Suite et fin de l’article “Dans la peau d’une actrice porno : en mode strip-tease, Rencontre avec les fans »
Le petit couple posé. Ils ont dix-neuf ans. Elle est jolie, entreprenante ; il est souriant, discret. C’est elle qui prend la parole et les choses en main. Jeune femme de la nouvelle génération assumant totalement le fait que son amoureux puisse fantasmer sur une autre, elle s’assoit sur votre gauche, radieuse, invitant son petit-ami à s’asseoir sur votre droite. Vous ne savez pas à quel point vous faites partie de leur vie de couple mais vos joues pressées par leurs deux bisous, vous vous sentez fondre, touchée par cette spontanéité. Si le porno est souvent accusé de créer des complexes auprès de son public, on oublie trop souvent qu’il peut être ni plus ni moins qu’un simple accessoire de plaisir et être partagé dans le creux du lit d’un couple qui s’aime. “Pour Bastien et Lola, Tendres baisers.” “On ne va pas vous retenir plus longtemps. Merci pour ce que vous faites !” Vous les regardez partir main dans la main, appréciant cet instant fleur bleue. Vous vous sentez bien. C’est alors que vous apercevez Bonnie Tyler. Ah non. C’est Sabrina. Elle a la petite quarantaine, robe moulante, gros bijoux clinquants et bottines de cuir… la bande plastifiée noire collée en haut de ses cuisses semble être l’indice qu’elle porte des bas. Elle s’avance vers vous dans un mâchement de chewing-gum et un rire sonore. Vous êtes étonnée à ce moment-là de pas entendre Boys ou En rouge et noir. Mais non, cet instant est celui de On va s’aimer.
- La barmaid bi. Le patron vous avait avertie. Sabrina est chaude comme la braise et vous êtes dans sa ligne de mire. Sauf que vous aimez les femmes… que vous choisissez. Sabrina est d’humeur joviale et tactile, elle tente de s’enlacer à votre cuisse (décidément) pour une pose vaguement inspirée de Basic Instinct mais votre instinct n’est pas d’humeur reproductrice. La plupart de vos collègues sont beaucoup plus à l’aise quand il s’agit de « porno attitude » mais c’est comme ça ; vous avez beau être étiquetée “nymphomane certifiée”, vous êtes très mauvaise dans le personnage de clubbeuse et party girl délurée. Vous l’admettez, vous êtes un peu chiante. Bref, vous posez aguicheuse mais vous vous désistez pour le roulage de pelle au tabac-whisky-coca. Sabrina est un peu déçue mais reste néanmoins bavarde. Sa voix est réglée comme son vibromasseur, c’est à dire à puissance maximale ; sauf que votre tympan n’a pas les aptitudes de votre clitoris. “Moins dix points” pour votre capital auditif et votre bonne humeur. Ca tombe plutôt mal , le “fan” suivant n’est pas le plus facile.
- Le lourd. « Je suis un pote de Gaspar. – Ah. Et donc à quel nom la dédicace ? – C’est moi, Fabrice, je suis un pote de Gaspar. – Gaspar qui ? -Bah Gaspar ! – Qui ? – T’en connais beaucoup des Gaspar ? – Oui justement. – Bah Gaspar Noé !! – Ah c’est bien. A quel nom la dédicace ? » Vous l’aviez déjà entendu se marrer un peu trop fort tout à l’heure et surtout, il n’a pas arrêté de chambrer votre gentil partenaire de show. « Mais vas-y mets les mains là ! » Il a sans doute trop bu mais à vrai dire vous n’avez guère envie de lui trouver des excuses. Avant même qu’il ne s’asseye lourdement à vos côtés vous savez que vous ne l’aimez pas. Le lourd pense qu’il est beau gosse, il transpire abondamment, il est agité, bruyant, encombrant. Il pose des questions mais répond à votre place. “Alors Cauet ? Il est cool hein ? Ouais il est cool franchement !”, évoque votre actualité d’il y a huit ans ou celle d’une autre actrice, vous fait des compliments à la qualité douteuse : « T’es plutôt mignonne tu sais. Il était pas mal ton show » et en remet une couche avec un ami commun imaginaire. « Et tu connais Titi ? Mais siiiii Titi ! » Il a évidemment fait le pari qu’il obtiendrait une photo de lui où il vous tripote les seins. Et il va évidemment perdre. Mieux, il va mal le prendre. Il veut devenir hardeur, il veut une troisième photo, il veut votre numéro de portable et que vous écriviez « Merci, t’es vraiment un super coup ». Bref, il veut beaucoup de choses, il est pénible, il est LOURD. Vous vous voyez soudainement avec un marteau géant de trois tonnes, un taser, un lance-flamme, un fusil à pompe. Vous hésitez sérieusement entre la méthode Dexter et celle de Jack Bauer. Soupir. Vous vous contentez d’un regard vers Marc. Ménage immédiat. « Dis, quand tu verras Gaspar, tu peux lui dire de m’appeler ? » Sa voix s’étrangle. Attrapé par le col de sa chemise, le lourd virevolte en poids plume.
- Le groupe de copines. Leurs rires sonnent comme si elle s’apprêtaient à monter dans le wagon d’un grand huit. Elles arborent un joli décolleté, un minois maquillé. D’humeur coquine, elles sont venues demander une dédicace pour leurs papas ou leurs petits amis assis à l’autre table : « Ils n’ont pas osé venir. Ils sont bêtes les garçons ! » mais aussi pour elles, à écrire au marqueur sur le rebondi de leurs seins. Elles vous embrassent avec enthousiasme, vous félicitent pour votre courage, vous demandent au passage un petit conseil : « Tu fais comment pour faire une gorge-profonde? » et repartent en riant de bon cœur. Vous vous demandez si vous étiez aussi émancipée à leur âge. Quoiqu’il en soit, vous êtes ravie de cette bonne humeur, de ce petit parfum pétillant de girls Sex and the city.
- Les kaïras. Vous les aviez sentis assez “mauvaise ambiance” pendant votre show, surtout au moment où vous retiriez votre string. Voilà une demi-heure que vous les entendez chahuter dans la file malgré la puissance du chant des sirènes du port d’Alexandrie. Ils sont « en mode West Coast » et vous leur demandez s’ils kiffent L.A. : « Quoi ? – L.A. – Quoi ? – L.A… Los Angeles quoi – Ah ouais ! » Ils demandent à s’asseoir tous les quatre en même temps, superposent lourdement leurs bras autour de votre cou. Cette fois-ci ce n’est pas une, mais vos deux cuisses qui sont réquisitionnées. Vous faites appel à votre combo « pose pin-up suivi de mouvement de cheveux circulaire » ; vous retrouvez un peu d’espace. Petit clin d’oeil à votre garde du corps. Ne pas intervenir, tout va bien, ils sont juste un peu démonstratifs. Votre métier consiste aussi à savoir vous adapter sans juger et c’est également ce que vous attendez des autres. D’ailleurs l’un d’eux se rapproche, une douceur étonnante dans sa voix :
« Franchement j’m'excuse de t’avoir traitée de salope tout à l’heure ! Franchement t’es ravissante, j’suis désolé carrément. Je me suis pas rendu du compte t’sais ! »
Excuses acceptées. Je lui donne un gros bisou sonore sur sa joue parfumée. Anthony se liquéfie. Il veut une photo avec le bisou. Du coup Medi aussi, et Brian, et Matt. La compétition est lancée. C’est à celui qui aura la meilleure photo, la meilleure dédicace, le petit cœur dessiné à côté de son prénom. Vos fans kaïras sont épuisants mais ils vous offrent un vrai sourire. Vous signez un caleçon, une casquette, un avant-bras, une carte de bus, un paquet de clopes. Un tendre bisou « Pour les bad boys de Brignolles ».
- Le fan, le vrai. Gégé a cinquante-sept ans mais il n’a pas vraiment d’âge. Tout le monde le connaît, plus personne ne s’étonne de le voir répondre présent à chaque « show Star du X ». C’est un habitué. Il vous connaît depuis vos débuts, possède toutes vos cassettes VHS . C’est un fan « à l’ancienne » qui a minutieusement apporté les magazines qu’il a pu collectionner de vous. Il a même imprimé des photos que vous devez signer avec son feutre vert. « Ah oui, c’est une belle photo en effet. » Vous la retournez vers la droite, vers la gauche, vous restez perplexe sur vos prouesse de vos vingt-cinq ans. Gégé est très gentil, il boit vos paroles en se rapprochant de votre bouche, vous répond en détail en soufflant dans votre visage. Détail perturbant, il ne semble jamais cligner des yeux. Vous pensez aux aliens de Men in Black. Lui aussi tente de se poser sur votre cuisse mais là c’est un peu too much. Il fait une chaleur lourde, humide, son pull marron à losanges (encore ?) est trempé. Feinte de la petite pose de pin-up avec déviation sur le côté gauche. Vous vous croyez tirée d’affaire. Mais voilà, Gégé vous adore, il vous encercle chaleureusement de son bras, appose sur votre joue un bisou mou et mouillé, plaquant son aisselle non désodorisée sur votre épaule ; votre sourire n’a pas bougé, vous êtes en mode survie et ça fait trois minutes que vous êtes en apnée. « Cheeeeeese ! A la prochaine fois Gégé ! » Vous regardez Marc, Marc vous regarde, ensemble vous regardez Gégé victorieux, les vigiles impassibles, le DJ qui s’enflamme. Vous avez beau chaque fois vous y préparer, vous n’arrivez pas à vous y faire : le refrain des Lacs du Connemara retentit de plus belle. C’est le signal. Il est temps de partir.
Il est six heures du matin. Vous êtes retournée dans les loges suivie par le lourd ; sa joue s’est enflammée sous l’impact d’une baffe; deux vigiles un peu trop zélés vous ont escortée dans la foule en manquant d’écraser huit personnes sur leur passage ; vous avez donné votre facture, attendu votre chèque, plié vos bagages, soupiré de satisfaction, redéplié vos bagages, fait de nouvelles photos et dédicaces pour le personnel, posé avec les gendarmes , discuté radars, chambré une brigade d’intervention venue elle aussi réclamer sa photo. Votre petit commando tout de cuissardes et de casques vêtu n’était apparemment pas d’humeur à plaisanter ce soir. Vous, si, ça rend les choses plus supportables. Vous êtes maintenant au buffet petit-déjeuner de l’hôtel, zombie tartinant à la chaîne des brioches de Nutella. « On part à quelle heure Marc? » « Le train est à 11h49. » Nous sommes déjà samedi, et ce soir, c’est « Show Star du X à la discothèque l’Adrénaline ». Vous regardez Marc, Marc vous regarde, ensemble vous regardez les tartines, les croissants, le chocolat chaud. Cette fois-ci il n’y a personne pour vous regarder. Vous savourez.
« It’s a new day
It’s a new life
For me
And I’m feeling good. »*
Katsuni
*paroles de la chanson « Feeling Good »
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