Lorsque je suis partie récemment en voyage de noces avec le Mari, parmi les nombreuses conversations que nous avons eues sur l’avenir de notre couple, nous avons eu celle-ci (en substance) :
- Il y a quelque chose que je ne comprends pas : ces gens, nous avons l’arme nucléaire, et même des avions avec des missiles, comparés à eux… On pourrait leur foutre une bombe dans la gueule et ce serait réglé !
- Il y a effectivement quelque chose que tu ne comprends pas, c’est que tu ne peux pas les vaincre, dans la mesure où eux ont la foi. Tu peux les tuer un par un, de toutes façons, leur idée a germé et se répand.
- Là où tu as raison, c’est qu’en France, on a un peu perdu cette notion de foi ou de croyance dans des valeurs. Nous ne sommes même pas sûrs de pouvoir vaincre, parfois.
- Exactement…
Sous cette lumière également, nous nous sommes mis à réfléchir sur les moyens dont la France disposait en 1938-1939 pour créer une guerre de terreur dans l’ouest de l’Allemagne, et ainsi mettre un terme « prématuré » à ce qui est devenu la Seconde guerre mondiale. Sauf qu’on ne croyait pas aux capacités militaires de la France pour affronter l’Allemagne.
Depuis ce vendredi 13 novembre 2015, je pense à cette conversation. Mais aussi au syndrome de stress post-traumatique qu’a vécu ma grand-mère en 1960 lorsqu’elle vivait à Toulon. Je pense aussi aux mots que je devrais prononcer à mes copains qui ont perdu quelqu’un, et je les trouve à la lumière de ce que j’ai vécu avec mon expérience personnelle du deuil. Je pense à ce copain psychiatre qui a eu la bonne idée de partager dès hier des vademecums très instructifs à l’usage des victimes, de leurs proches, mais aussi des internes en psychiatrie qui seront prochainement très sollicités.
Je pense surtout à ces gens qui ne comprennent pas, mais aussi à ceux qui disent ne pas avoir besoin des prières que l’on leur adresse, parce que le responsable de cette horreur, c’est la religion. Je pense à ceux qui réclament qu’on soit unis face à ces barbares – c’est une action bien plus sage en théorie que celle de se faire sauter pour punir des gens de vouloir s’amuser, mais j’ai personnellement un problème avec cet appel à l’union et je m’en expliquerai par la suite.
Au regard de ma réaction face aux attentats du mois de janvier, j’ai peut-être, comme d’habitude, eu une attitude lâche en m’éloignant de la zone des attentats, et par conséquent des personnes qui avaient besoin que je sois présente auprès d’eux. Mais je me suis protégée en allant avec des personnes qui ont su me faire relativiser tout ce qui venait d’arriver, tant par leur bienveillance et leur amour qu’en tenant un discours parfois contradictoire avec le discours politiquement correct en usage.
J’étais paniquée vendredi soir, quand j’ai vu le déroulement de la soirée sur Twitter. J’ai checké mes copains les plus proches et répondu tardivement aux messages de ma famille. Samedi a été dur, quand il a fallu voir les noms et les visages de victimes qui nous touchent. Ce soir, revenue dans mon environnement, et en ayant beaucoup discuté avec le Mari, je me prépare désormais à vivre avec la peur au ventre et dans un état en guerre, en témoigne ma promenade matinale où j’ai vu des militaires partout où se tenait un culte (même devant les temples).
Maintenant, en ayant – un peu – digéré (et en disant à ma belle-mère de changer de chaîne), beaucoup de réflexions me viennent. Des réflexions nourries de mon rapport aux événements, de la manière dont il a touché mes proches et les proches de mes proches, de ma vision du monde dans lequel je vis et surtout de la révolte suscitée par les inepties que j’entends depuis 48 heures, dans un sens comme dans l’autre.
J’en ai juste marre d’entendre que la religion tue et que les croyants ne savent pas penser. J’ai juste l’impression à chaque fois d’être conne et irrécupérable quand je dis que je fais des choses aussi irrationnelles qu’avoir un ami imaginaire ou de trouver des règles de vie dans un livre qui dit tout et son contraire. Sauf que j’ai décidé que ce serait ma force pour accueillir l’autre dans son intégrité et pour le secourir dans le désespoir, et pas pour imposer mon point de vue au monde. Je suis déjà limitée émotionnellement et socialement, comment voulez-vous que j’impose ne serait-ce qu’à mon mari ma religion ? Malgré tout, lui-même m’a confié :
- Quand ta cousine m’a dit vendredi soir de prier pour mon pote dont je n’avais pas de nouvelles, j’étais tellement paniqué que j’ai prié ton Dieu.
J’avoue moi-même que prier est la chose la plus irrationnelle et la plus conne qu’on puisse faire dans cette situation. Mais je trouve que ce n’est pas plus irrationnel et con que de se trouver des symboles et des slogans fédérateurs. Je sais bien que, face à n’importe quel événement de la vie, qu’il soit joyeux ou triste – et surtout face à un événement aussi horrible – il est nécessaire de se rassembler le plus possible. Sauf qu’à l’instar des gens qui n’ont pas besoin de prières, je trouve cette symbolique fausse, voire hypocrite *tapez-moi dessus*.
C’est justement parce que je suis en capacité de dire haut et fort que je suis touchée par cette horreur, mais que je ne suis ni Charlie ni Paris, que je trouve que je vis bien dans mon pays. C’est parce que dans mon pays, on est capable de débattre même de l’idée de religion ou de l’hypocrisie des discours galvanisateurs que, telle la devise de sa capitale, face à cette horreur, il tangue mais ne coule pas. Ma seule crainte, face à la perspective d’une émotion unique, c’est qu’elle en devienne une pensée unique et excluante.
Pour ceux qui ne comprennent pas les raisons profondes de ces actes, il faut malheureusement s’en référer aux schémas anciens, à des modèles de société qui remontent en France à l’enfance de ma mère et à la guerre d’Algérie. Cela fait effectivement 55 ans que la France n’a pas connu de telles menaces sur son territoire, et 70 ans que la guerre n’a pas eu lieu sur ledit territoire. Nous n’avons plus l’habitude ou pas été habitués à vivre dans l’urgence et la peur au ventre à chaque coin de rue.
D’autre part, les raisons profondes de ces actes reviennent à sortir cette bonne vieille loi du Talion. Il faut ne serait-ce que réfléchir à la manière dont l’Europe, de surcroît la France, et les Etats-Unis ont traité depuis le début du XIXe siècle ces zones du Maghreb et du Proche/Moyen-Orient. Dans un souci de renouvellement de la manne économique que représentait la colonisation européenne de l’Amérique, dont les régions proclamaient peu à peu leur indépendance, il fallut faire de nouveaux « partenariats » avec des pays plus en phase (= pétrole, beaucoup pétrole) avec les besoins économiques générés par la révolution industrielle.
Par la suite, suite à l’effondrement de l’Union Soviétique, dont beaucoup de pays arabes étaient proches dans la logique de lutte contre l’impérialisme américain, il fallut « imposer » la démocratie pour mieux contrôler ces territoires. Ces 25 dernières années montrent que non seulement cette volonté de contrôle de ces territoires par les armes est un véritable échec, mais qu’en plus, ça se retourne contre les « assaillants ».
Les personnes qui ont assailli, quant à elles, ne connaissent pas d’autre horizon que les guerres de « religion » ou de conflits d’intérêt qui émaillent cette région du monde. La peur, la violence sont des schémas de pensée collective bien plus faciles à assimiler que le fait d’accueillir à bras ouverts celui dont on connaît même pas le nom ni l’intention. Certes, l’angélisme n’est et ne sera jamais la solution idéale, mais l’excès de méfiance est encore plus grave.
Malgré la grande confiance que je mets dans la liberté d’expression, je refuse enfin les discours de Cassandre que certaines personnes font circuler. Les On vous avait bien dit que ça péterait, les Il ne faut pas faire confiance, les Depuis le temps qu’on sait que la justice, la police, l’armée, le gouvernement ne font pas leur boulot… Malheureusement, à l’instar des attentats du 11 septembre 2001, il fallait sur le territoire français un référentiel pour établir le plan d’attaque le plus adéquat. Je suis malheureuse que ce se soit passé, mais cela fait partie des choses qu’on ne peut pas prévoir, puisqu’elles émanent encore une fois de cerveaux humains.
Car oui, ce sont bel et bien des humains qui ont fait ça. Pas des monstres. Pas des bêtes. Pas des envoyés de Dieu ou du Malin. Pas des robots. Des humains. Comme ta sœur. Oui, ta sœur aurait pu être l’un de ces assaillants. Ca nous fait tous mal au derche d’avoir cette pensée, mais tant que nous ne nous disons pas que ces hommes vont aussi aux toilettes et ont le ventre qui gargouille quand ils ont faim, nous n’aurons aucune réponse censée de manière collective ou bien même individuelle.
L’homme est capable de beaucoup de choses, du meilleur comme du pire, et s’il est capable d’ouvrir les portes de son appart pour réfugier les personnes démunies, il est aussi capable de tuer son voisin parce qu’il pète trop fort. Et ce n’est pas en déshumanisant les bourreaux qu’on se prémunira nous-mêmes de la folie ou du désespoir.
J’aimerais croire que ce n’est pas tant la religion qui tue que le désespoir et son utilisation aux desseins les plus crasses. En tant que croyante, je me morfonds chaque fois que je vois un fanatique avec un lourd passif de souffrance derrière lui. La souffrance, quand elle n’est pas soignée ou canalisée, conduit l’esprit humain aux pires extrémités. Dans ce cas, n’importe quelle « main tendue » paraît importante. Et je reproche à toutes les religions, même et surtout au catholicisme, de profiter de la misère des gens. Dans une action collective et lorsque je suis détachée d’un drame, je préfère prodiguer des prières, effectivement, mais si je vois quelqu’un dans la détresse affective ou émotionnelle, je préfère l’aiguiller vers ses proches ou un bon psy (-chiatre/-chologue/-chothérapeute). Au moins, c’est neutre, un psy, mais là encore, il faut se méfier.
J’aimerais croire enfin après ces événements qu’il n’y a pas de vrai et de faux, mais des points de vue et des choses ressenties. Comme j’aimerais croire qu’il n’y a pas de victoire ou de défaite, mais des combats perpétuels et des havres de paix. Je me mets même à rêver que personne n’aurait besoin d’imposer son point de vue à quelqu’un d’autre, mais c’est un vœu pieu qui va à l’encontre de la condition humaine, me semble-t-il.
Ce week-end, il y a donc eu des morts. Mais surtout, il y a eu la vie dans ce qu’il y a de plus noble. Nous sommes humains. Eux aussi. Plus que pour l’union ou quoi que ce soit, je prierai pour que chaque personne que ces attentats ont touchée puisse mener à bien une réflexion posée et apaisée sur le monde qui l’entoure, aussi dégueulasse soit-il. Parlons, exprimons-nous, allons jusqu’à gueuler cet état de fait, c’est sûrement ce qui nous sauvera.
(cc) Crystal
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