Prenez un couple qui n’a plus envie. Le sexe est devenu une corvée. Quelle solution ? Se raconter des histoires inspirées de faits divers. Faire semblant de ne pas se connaître… Simuler une rencontre… En deux mots : parler. Mais avec les bons mots.
Dans If you love me – comédie australienne récemment lancée en DVD par Wild Side – tout commence dans la salle d’attente d’un conseiller marital. Dan et Evie s’ennuient au lit. Le conseiller leur suggère de s’essayer au jeu de rôle. Dan a l’idée de jouer un flic. La chambre est transformée en bureau de commissariat et cela donne… cette scène hilarante.
Au fil de mini-fictions traitant chacune le cas d’un couple dysfonctionnel, le film If you love me aborde sous tous ses angles le même et unique problème : manque de communication. Les maux viennent en l’absence des mots. Quand un homme par exemple dit à sa femme qu’elle suce mal, au lieu de lui expliquer ce qu’il aime. Quand deux conjoints font l’amour sans rien dire et que le seul bruit dans la pièce est celui du va et vient… A ce moment-là, certainement, il faut trouver une voie d’issue : parler, exciter, surprendre… Durant la dernière semaine d’août, à Paris, le festival Erosphère offre justement un cours d’«expression érotique» dirigé par une comédienne, dramaturge, metteur en scène et coach d’acteur : Inbal Yalon.
Inbal Yalon, 44 ans, est née en Israël d’une mère française, beatnik et artiste peintre. «Mon père était roumain et garde du corps de Moche Dayan, activiste d’extrême gauche en Israël. Ma grand-mère maternelle Gabrielle Bertrand, est une exploratrice connue pour ses missions en Indochine et dans le désert de Gobi dans les années 30.» Du 27 au 30 août, Inbal Yalon animera un atelier d’art oratoire pour apprendre à faire jouir en paroles et que «le mot s’empare du corps, le mette en scène, l’érotise, le réinvente, l’exalte, libère et décuple son potentiel jubilatoire». Son atelier prendra le nom de Dirty Talk : «parler sale».
Pourquoi ce pseudonyme d’Inbal Yalon ?
Inbal Yalon n’est pas un pseudo; Inbal est mon prénom, qui vient du Yémen et qui veut dire «le battant de la cloche ou la flèche», et Yalon est mon nom de famille, selon une invention de mon père pour faire sonner son propre nom Iankovici plus israelien, pratique courante dans les années 70 pour les Juifs s’établissant au pays. Nous avons quitté Israel en 1974.
Comment définissez-vous le «dirty talk» ?
Le dirty talk pourrait se traduire par «la parole obscène» ou le «parler sale» d’un point de vue littéral. Selon ma propre définition, c’est l’art de conjuguer et de réconcilier langage et corps, érotisme et animalité, fantasme et objectivité sexuelle.
Pouvez-vous expliquer précisément ce que vous allez dire et faire lors de l’atelier ?
Je vais d’abord défaire les peurs liées à la pratique du dirty talk; interroger les représentations morales, dualistes, et rendre le corps à sa «bestialité» par la création et l’utilisation d’un langage créatif et «obscène». Je vais ensuite inviter les participants à créer des situations de jeu qui mettent en scène le pouvoir érotique du langage, en apprenant à chacun à utiliser les mots comme des jouets destinés à accroitre le plaisir; à les utiliser comme des costumes que l’on revêt dans le but d’une mise en scène érotique, où chacun joue un rôle bien précis. Inviter chaque participant à exprimer et expérimenter les mots «sales» pour pimenter une relation sexuelle en affirmant un rapport parodique de domination, un affrontement ludique et non réel au profit d’un échange et d’un plaisir mutuels.
Pouvez-vous donner des exemples de «dirty talk» ?
Je voudrais inviter les pratiquants à développer leur propre créativité langagière et érotique, sans nécessairement passer par les lieux communs de l’obscénité. «Salope, sale pute, salopard, ordure, charogne» : en soi, ce n’est pas excitant. Le mot lui-même n’a pas beaucoup de valeur, c’est son usage et son contexte qui selon moi en font un mot «sale», ou plutôt, un mot «qui excite» et décuple le plaisir amoureux.
Peut-on diviser le dirty talk entre d’une part l’obscénité (langage cru, médical) et d’autre part l’agressivité ?
Je crois que tout langage qui évoque, représente ou met en scène la vie du corps, de la jouissance, du plaisir peut devenir du dirty talk, pour peu que ce langage soit utilisé dans un contexte précis, et de manière à stimuler l’excitation et le fantasme érotiques. Selon moi, il n’y a pas que l’agressivité ou l’obscénité qui soient érotiques; le simple fait de braver l’interdit du silence pendant l’acte sexuel ou au sujet de celui-ci est déjà pour certain(e)s un incroyable stimulant. Le fait de suggérer le sexe par le langage dans une situation inattendue, improvisée, relève du dirty talk.
Pourquoi l’obscénité nous excite-t-elle ?
L’obscénité nous excite car elle nous renvoie de façon très crue, très directe, à notre animalité, à notre bestialité dont le langage, l’éducation, la culture tendent à nous dissocier. Le chemin vers le plaisir s’accompagne d’un lâcher-prise, il réveille en nous la bête qui ne se contrôle pas, qui s’affirme, qui se lâche au mépris des mots qui tendent à la contraindre; l’obscénité réaffirme et réalise cette bestialité qui est notre principale porte d’accès au plaisir. Dire des mots sales c’est avant tout libérer le corps des verrous du langage, c’est reproduire le rapport de domination systémique, économique et sociale sous une forme ludique, créative, érotique, subversive et expiatoire.
Pourquoi la violence nous excite-t-elle ?
La violence est une forme d’exutoire dans le jeu des pressions que la vie, les relations, l’économie exercent sur nous. En mettant en scène cette violence, nous nous affranchissons de la pesanteur, de la rigidité, de l’irréversibilité des rôles sociaux. L’acte érotique permet d’inverser le rapport de domination, qui est omniprésent dans la vie réelle mais aussi dans la vie du sexe; jouir c’est parfois objectiver l’autre, l’utiliser, le manipuler, le contraindre mais aussi le servir, se laisser faire par lui. Le jeu de la séduction est un affrontement des volontés, une balance subtile et réversible des pouvoirs et des genres qui s’articule autour de cette violence, euphémisée dans le réel et réaffirmée dans la vie érotique.
Pourquoi les échanges de mots doivent-ils être stéréotypés pour être excitants ?
Selon moi, tout mot peut être excitant, en fonction du jeu des rôles et des contextes érotiques. Si vous pensez aux mots des stéréotypes pornographiques, peut-être sont-ils excitants parce qu’ils nous renvoient à nouveau à une trivialité, une bestialité éprouvée et mise en scène dans un contexte de «consommation érotique» où les archétypes de domination sont surreprésentés et hyperréalisés.
POUR EN SAVOIR PLUS
HISTOIRE LUDIQUE ET DETAILLEE DU CLITORIS : Mercredi 26 août, 21h30. «Conférence gesticulée à la fois documentaire, érotique et loufoque sur l’histoire du clitoris, et plus généralement sur l’histoire du plaisir de l’antiquité à nos jours, avec Karine Jurquet et Inbal Yalon». Le projet d’atelier d’Inbal Yalon est né d’une invitation d’Erosticratie à venir jouer un spectacle dont elles est co-auteure; aidée de ses complices, Inbal Yalon a composé une conférence gesticulée, l«Histoire ludique et détaillée du clitoris» qui sera présentée à l’ouverture du festival. Lieux : Studios Micadanses, 15 Rue Geoffroy l’Asnier 75004 Paris.
EROSPHERE : festival participatif des créativités érotiques. La dernière semaine du mois d’août, le festival EroSphère propose 18 ateliers créatifs, ludiques, initiatiques ou techniques accueillant chacun 30 à 40 participants autour de trois thématiques complémentaires, avec un final immersif le dimanche. Plus de renseignements ici. Tarif : de 150 à 230€ le Pass pour les 4 jours du festival «IN» selon la date. Billetterie ici. Lieux : Studios Micadanses : 15 Rue Geoffroy l’Asnier 75004 Paris.
IF YOU LOVE ME : Cette comédie romantique australienne (réal: Josh Lawson) traitant de sexualité est sortie en DVD, Blue Ray et VOD chez Wild Side le 22 juillet 2015. Bande annonce ici.