Ce matin, j’ai ouvert Instagram et j’ai fait comme d’habitude : j’ai scrollé. Mais ces derniers jours, je ne tiens pas plus de dix secondes. Trop de publicités, pas d’inspiration. Mon cerveau n’arrive tout simplement plus à suivre. Les rares personnes qui m’enthousiasment peinent à apparaitre dans mon feed, alors je dois aller les chercher dans la barre de recherche, une par une. Depuis peu, je me rends compte que je loupe beaucoup de leurs posts, et mes publications, elles, ne sont plus du tout aussi populaires qu’avant. C’est simple, mon audience a chuté de plus de la moitié. La faute à cette nouvelle politique d’invisibilisation des posts “vaguement inappropriés” lancée par Instagram ces derniers jours.
Alors, c’est évident qu’en écrivant une tribune sur le sujet de la censure en décembre dernier je ne m’attendais pas à révolutionner le monde d’InstaFacebook. Je voulais surtout marquer le coup, rendre visible une problématique dont personne ne parlait haut et fort en France à ce moment-là (depuis il y a eu des articles, des pétitions, etc.). Mais quel est l’intérêt d’avoir un compte actif si l’audience s’en trouve limitée par la plateforme ? Et surtout, qui est dans le viseur concernant cette pratique du shadowbanning ? Un article intéressant rend compte d’une vérité : c’est encore une fois la communauté des sexworkers qui en pâtit. (Attention, je ne dis pas que seul·e·s les travailleurs·ses du sexe sont ciblé·e·s. Mais il est important de rendre compte des dommages subis par les acteur·ices de l’industrie du sexe, car ils fragilisent une communauté déjà stigmatisée à travers le monde.)
En effet, j’ai conversé avec des collègues du milieu porn et je sens une vraie lassitude, parfois un sentiment d’échec et de honte. Oui, c’est un sentiment étrange que de se sentir exclu·e d’un réseau social. On se sent un peu bête face à son téléphone, à réclamer à qui nous lit un peu d’attention et de soutien. Bien sûr, on se répète que ce n’est pas la vraie vie, qu’après tout, on s’en fiche, qu’on peut exister autrement. Malheureusement, quand les réseaux sociaux choisissent de nous bannir, c’est un message fort et politique qu’ils nous envoient : DÉGAGEZ !
Ajoutez à cela les nombreuses communautés de haters qui se donnent pour mission de nous harceler, dénoncer, sauver parfois (de qui, de quoi, on se le demande). Il faut l’admettre : certaines personnes en ont après nous, car nous représentons le mal et ça, ça pèse sur le moral (et sur la création).
La loi américaine de 2018 SESTA/FOSTA est en partie responsable de tous ces maux et il est clair que nous sommes pour l’heure en position de faiblesse. Pour autant, il me paraît impensable de baisser les bras. Comme un ami me l’a fait remarquer “nobody cares if you don’t go to the party” (tout le monde s’en fout si tu ne viens pas à la fête »). C’est mon sentiment. À la fois, je me sens désintéressée de cette lutte perdue d’avance et puis… je veux continuer à occuper le terrain, transmettre ma pensée à travers mon travail, donner du fil à retordre aux haters et autres abolitionnistes hystériques, et surtout, préserver ce lien si fragile qui nous lie entre collègues putes.
Pour autant, il faut pouvoir réfléchir à d’autres espaces de visibilité et savoir aussi les créer.
Ici, déjà, sur Le Tag Parfait, s’ouvre une nouvelle rubrique, consacrée à l’art porno, aux œuvres dont Instagram ne veut pas, produites par des TDS et des allié·es. Le principe est simple, vous pouvez envoyer à la rédaction une photo, illustration, série d’images qui ne passent pas sur les réseaux (photo@letagparfait.com).
Ainsi, on permettra à ces œuvres d’exister et d’être visibles.
N’abandonnons pas !