Une fille qui n’a jamais peur et une princesse en quête d’amour, mais aussi des extraterrestres séduisants, des îles interdites et une exploratrice qui n’a pas froid aux yeux, ni ailleurs… Voici quelques uns des savoureux ingrédients figurant au menu du dernier né des spectacles de Catherine Gaillard. Après le féminin insolent et militant des Amazones et de Flora Tristan, voici le satirique et suggestif Cosmorgasme et autres conquêtes! pour la conception duquel la conteuse s’est alliée à l’auteure Lamia Dorner. 360° les a rencontrées à l’occasion de la présentation du spectacle dans le cadre du Festival les Créatives.
Comment travaille-t-on à deux sur un conte?
Lamia Dorner: Catherine amenant la structure du conte, sa virtuosité scénique et orale, je me suis concentrée sur la trame des histoires, le texte. Mais nous avons travaillé en dialogue permanent, et nous nous sommes beaucoup amusées à concevoir ces récits non-hétérocentrés.
Catherine Gaillard: Outre ses qualités littéraires, Lamia partage avec moi un goût pour le fantastique et une même aspiration à une société plus libre et plus épanouie. Mais notre utopie n’est pas sans inquiétude. L’un des contes est post-apocalyptique. Je précise aussi qu’un de nos contes est inspiré d’une histoire qui m’a été offerte par Françoise Leclère, auteure et formatrice à Toulouse.
Contes érotiques et non-hétérocentrés… ça mérite quelques explications!
CG: Tout a commencé au festival international du conte de Montréal, qui m’a invitée en 2011 à présenter une intégrale de mes spectacles. A cette occasion on m’a proposé de participer à une soirée dédiée aux contes érotiques, et j’ai réalisé que je n’en avais pas à mon répertoire. Comme j’aborde à la fois sous un angle militant et spectaculaire, je n’avais jamais trouvé un conte coquin qui allie ces deux aspects. J’en ai alors parlé à Lamia, qui s’est lancée dans l’écriture du conte éponyme du spectacle. Le Cosmorgasme était lancé!
LD: Sans trop dévoiler les intrigues, on peut dire qu’on joue avec les codes et qu’on balade un peu le public. On lui fait croire qu’on est dans les rapports habituels et puis on déplace progressivement les choses vers plus de liberté et de fantaisie. CG: Les trois contes font état du dépassement des limites. Les personnages principaux sont en quelque sorte projetés au-delà de leur zone de confort, au péril de leur identité de genre, et arrivent en terre inconnue… C’est là que se met en route le processus de déplacement du point de vue – et donc de potentielle transformation intérieure – propre au conte. Le public du conte n’est pas composé que de convaincus sur cette question, et les retours enthousiastes de ce public-là sont notre plus belle récompense.
Erotique certes, mais aussi très drôle. Une volonté?
LD: Il faut dire que le thème porte à la plaisanterie et nous étions souvent mortes de rire. L’humour permet aussi de porter un regard plutôt tendre sur les êtres empêtrés dans une morale étriquée. Le simple fait de féminiser certains archétypes de la virilité est déjà un ressort comique très efficace. Nos héroïnes ont soif d’expériences amoureuses, alors quand par exemple on avance dans le champ du désir aux côtés de l’exploratrice Margot Polo… Mais je ne vous en dirai pas plus! (rires)
CG: C’est une raison pour laquelle le terme coquin est plus approprié. La définition de base du terme érotique – qui provoque l’excitation sexuelle – nous semblait un peu réductrice. Certes il ne s’agit pas d’éviter l’obstacle et de ne pas parler de sexe, mais en même temps il y a aussi cette dimension libératrice du rire qui est très présente. Le terme coquin me semble mieux définir ces deux aspects du spectacle, auxquels Lamia a beaucoup contribué.
Alors, conte pour adultes ou tous publics?
CG: Au départ le conte s’adresse à tous. Même si dans la tradition, on éloignait parfois les petits, le conte destiné exclusivement aux enfants est en fait un genre assez récent et local. Michel Hindenoch, figure majeure du conte contemporain, avait cette formule parfaite: «les contes ne sont pas fait pour endormir les enfants mais pour réveiller les adultes»! Pour Le Cosmorgasme, nous avons fixé une limite d’accès, dès 15 ans, qui semble satisfaire tout le monde.
» Le Cosmorgasme et autres conquêtes! Les 14 et 15 novembre à la Julienne, Plan-les-Ouates à 20h. Réservations vivement conseillées. Plus d’infos sur www.catherine-gaillard.net
Bios express
Catherine Gaillard termine sa formation de conteuse professionnelle en 1999. Parmi ses spectacles les plus marquants: Les Amazones (2002), Flora Tristan (2008) et, récemment, Bulle des Boîtes, avec Sophie Solo, Béatrice Graf, m.e.s de Nathalie Athlan, ont rencontré un vif succès en Suisse, en France, au Québec, et même en Russie. Lamia Dorner, après des études de philosophie et ethnologie, se lance dans l’écriture, notamment de poésies et de contes. Elle publie en 2011 un recueil de poèmes remarqué, Les nuits panoramiques, éd. MetisPresses.
Les 7 clés du conte
Quelles sont les caractéristiques qui distinguent le conte des autres arts de la scène? Voici sept clés pour vous ouvrir la voie de cette discipline ancestrale.
1. I l était une fois… Les formulettes d’introduction et de fin ouvrent, ferment et parfois ponctuent le conte. Chez les conteurs modernes cela peut se faire de façon détournée dans la forme, mais le principe perdure.
2. L’adresse Le rapport au public est celui de l’adresse directe, ici pas de 4e mur, la relation à l’auditoire est fondamentale. Le conteur parle à l’imaginaire du lecteur.
3. Le récit Contrairement au stand-up, il faut un déroulement narratif, avec un début et une fin, et la traversée et/ou résolutions d’un certain nombre d’épreuves ou d’énigmes, amenant une révélation ou pour le moins une modification de point de vue.
4. Pas – ou très peu – de décors et accessoires Contrairement à l’acteur de théâtre, le conteur prend en charge les descriptions, qui font partie de la narration.
5. Fabrique d’images Le conteur fait naître des images en grand nombre, qui créent l’émotion. Il fait souvent appel au fantastique ou au merveilleux. En cela il est plus proche du cinéma que du théâtre.
6. Pluralité des points de vues Là encore, le conteur est à la fois le narrateur et tous les différents personnages.
7. Action Le conte ne pose pas de «morale» ni de théorie, il n’est pas réflexif. C’est un récit dynamique, concentré sur l’action.