«Je vais te prouver qu’une pédale peut diriger cette compagnie.» La citation fait la signature de «Empire», la nouvelle série-sensation de la chaîne de télé Fox; lors de la diffusion du second épisode, il y a quelques semaines, la phrase a déclenché un double buzz sur les réseaux sociaux américains. Dans les communautés LGBT comme dans les communautés black (avec toutes les nuances et les chevauchements que cela suppose), on a fait fuser les tweets et les commentaires Facebook pour savoir si la remarque s’apparente à de l’homophobie ou du progressisme, si l’intrigue a le goût de guimauve pour fiotte ou si elle déchire tout sur son passage. Résultat: après un mois de diffusion, «Empire» est devenue la série la plus regardée chez les 18-49 ans. Plus remarquable encore: elle cartonne auprès des publics afro et latino, jugés conservateurs en matière de genre et d’orientation sexuelle.
L’angle d’attaque d’«Empire»? Propulser un personnage ouvertement gay, Jamal, dans l’univers homophobe, bling bling et sans pitié du hip-hop et du RnB. «Empire Enterprise», c’est le nom de la maison de disque ultra-puissante de Lucious Lyon, magnat du rap et self-made man dont la trajectoire articule les poncifs de l’ascension sociale et du rêve américain: gosse des banlieues défavorisées, il a monté sa société avec 400’000 dollars issus du trafic de drogue. Cookie, son ex-compagne et la mère de ses trois fils André, Jamal et Hakeem, en a payé le prix fort. Dix-sept ans de taule tandis que Lucious faisait croître un business aux attributs grands formats: yacht dans la baie, Maserati sous le porche et Klimt au mur du corridor. Lorsque Cookie sort finalement de prison, le glamour usé et les cernes profondes sous son chapeau et sa robe léopard, elle entend bien récupérer sa part.
Ambitieux en costard
Pour compliquer le tableau, Lucious apprend qu’il est atteint d’une maladie incurable. Les médecins lui donnent trois ans, peut-être moins: il faut un héritier à Empire Enterprise. L’un des trois fistons bien sûr, mais lequel? André, l’ambitieux aîné en costard cravate, diplômé d’une université à 50’000 dollars le semestre mais dénué du moindre talent musical? Hakeem, le cadet branché sous ses bijoux qui brillent, dont le flow et le charisme ont tendance à s’évaporer dans les clubs et les aubes au champagne? Ou alors Jamal, songwriter talentueux et timide, véritable star en puissance qui préfère s’ignorer? Sauf que Jamal est gay. Et que Lucious, en vieux lion des quartiers allergiques aux pédés, ne veut pas en entendre parler.
La libération de Cookie va changer la donne: flamboyante, remontée à bloc, elle est décidée à faire de Jamal l’homme-clé d’Empire Enterprise, et à prouver à Lucious qu’une «fiotte peut diriger cette compagnie»…
Bande-son en béton
Sillonnant habilement le long des fractures de l’Amérique contemporaine – la question raciale, l’homophobie, la stratification sociale, la décadence du show-business et le grand spectacle des médias – «Empire» entrechoque des mondes et des milieux généralement imperméables les uns aux autres, oscillant intelligemment entre provocation et audace. Surtout, Fox a sorti les gros moyens pour faire de «Empire» une production en béton armé. Jussie Smollett prête son joli minois à Jamal face à une panoplie de personnalités: Terrence Howard en patron manipulateur et blessé, Taraji P. Henson en louve sur le retour, et puis des apparitions de Naomi Campbell, Macy Gray, Courtney Love ou Cuba Gooding Jr. Mention spéciale pour la bande-son, une collection de hits originaux signés Timbaland, artificier en son temps des albums les plus ambitieux de Justin Timberlake et Missy Elliott.
«Empire», disponible notamment sur iTunes, Hulu et le site de la Fox