A.S.A. Harrison n’aura malheureusement pas pu savourer le succès inattendu que la presse et le public ont réservé à son premier thriller psychologique, elle est morte quelques mois avant sa parution.
Classé pendant plus de 70 semaines dans les meilleures ventes du New York Times, La femme d’un homme/The silent wife est en passe d’être adapté au cinéma par Nicole Kidman.
Extraits choisis
1
Elle
Septembre est arrivé. Jodi Brett prépare le dîner. De la cuisine américaine de l’appartement, elle a une vue dégagée à travers le salon, jusqu’aux fenêtres orientées à l’est et au-delà, vers une étendue d’eau et de ciel, que la lumière du soir mêle en un bleu uniforme. L’horizon, ligne fine aux nuances plus sombre, semble tout proche, on pourrait presque l’effleurer. Elle apprécie cet arc qui se dessine, il lui donne l’impression d’être entourée. Ce sentiment de protection que lui confère son nid perché au vingt-sixième étage est ce qu’elle aime par-dessus tout.
A quarante-cinq ans, Jodi se considère toujours comme une jeune femme. Elle ne pense pas à l’avenir, elle vit intensément l’instant présent, s’inscrivant dans le quotidien. Elle part du principe, sans y avoir jamais vraiment réfléchi, que son monde va continuer de tourner ainsi, de façon imparfaite certes, quoique tout à fait convenable… En d’autres mots, elle n’est en rien consciente que sa vie atteint désormais son apogée, que la résilience de sa jeunesse – lentement érodée par vingt années en couple avec Todd Gilbert – approche l’anéantissement, que ce qu’elle croit savoir d’elle-même et de la façon dont elle doit se comporter est beaucoup moins figé qu’elle ne le pense, si l’on considère qu’il suffira de quelques mois à peine pour faire d’elle une meurtrière.
Si vous lui disiez cela maintenant, elle ne le croirait pas. Le mot meurtre ne fait pas vraiment partie de son vocabulaire, c’est un concept pour elle dépourvu de sens, que l’on retrouve dans les faits divers, lié à des gens qu’elle ne connaît pas et qu’elle ne rencontrera jamais. A ses yeux, les violences conjugales semblent particulièrement invraisemblables : est-il possible que des tensions quotidiennes au sein d’un foyer puissent dégénérer à ce point ?… Il y a des raisons derrière cette incompréhension, même si l’on met de côté la retenue habituelle de Jodi. Loin d’être idéaliste, elle est persuadée qu’il faut accepter le meilleur comme le pire. Elle ne recherche jamais le conflit et ne se laisse pas facilement provoquer.
[…]
2
Lui
Il aime commencer sa journée de bonne heure, et avec le temps il a réduit sa routine du matin au strict nécessaire. Il prend une douche froide qui lui coupe toute envie de s’éterniser, et il n’utilise qu’un rasoir jetable et de la mousse à raser. Il s’habille dans la pénombre de la chambre pendant que Jodi et le chien continue de dormir. Parfois, Jodi ouvre un œil et lui dit : « Tes chemises sont revenues du pressing » ou : « Ce pantalon commence à se déformer », ce à quoi il répond : « Rendors-toi. » Il avale un comprimé multivitaminé avec une gorgée de jus d’orange, se brosse les dents de gauche à droite (ce n’est pas la technique recommandée, mais c’est la plus rapide) et, trente minutes après s’être levé, il est dans l’ascenseur qui descend au garage du sous-sol.
Bien avant sept heures, il est assis à son bureau au dernier étage d’un immeuble de trois étages installé à South Michigan Avenue, au sud de Roosevelt Road. Ce bâtiment (une structure en brique et pierre calcaire, au toit plat et aux fenêtres à cadre d’acier qui étaient du dernier cri quand il les a installées) a été la première rénovation d’envergure qu’il a entreprise, après une dizaine d’années passées à retaper des maisons et avant que la folie des appartements en copropriétés dans South Loop ait fait exploser les prix du marché. Quand il l’a acheté, le bâtiment n’était qu’un espace vide, et Todd a financé sa reconversion en bureaux à l’aide de trois hypothèques et d’une succession de crédits, tout en travaillant aux côtés des ouvriers qu’il avait engagés. Il aurait pu tout faire lui-même mais, s’il s’était retrouvé à sec, les banques auraient tout saisi. Dans ce métier, les mensualités, taxes et autres assurances confirment le vieil adage selon lequel le temps, c’est de l’argent. Le local qu’il s’est octroyé est modeste, il comprend deux bureaux, une petite réception et une salle d’eau. Il s’est installé dans le plus grand bureau, celui qui donne sur la rue. La décoration est moderne et épurée, avec des murs nus et des stores vénitiens – rien du fatras d’antiquités et de bric-à-brac auquel il aurait droit s’il laissait carte blanche à Jodi.
Il passe son premier appel de la journée au delicatessen qui lui livre son petit-déjeuner et il commande, comme toujours deux sandwichs au bacon et deux grands cafés. En attendant, il sort une vieille boîte à tabac rangée dans le tiroir de son bureau, fait sauter le couvercle et vide le contenu sur la table : du papier à rouler Bugler, une boîte d’allumettes et un petit sachet contenant une poignée de feuilles et de têtes séchées. A l’époque où il était déprimé, il s’est rendu compte que fumer un peu d’herbe dès le début de la journée le sortait de son apathie et l’aidait à se mettre en route. A présent, il a pris l’habitude de ce petit rituel : il roule et allume son joint. Il aime cette façon détendue de commencer en douceur sa journée. Il s’approche de la fenêtre et exhale la fumée vers l’extérieur. Ce n’est en aucune manière un secret qu’il aime tirer une ou deux taffes ; c’est juste que, d’après lui, TJG Holdings ne doit pas avoir la même odeur qu’un squat d’étudiants.
[…]
Résumé
Elle c’est Jodi. Lui c’est Todd.
Elle est une femme d’intérieur idéale et une psy de renom. Il a le charisme et l’assurance de ceux qui réussissent. Elle l’aime aveuglément. Il la trompe allégrement. Ils forment, en apparence, le couple parfait.
Mon avis
Quelle idée d’avoir traduit The silent wife par La femme d’un homme ?
Thriller psychologique à la construction astucieuse – dès les premières pages, on nous apprend que Jodi sera contrainte d’assassiner son mari qu’elle aime – The silent wife raconte avec minutie la descente aux enfers d’une femme jusqu’à la seule solution envisageable pour elle, solution qui lui permettra de ne pas perdre la face devant les autres.
Mais qu’est-ce qui peut pousser une femme amoureuse à mettre un terme à une vie merveilleuse qu’elle s’est construite jour après jour depuis sa plus tendre enfance ?
Jodi et Todd sont ensemble depuis 20 ans, ils ont tous les deux une belle carrière, ils s’aiment et même si Todd la trompe de temps à autre, ce n’est pas grave, ce ne sont que des passades. Qu’est-ce que cachent les apparences derrière lesquelles se pare si bien Jodi qu’elle en a oublié la véritable raison ?
Le secret de cette femme apparaitra en même temps qu’il lui reviendra à l’esprit. Mais ses mécanismes de survie mis en place sont si nombreux que le cheminement vers la vérité est lent. Mais est-ce vraiment la vérité ? C’est là, toute la subtilité du roman qui tient encore en haleine après le point final. Souhaitons que l’adaptation cinématographique soit fidèle à l’œuvre d’A.S.A. Harrison.
La femme d’un homme, A.S.A. Harrison, éditions Le livre de poche
Traduit de l’anglais (américain) par Audrey Coussy
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