Pourquoi «dérober» et «robe» sont-ils apparentés, de même que les mots «rapine» (le vol) et «rape» (le viol) ? La langue met en rime des termes qui font du vêtement féminin –gage de son intégrité–, l’équivalent d’un butin ou le fruit d’un larçin.
En cuisine, si l’on vous
demande de «dérober des patates», cela ne veut pas dire qu’il faut les voler
mais qu’il faut les peler, c’est-à-dire leur enlever cette peau joliment nommée
«robe des champs» sous laquelle se trouve leur chair nue. On «dérobe» aussi les
fèves (lorsqu’on les sort de leur cosse) ou les tomates (en les plongeant dans
l’eau bouillante). Une fois «dérobés» – c’est-à-dire, littéralement, «privés de
leur robe» –, les fruits et légumes sont nus.
Vol à l’arrachée
Existe-t-il un lien entre
l’idée du vol et celle du viol ? Bien qu’ils soient presque homophones, ces
deux mots n’ont rien à voir sur le plan étymologique. «Viol» vient du latin
vis, «force, violence» et désigne une agression brutale. «Vol» vient du latin volare,
«voler dans l’air» et désigne le mouvement de traverser le ciel. C’est à partir
d’une expression propre aux fauconniers que, vers le XVIe siècle environ, le
terme «voler dans l’air» a pris progressivement le second sens de «voler le
bien d’autrui». Ceux qui utilisent des rapaces pour chasser parlent en effet du
«vol de la perdrix» pour désigner le fait qu’un faucon fonce sur une perdrix et
l’emporte dans ses serres. Il file avec sa proie… tel un voleur à la tire.
Du rapace au
ravisseur
Comme par un fait exprès,
les mots «rapine», «ravisseur» et «rapace» viennent du même verbe latin (rapio)
qui signifie «emporter, saisir, arracher» et qui donne… to rape (violer)
en anglais. Presque rien ne sépare, dans l’imaginaire populaire, l’image du
«rapt» – c’est-à-dire l’enlèvement brutal – et le fait de «ravir l’honneur»
d’une femme, suivant une expression maintenant périmée. Bien que les mots «vol»
et «viol» aient des origines distinctes, ils vont si souvent de paire que tout le vocabulaire du plaisir s’en trouve contaminé. On le voit
dans ces expressions qui assimilent le baiser – geste intime – à quelque chose que l’on «dérobe» (baiser volé) et le
«ravissement» – synonyme d’agression – à un transport de jouissance
extrême.
D’un homme volage :
«trousse-galant», «trousseur de jupons»
De même, sont
inséparables les verbes «détrousser» (prendre par violence ce que quelqu’un
porte sur lui) et «trousser» (soulever une jupe pour en venir à ses fins) qui
dérivent de la même racine : en bas latin, torsare (qui a donné le mot
«retors») désigne le fait d’empaqueter, de mettre en faisceau ou de nouer en
botte. On trousse du foin, par exemple. Mais on trousse aussi une volaille,
quand on attache ses membres repliés afin de la faire cuire. On trousse bagage,
quand on fait ses valises rapidement. A l’inverse, on détrousse un voyageur
quand on le déleste de ses affaires. «Dépouillé» de ses biens, le voilà lui
aussi tout nu, finalement, que ces femmes dont les robes ont été
soulevées.
Robe vient du germanique raubön, «piller»
Il
peut sembler curieux que le vêtement long soit associé à l’idée du vol.
Mais, pour les étymologistes (Olivier Schopfer, par exemple) rien de plus
logique : «le verbe «dérober» dérive de l’ancien
français rober, «voler,
dépouiller», lui-même issu du germanique raubön, «piller»».
En vieil allemand, «le butin» se dit rauba. En anglais «voler,
dévaliser» se dit to rob. Progressivement le mot robe aurait donc fini
par désigner ce dont on a délesté une personne. Après avoir été volée, elle
n’a plus rien sur elle. Même plus sa robe, devenue «butin» entre les mains des
agresseurs.
Robin
Hood, Rob Roy… Tous les voleurs sont en robe ?
Le nom de
Robin des bois (qui vole les riches pour donner aux pauvres) provient
d’ailleurs de cette racine qui associe les mots «robe» et «dérober». Un «robin»
est un voleur. Ce n’est pas un hasard : les hommes de loi, les juges ou les
avocats sont aussi nommés «robins» car ces «hommes de robe» ont mauvaise
réputation (1). En vieux français, la «robinerie» désigne la filouterie de ces
bandits que sont les magistrats et le mot «roberie» signifie «vol, tromperie».
Il semblerait par ailleurs que ce surnom de Robin ait été anciennement donné aux moutons, par allusion à leur «robe de laine» (2). Par un curieux retournement de sort, le mot «robin» a donc fini par désigner à la fois les
canailles qui portent des robes et les
victimes qui s’en font dépouiller… Les malheureux moutons, par exemple, qui se font tondre la laine sur le dos : leur robe leur est dérobée.
.
NOTES
(1) Cité par le CNRTL, Anatole France aurait ainsi écrit dans un roman (Lys rouge, 1894)
: «Cette effervescence des bourgeois, (....) cette poussée des fiscaux et
des robins, qu’on a appelée la Révolution.»
(2) C’est une
hypothèse avancée par dans le dictionnaire étymologique de Gilles Ménage (1750) qui mentionne par ailleurs ce fait que les moutons étant
considérés comme des bêtes stupides, leur nom désignait les personnes sottes et prétentieuses. C’est dire si le mot «robin» était négatif.