Du 19 au 28 septembre prochains seront diffusés dans les murs du Grütli près d’une centaine de films, tous formats et genres, traversés par des problématiques queers, homo, bi, transgenres. Loin de tout esprit de paroisse, le festival aujourd’hui codirigé par la réalisatrice Agnès Boulmer et Christophe Auboin s’impose comme une plateforme incontournable pour les droits des homos dans le paysage suisse romand où il est le seul événement de ce type. Avec ses différentes sections thématiques (droits humains, sport et genre, histoires d’amour), ses soirées débats (sur le SIDA, l’homophobie d’État), ses programmes scolaires, et l’ancrage cinéphilique de son comité, Everybody’s perfect semble bien immunisé contre les luttes identitaires qui n’épargnent pas toujours l’esprit militant associatif. Une belle occasion de se laisser surprendre par des films majoritairement inédits en Suisse, et de (re)découvrir des œuvres cinématographiques universelles, grâce à la section rétrospective. Petit éclairage en compagnie de sa coprésidente.
Sur votre flyer, vous avez rajouté un «A» à LGBTIQ
Agnès Boulmer: Oui, nous essayons de nous ouvrir au maximum. Le «A» désigne les alliés, les amis. Le premier ami que nous invitons cette année, c’est la «Slut Walk», la Marche des salopes, qui regroupe des jeunes femmes préoccupées par des histoires de genre, militant contre les violences sexuelles, y compris les tabassages d’homos. «A» renvoie aussi à «abstinent», un nouveau courant déjà implanté aux USA, réunissant des gens qui, face à l’omniprésence de la sexualité dans les discours ambiants, opposent l’abstinence.
Ce courant est-il cinématographiquement présent dans votre festival?
Non, pour l’instant, notre programmation représente plutôt les amis, les alliés ou les autres. Par exemple, nous montrerons le premier film féministe fait par des femmes qataries. On les voit conduire des voitures de sport, sans le voile, faire des dérapages en mode rallye, en pleine déconne. Ça dure une minute et c’est très drôle. Nous avons également des films sur la recherche de sexualité, sur des gens entre 15 et 20 ans qui se demandent qui ils sont, où ils sont, entre indétermination et désir d’exploration.
Comment est organisée la programmation?
Nous aurons une section art vidéo en partenariat avec le Centre d’art contemporain et la Biennale de l’image en mouvement. Deux programmes d’une heure et demi réuniront des courts-métrages sur le thème LGBT, créés pour un magazine d’art et de culture en ligne, «Make8elieve». Nous avons aussi opté pour plusieurs thématiques comme les «droits humains», avec un ensemble de films sur l’homophobie d’État en Russie, en Ouganda, en Inde, où aux Bahamas. Nous aurons également des sélections sur les thèmes du genre et du sport, de l’homoparentalité, de la bisexualité, une catégorie «histoires d’amour», et «histoires de genre» qui regroupe des gens qui ne sont pas des trans, mais revendiquent la queeritude, le droit de circuler sur un continuum entre le masculin et le féminin, de s’arrêter où ils veulent d’un jour à l’autre.
Personnellement, que pensez-vous de cette multiplication d’étiquettes et de pratiques?
J’aime tout ce qui est déséquilibrant. Je suis bisexuelle et j’ai toujours pensé que c’étaient les individus qui comptaient et non pas l’orientation sexuelle, ou l’identité de genre d’une personne. Je me fous royalement de la façon dont une personne en face de moi est habillée. On ne vit pas avec une personne parce qu’elle met une jupe ou un pantalon. Tous ces débats et ces prises de bec me font rire, car au fond, on s’en fout. Ce qui compte, c’est l’égalité des droits pour tous. Et c’est pour cette raison, notamment, que nous avons créé le festival.
Les réalisateurs et réalisatrices doivent-ils/elles appartenir à la communauté LGBT pour figurer dans votre festival?
Non, nous ne sommes pas des puristes, contrairement à d’autres festivals gays et lesbiens où vous ne pouvez pas présenter votre film si vous n’êtes pas une femme ou un homo. Les réalisateurs peuvent être, faire, vivre ce qu’ils veulent. Cela ne nous regarde pas. Seules les thématiques des films nous intéressent. Nous sommes contre l’esprit de chapelle, c’est pourquoi nous sommes sortis de la Fédération LGBT. Même si je suis convaincue que l’homosexualité de Chéreau, Visconti ou Pasolini a déterminé les films qu’ils ont faits, que le fait d’être homo génère une autre façon de voir le monde, c’est un festival pour tous que nous voulons.
Quels sont vos critères de sélection pour les films?
Qualité filmique et/ou qualité militante, ce qui signifie que tous nos films ne sont pas nécessairement des films militants.
Est-ce que l’aspect militant a parfois pour effet de reléguer au second plan la dimension esthétique?
Pour cette édition, nous avons fait un appel à soumission, ce qui nous a valu de recevoir plus de deux cents films. Parmi eux, beaucoup ont été réalisés au sein d’associations. Certains sont très bien du point de vue de ce qu’ils racontent, de l’aventure humaine mais ils sont faibles cinématographiquement. C’est le problème de beaucoup de films. Nous en avons néanmoins retenu une quarantaine, et nous les montrerons à la demande, hors festival, dans un bus qui sera stationné à côté du Grütli.
Pensez-vous que les films sur la thématique gay font l’objet des mêmes préjugés que les gays eux-mêmes?
Bien entendu. Ces films n’ont quasiment aucune visibilité! Nous n’avons pris la place de personne. 90% des films que nous montrons sont des inédits en Suisse. Cela signifie que la grande majorité d’entre eux ne sont pas diffusés, à part les grosses têtes d’affiche.
Quels films souhaiteriez-vous mettre en avant?
Unfinished, un court de Hong-Kong qui dure 6 minutes 30, le premier film à nous être parvenu. Tourné en noir et blanc, il s’inscrit dans le genre du haïku japonais, et parle d’une femme qui veut devenir un homme, se bande les seins très serré, avant de finalement s’accepter comme elle est, c’est-à-dire entre-deux. Et puis un film des Bahamas, le premier portant sur l’homosexualité à avoir été diffusé sur l’île, il y a deux ans. C’est une fiction chorale qui raconte l’histoire de gens quittant Nassau pour Eleuthera, une île mystique et mythique. C’est important pour nous de pouvoir montrer ces premiers films sur l’homosexualité dans la tradition cinématographique d’un pays. En plus aux Caraïbes, l’homophobie est un vrai fléau. Ils tuent les homos pour s’amuser, un comme les Autraliens vont chasser le wapiti le week-end.
Plus d’infos et le programme complet sur: www.everybodysperfect.ch