Camille Froidevaux-Metterie est philosophe féministe, professeure de science politique et chargée de mission égalité-diversité à l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Son ouvrage Seins en quête d’une libération analyse le rapport qu’entretiennent les femmes vis-à-vis de leurs seins. En réfléchissant au regard des femmes sur leurs seins, c’est le regard de toute la société qui est exposé, car le corps de la femme est « un corps pour autrui, un corps sexuel et maternel offert aux hommes et à la société ». Un constat terrible que nous, femmes, ressentons inévitablement dans notre chair. Son livre part des témoignages de quarante-deux filles et femmes, âgées de 5 à 75 ans, qui ont accepté de se livrer et de se laisser prendre en photos seins nus. Plus qu’une analyse, Camille Froidevaux-Metterie soutient l’idée qu’une émancipation des seins est possible, nécessaire et déjà en cours.
Les seins, marqueurs du passage de l’enfance à l’adolescence
Selon Camille Froidevaux-Metterie, nous vivons un « tournant génital du féminisme », façon dont elle nomme ce nouveau féminisme, qui réinvestit les questions du corps, avec comme symbole fort le clitoris. Cependant, elle constate que dans cette réappropriation des corps, les seins sont les « grands oubliés de la dynamique d’émancipation ». Il y a bien sûr eu le mouvement #FreeTheNipple (traduction : Libérez les mamelons) lancé en 2012 aux Etats-Unis. Cette mouvance a mis en exergue la discrimination des sexes, où l’on accepte des hommes torse nus dans l’espace public, mais pas des femmes. Pour autant, le sein reste peu débattu par le féminisme, même si nous sommes nombreuses à nous indigner de voir des photos de tétons féminins censurées sur les réseaux sociaux.
Le premier chapitre du livre est émouvant, car il aborde l’arrivée des seins dans nos vies à l’adolescence. Camille Froidevaux-Metterie met en lumière la spécificité des seins : ils naissent sans crier gare, sans qu’on l’ait souhaité, et du jour au lendemain apparaissent à nos yeux et à ceux du monde.
« Quand les seins poussent et que les règles surviennent, qu’elles le veuillent ou non, les filles deviennent aussitôt des sujets sexuels aux yeux du monde »
Camille Froidevaux-Metterie, Seins en quête d’une libération.
Dès leur arrivée, qu’ils soient petits ou gros et quelle que soit leur forme, les seins imposent à la petite fille que nous étions de se sentir observée, jugée, vue autrement par le monde. Et les standards de beauté « idéaux » promus par la société ne sont pas là pour nous aider à être bien dans notre corps.
Les seins : toujours « trop comme ci » ou « pas assez comme ça », mais jamais « comme il faut »
Alors que « les seins des femmes sont aussi divers que leurs visages » et changent tout au cours de la vie, seul le sein rond, ferme et haut est toujours mis en avant comme étant la norme. Et s’il y a bien un sein qu’il faut cacher car nous ne saurions le voir, c’est bien le sein des vieilles femmes, complètement invisible dans nos sociétés. Camille Froidevaux-Metterie pointe d’ailleurs du doigt l’industrie de la lingerie, qui n’hésite pas à appuyer sur les complexes en proposant à tout-va des soutiens-gorge push-up (rembourrés) pour les petits seins, et propose des prix exorbitants et des soutiens-gorge quasi médicaux pour les très gros seins.
« On arrive donc à ce diktat subtil : les seins doivent être suffisamment gros pour être offerts aux regards, aux mots et aux mains des hommes, mais pas trop gros pour ne pas paraître outranciers et se séparer en quelque sorte du corps auxquels ils appartiennent pourtant. »
Camille Froidevaux-Metterie, Seins en quête d’une libération.
En définitive, le sein des femmes n’est quasiment jamais « comme il faut ». Camille Froidevaux-Metterie explique dans son livre à quel point le port du soutien-gorge est un rituel si bien ancré dans nos mentalités, qu’il est encore difficile de le remettre en cause. D’autant plus qu’un sein libre ressemble encore moins au sein « idéal » qui est vendu. Décider de ne plus porter de soutien-gorge est encore une attitude vue comme révolutionnaire.
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Les seins, au cœur de la condition féminine
Même en matière de sexualité, le sein est finalement très peu investi. Il fait fantasmer les hommes, ils semblent ne rêver que de les toucher et pourtant… Les femmes en viennent même à ne trouver leurs seins beaux que si elles sentent qu’ils sont validés par les hommes !
Pourtant, les expériences recueillies par Camille Froidevaux-Metterie montrent que dans le lit, le potentiel érotique des seins est très peu valorisé dans le rapport hétérosexuel, contrairement aux relations lesbiennes. Le témoignage de Judith dans le livre est assez édifiant sur ce point : « J’ai l’impression que les mecs, ils ont pris mes seins pour eux-mêmes s’exciter sans penser que ça pouvait être très érogène ».
Les seins, un « objet » qui excite l’envie sexuelle, mais qui devient ignoré quand il s’agit de les toucher pour donner du plaisir à sa partenaire ? À force de concentrer les activités sexuelles sur la génitalité, on oublie que le corps est un ensemble de zones érogènes, qu’il faut s’intéresser aussi bien aux mains dans le sexe, qu’aux seins qui peuvent aussi procurer des orgasmes mammaires.
Camille Foidevaux-Metterie parle aussi de la maternité et surtout de l’allaitement, qui a un impact puissant sur le rapport que la société entretient avec la poitrine des femmes et leur sexualité. Elle n’oublie pas non plus de parler des conséquences de transformations physiques sur les seins. Certaines les font « refaire » pour qu’ils soient plus gros, décident d’une réduction mammaire, de subir une mamectomie suite à un cancer du sein, de mettre des prothèses ou de faire une hormonothérapie dans le cas de femmes transgenres. Le livre ouvre une fenêtre sur la violence que peut revêtir le monde médical, tout-puissant dans le rôle de « re-modeler » le corps féminin.
« Il faudrait pouvoir, comme nous y incite Iris Marion Young, éprouver nos seins non pas comme de simples objets destinés à satisfaire le désir masculin, mais comme le terreau d’un désir spécifiquement féminin »
Camille Froidevaux-Metterie, Seins en quête d’une libération.
Photo du photographe Lady Tarin
Les corps noirs, invisibles dans le livre
Le livre Seins, en quête d’une libération mène inévitablement à une réflexion sur la condition féminine, et la place que notre corps prend dans les sociétés occidentales.
Le langage universitaire de la philosophe peut parfois rendre la lecture un peu ardue, mais le livre reste très accessible. Les témoignages et photos de femmes créent un réel sentiment de proximité aux lectrices. Cependant, il est regrettable de ne pouvoir identifier un seul corps noir en photo. Après avoir interrogé Camille Froidevaux-Metterie sur ce point, elle explique avoir « dû faire avec la bonne volonté des femmes qui étaient partantes pour l’enquête ». Elle nous a transféré certaines photos en version couleur (en noir et blanc dans le livre), où les peaux noires prises en photo sont plus perceptibles. C’est donc plus un problème de choix de colorimétrie, que d’une réelle absence. Mais, il reste dommage de ne pas voir de corps noirs de façon évidente, surtout quand est concernée. Cela ne remet pas en cause la qualité de ce livre, passionnant à lire !
Seins en quête d’une libération, une lecture féministe
Seins, en quête d’une libération, un livre à lire pour toute personne intéressée de déconstruire sa vision des seins. C’est un livre qui donne la voix aux poitrines, tant fantasmées et jugées. Il invite à aimer les seins et à faire preuve de bienveillance envers soi et les autres. Est-ce une lecture féministe ? Assurément, on ne titillera pas sur ce point.
Seins, en quête d’une libération. Editions Anamosa. 20 €.
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