Enchevêtrements – Vanda Spengler
Tous à poil… Ca fait peur à Jean-François Copé, mais on a tous un corps, caché derrière nos habits. Ce truc qu’on est des milliards à partager sur terre, l’enveloppe qu’on habite, pourquoi doit-elle être choquante ? Pourquoi la cacher ? Peut-on regarder les corps comme des objets, faisant partie d’un paysage ? Pourquoi les seuls corps qu’on a le droit d’afficher dans l’espace public sont les images érotisées des pubs et des magazines ?
A son corps défendant, ce sont toutes ces questions que pose la photographe Vanda Spengler avec son travail. Elle regarde le corps comme un tout dont le sexe n’a pas plus d’importance que le reste, et place ses modèles dénudés dans les forêts, les parkings souterrains, les halls de gare pour en faire des images.
Le nu n’est pas l’érotisme
Dans un fascinant documentaire nommé « Vanda Spengler… Aura ta peau », réalisé par Antoine Desrosières bientôt diffusé en DVD et sur Normandie TV (oui, Normandie TV existe, oui Normandie TV diffuse des documentaires sur des photographes de nu, ça vous épate hein ?), on voit Vanda Spengler à la baguette, entassant les corps de ses modèles en autant de paysages.
« Je suis son travail depuis longtemps. Je suis intéressé par le regard nouveau qu’elle porte sur le corps, et par les questions qu’elle amène à se poser à ses modèles et à son public », dit Antoine. Le corps et l’érotisme, d’abord. Vanda explique qu’elle photographie les corps sans aucun regard sexuel sur eux. Mais voir un nu, cela suscite souvent chez le spectateur un décodage érotique. « Le nu fera toujours écho dans l’inconscient collectif au désir, à l’érotisme, et cela me surprendra toujours! » dit Vanda. « Lorsque je mets en scène les corps, fragilisés, abîmés, dans des postures anti-glamour au possible, je me demande bien comment on peut trouver cela propice au désir… J’ai pris le parti de rester honnête dans ma démarche, dans mon regard, et d’accepter que les spectateurs ne reçoivent pas forcément le bon message. »
Le choc de la peau
Vanda affirme ne pas s’intéresser à la problématique de choquer ou pas les gens avec des corps dénudés. « La nudité fait partie intégrante de mes photos car elle révèle les êtres, ils ne peuvent pas tricher, pas se cacher. Et je ne vois rien de choquant à mon travail, je ne comprends pas lorsqu’on leur affuble ce qualificatif. Dès qu’on ne montre pas le bonheur en image mais une forme de détresse on est choquant, c’est drôle! Moi je suis plutôt choquée par la sur-sexualisation ambiante dans la pub et à la télé et mes images vont à l’inverse de cette expression là, du moins je l’espère. »
Vanda ne s’affirme pas comme une militante… Pourtant, ses séances à l’arrache de prises de vues de groupes de modèles nus dans des lieux publics ont tout pour titiller les autorités et les lois. Les passages les plus savoureux du documentaire sont d’ailleurs ceux où on observe la confrontation du public avec des corps nus qui les surprennent. Certains détournent le regard, d’autres passent comme si de rien n’était, d’autres encore sortent leur téléphone portable pour faire des photos… avant que les garants de l’autorité ne s’en mêlent. Ce qui se termine en général par une expulsion des lieux. Les arguments avancés sont toujours indirects : « le propriétaire ne va pas apprécier», « ça va choquer les enfants », à croire que personne n’est vraiment indisposé par la nudité, c’est pour protéger les autres.
Vanda, un tyran gentil
Les compositions de Vanda ont beau avoir l’air désolé, sombre ou tristes, les spectateurs ne peuvent s’empêcher de les juger à l’aune de leur éventuel niveau d’érotisme. Après une saisissante séquence filmée à Paris, gare de l’Est, en plein jour, lors d’une séance de prises de vue de son tas de corps nus sur un quai et dans le hall, Vanda revient sur le lieu de son crime. Elle trimballe un portant sur lequel elle a accroché ses clichés – elle appelle ça « l’expo mobile ». Se fait virer par un préposé à la sécurité, parce que « vous n’avez pas les autorisations de la sncf », tiens encore une raison extérieure.
Elle déplace alors son expo mobile plus loin, dans la rue (c’est tout le côté pratique de faire une expo mobile). Les passants, intrigués, vont y voir de plus près. Et de se demander entre eux « ça te choque, toi ? » « euh… moi non… », ou d’évaluer si les clichés sont sexuels ou pas. Comme les films de Lars von Trier, qu’elle cite beaucoup en référence et qui n’a pas son pareil pour révéler les censures, l’art de Vanda ne peut pas être coupé des réactions qu’il suscite dans la société. C’est un tout.
Elle s’interroge aussi beaucoup sur son rapport à ses modèles : doit-on être tyrannique pour obtenir le résultat qu’on désire ? Antoine Desrosières est aussi intéressé par ces questions éthiques que Vanda se pose. « Ces interrogations ne sont pas résolues chez elle, c’est donc spectaculaire à observer. J’aime aussi le décalage apparent qu’il y a entre sa personnalité chaleureuse et exubérante et ses photos qui visitent un monde intérieur sombre. Ce décalage me semble « cinématographique ». Bref, cela fait d’elle un bon sujet de documentaire. »
En tout cas, tant qu’on ne sera pas tous à poil, l’art sombre de Vanda et sa bonne humeur désarmante nous interrogeront.
Pour ceux que cet article aurait intrigué, une double projection est prévue le 9 avril à Paris (19h et 20h30), au Raymond Club, 13 rue Dussoubs