Le Professeur Salle, chef du service de médecine et de la reproduction des HCL à l’Hôpital Femme-Mère-Enfant de Bron, nous parle de l’ouverture de la PMA aux couples lesbiens et aux femmes seules et tire la sonnette d’alarme sur le manque de don de sperme auquel fait face le CECOS.
« Moi je suis prêt à aller rencontrer la communauté gay pour l’inciter au don de sperme »
Hétéroclite : Depuis le 29 septembre 2021, la PMA est ouverte aux couples lesbiens et aux femmes seules. Concrètement, comment cela a-t-il été accueilli au sein de votre service ?
Professeur Salle : Alors moi j’ai un principe de base : la loi dit, on fait. Point. S’il y a des gens qui ont des atermoiements, ils se mettront sur le côté, mais il est hors de question que le service ne le fasse pas. Ça s’est passé très naturellement. De toute façon, on était prévenu en amont, on regardait un peu comment les choses tournaient. Ça a été très simple. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que sur le plan médical, ça n’a pas beaucoup d’intérêt. On n’est pas forcément dans le soin au sens de réparation d’une pathologie, on est dans le soin d’un désir d’enfant. Mais c’est exactement la même chose avec la PMA pour les couples hétéros.
La procédure à suivre avant de bénéficier d’une PMA est-elle différente pour les couples hétéros, les couples lesbiens ou les femmes seules ? Et en quoi consiste-t-elle ?
C’est simple : c’est rendez-vous avec le gynécologue, bilan, et entretien avec les psychologues. Les projets des couples de femmes sont construits et élaborés, parfois plus que chez les couples hétéros. Mais de toute façon, à partir du moment où vous avez une demande de gamètes par don, l’entretien avec le psychologue est obligatoire dans le cadre de la loi de bioéthique. Ensuite, leur demande est étudiée en RCP. Si elle est validée, elles s’inscrivent au CECOS où les informations complémentaires leur seront données. Si leur demande n’est pas validée soit pour raisons médicales ou liée à des vulnérabilités émotionnelles, nous proposons alors un accompagnement complémentaire.
Les difficultés concernent principalement l’âge des femmes. Par exemple, si une femme de 41 ans avec un bilan ovarien de mauvais pronostic pour des chances de grossesse se présente, nous invitons le couple à repenser son projet parental afin d’optimiser les chances de grossesse. Mais ce n’est pas simple comme situation et pas toujours bien vécu, cela bouscule le projet initial. Et nous, sur le plan médical, nous allons toujours privilégier une chance de succès rapide pour optimiser l’utilisation des paillettes de sperme.
Le parcours est strictement identique à celui des couples hétéros, sauf que dans ce cas, s’il n’y a pas don de gamètes, l’entretien psychologique n’est pas obligatoire mais peut toutefois être demandé. De toute façon au-delà de l’application de la loi, nos positions éthiques sont à l’encontre de toutes discriminations.
Avez-vous bénéficié de nouveaux budgets pour accompagner cette ouverture de la PMA ?
Oui, nous avons eu des budgets fléchés. On a recruté des techniciens, un médecin. Nous avons recruté grâce à ces budgets une nouvelle psychologue. Donc au lieu d’avoir deux psychologues, nous en avons trois.
Quels sont les délais actuellement ?
C’est deux-trois mois pour voir un médecin et sept mois pour voir les psychologues, du fait de l’afflux constant et massif des nouvelles demandes et inscriptions au CECOS où il y a six mois d’attente. Il faut compter un an environ.
À votre connaissance, ces délais sont-ils les mêmes partout en France ?
Non, il y a deux CECOS français qui présentent moins de problèmes que les autres : l’un à Paris et l’autre à Nantes.
Pour quand sont attendus les premiers bébés de couples lesbiens issus d’une PMA effectuée légalement en France dans votre service ?
On va débuter les inséminations en juin. Je vous rappelle que la grossesse, c’est neuf mois, donc les premiers bébés, ce sera pour l’année prochaine.
Vous faites face à une pénurie de sperme. Or, avant l’ouverture de la PMA aux couples lesbiens et aux femmes seules, un certain nombre d’hommes gays s’étaient engagés à donner leur sperme, notamment dans une tribune publiée par le Huffington Post en septembre 2019. D’après vous, l’ont-ils fait de manière significative ?
Pour l’instant, ça n’a pas été suivi d’effets à Lyon. Mais moi je suis prêt à aller rencontrer la communauté gay pour l’inciter au don de sperme. Mais est-ce que les hommes gays sont sensibilisés à cette problématique et sont prêts à aller aider leurs sœur d’armes ? Je n’en sais rien.
Est-ce que la levée de l’anonymat du donneur prévue par la loi de bioéthique est un frein aujourd’hui au don de sperme ?
Oui, c’en est un. À ses 18 ans, l’enfant pourra contacter l’agence de biomédicine qui pourra procéder à la levée de l’anonymat. Mais les choses sont claires, cet enfant ne pourra rien exiger de la part du donneur.
Y a-t-il ou y a-t-il eu des restrictions sur le don de sperme des hommes gays, comme il y en a eu sur le don du sang ?
Non, pas à ma connaissance. Un homme gay, s’il est séronégatif, peut donner son sperme.
À qui peut-on s’adresser pour donner son sperme au sein de votre service et quelles sont les conditions à remplir ?
Alors, il faut prendre rendez-vous au CECOS, qui est hébergé à l’hôpital Femme-Mère-Enfant. Il y a un entretien psycho et un entretien avec le médecin du CECOS qui va prendre toutes les caractéristiques morphologiques (couleur de peau, couleurs des yeux…). Il y a un entretien médical extrêmement poussé (antécédents médicaux particuliers, analyse génétique, analyse sérologique…). Et la limite d’âge est fixée à 45 ans. Et à 10 enfants par donneur. Il faut compter environ trois mois pour la procédure.
Avez-vous des besoins particuliers en termes de don de sperme (profils génétiques spécifiques, âge…) ?
Alors, je suis moins au courant pour le don de sperme, mais dans le don d’ovocytes, nous avons des problèmes de phénotype. On manque d’ovocytes de personnes d’origine africaine ou asiatique, et c’est la même chose pour le sperme.
Si vous parveniez à endiguer la pénurie de sperme, avez-vous les ressources nécessaires pour gérer une augmentation des dons ?
Ah mais ce serait le bonheur absolu. Rendez-vous compte, moi je suis emmerdé : vous avez un couple de femmes ou une femme seule de 38 ans et vous leur annoncez un délai d’attente estimé à un an, en sachant que plus on est jeune, mieux ça marche. Ce n’est pas sérieux. Un couple de femmes sait qu’il va avoir besoin d’un don de gamètes. Elles ont déjà digéré, analysé cette demande. Elles savent bien que les spermatozoïdes, on ne va pas les trouver au coin de la rue.
Donc oui, si on a pléthore de donneurs, on va grandement améliorer les délais.
Vous encouragez les personnes trans à congeler leurs gamètes. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Alors, les personnes trans, actuellement, peuvent congeler leurs gamètes comme tout le monde. La vraie question, c’est plutôt ce qu’on va faire de ces gamètes. Prenons l’exemple d’un homme trans se mettant en couple avec une femme cis : aujourd’hui la ROPA est interdite mais rien ne nous dit que dans cinq ans ce ne sera pas autorisé. Moi mon conseil, c’est venez nous voir, on peut congeler les gamètes même si pour le moment on ne sait pas ce qu’on aura le droit d’en faire ou pas dans l’avenir.
Aujourd’hui néanmoins, la PMA n’est pas ouverte aux personnes trans.
Nous avons fait de l’insémination avec sperme de donneur à des couples composés d’un homme trans et d’une femme cis, même avant l’élargissement de la PMA, puisqu’on avait devant nous un couple composé d’un homme et d’une femme.
Et nous avons déjà reçu également des couples de femmes dont l’une est une femme trans et l’autre une femme cis et elles ont le droit au don de sperme. En revanche, si un homme trans fait congeler ses ovocytes, il ne pourra pas les utiliser en l’état actuel de la loi.
Contacts
Service de la médecine de la reproduction
Hôpital Femme Mère Enfant, 59 boulevard Pinel-69500 Bron
Assistance médicale à la procréation : 04.72.12.94.12
Centre d’étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (CECOS) : 04.72.12.94.05
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