant qui m’a tant fait attendre, c’est ce que je ressens. Quelque chose s’achève, qu’on ne retrouvera pas.
On a tué l’émotion du désir dans tant de détours. On est passés à côté de notre histoire. Nous nous perdons en nous donnant. C’est inexorable. Je crois qu’on le sait, tous les deux. Tout ça pour ça…
Quel énorme gâchis, pensais-je, touchée par la flèche d’Eros qui, cette fois, faisait mal : Eros ôte son bandeau, contemple la réalité des amants, et pleure.
Ce qu’il faut que j’explique, brièvement, c’est ça : je jouis beaucoup mais justement : je jouis trop, et beaucoup, beaucoup trop vite. Toutes les sensations m’explosent à la figure. C’est un peu éprouvant, je ne suis pas dans mes propres sensations. Tout va beaucoup trop vite pour moi, et surtout le plaisir. C’est là où nos référentiels divergent. Il me traite comme une poupée qui jouit. Après il m’a dit : « tu n’as rien à dire, tu as joui X fois » (ce qui voulait dire : c’est donc que tu es satisfaite). A oui… nos référentiels divergent, oui. J’aurais préféré un seul orgasme, à la limite, mais de l’attention à moi, à mes sensations, pas seulement aux réactions mécaniques du corps… un peu plus d’émotion, de complicité… bref.
Je repense aussi à ma première nuit avec B. (à noter que lors de cette 1
e nuit avec lui je n’avais joui qu’une fois, et pourtant elle compte incontestablement parmi les plus belles et inoubliables nuits de toute ma vie – comme quoi…) : il m’avait envoyé un SMS le lendemain, pour évoquer « cet étrange sentiment d’évidence, y compris sexuellement »
(je le décris ici).C’est exactement ce qui ne s’est pas produit, avec lui.
Ce qui s’est produit : un étrange sentiment de non-évidence, justement.
Et il ne m’a envoyé aucun SMS enchanté, juste une phrase terriblement maladroite qui m’a fait l’effet d’un réquisitoire sans appel, to