Gilles Paris travaille dans l’édition depuis plus de trente ans. Il a publié cinq romans dont Autobiographie d’une courgette adapté au cinéma (le film a été récompensé, entre autres, par deux Césars).
Inventer les couleurs, son premier livre jeunesse illustré par les dessins d’Aline Zalko paraîtra le 7 mars chez Gallimard Giboulée.
Avis
Avec La lumière est à moi, Gilles Paris explore le thème de l’enfance mais c’est la première fois qu’il publie des nouvelles. Genre littéraire auquel peu d’écrivains se frottent, tout du moins en France, car difficile à maîtriser. Raconter une histoire brève qui se lira d’une traite et laissera un souvenir intense au lecteur n’est pas donné à tous les écrivains.
La lumière est à moi est une pure réussite ! Avec justesse, Gilles Paris déroule ces histoires, ces jeunes vies amochées. Nouvelle après nouvelle, on découvre comment, malgré fêlures et cicatrices, Brune, Anton, Eytan, Julian, Angus, Ruth, Ethel, Sebastiań, Lior cheminent ou ont marché vers la lumière.
Morceaux choisis, p. 13 à 16
Anton passait du temps dans les arbres car il venait de perdre sa mère. Il s’éveillait à la nature, à l’odeur du pin, à la résine qui lui rappelait le parfum tenace maternel. Les aiguilles rassemblées par paires se trouvaient enserrées dans une seule et même gaine. C’est ainsi qu’il se rapprochait d’elle, appuyé contre l’écorce craquelée, d’un brun rougeâtre. C’était un être à la sensibilité extrême qui retenait tout, pareil à une digue sur le point de céder. Son isolement était sa force. Il y puisait ce calme apparent qui m’attirait autant que ces lumières mordorées de fin de journée. Son père, incapable de la moindre émotion, ne lui parlait qu’en élevant la voix. Anton n’était pas du genre à se taire. Leurs conversations faisaient se retourner les têtes. J’aimais qu’il s’oppose à ce père absent. Je l’admirais même pour cela. L’autorité n’a jamais été mon fort. J’ai toujours préféré disparaître.
Ben était le frère de ma meilleure amie, Amance, une blonde toute en fraîcheur, dont la belle humeur attirait chacun d’entre nous. Aux antipodes, Ben m’apparaissait taciturne et sombre. Il passait des heures, assis sur son transat, à creuser le sable sous ses pieds, comme s’il cherchait à y enterrer ses pensées. Il se baignait peu, toujours en tee-shirt, marchant sur les rochers, en équilibre, comme s’il nous défiait tous. Nous, rassemblés sur nos lits de plage, sous le regard lointain de nos parents, entre eux, buvant à la paille des cocktails roses, tandis eu la crème solaire luisait sur leur peau rougie, blanche sur la tranche. Ils nous oubliaient et nous en profitions. Notre monde nous paraissait plus indolent. Nous n’étions en fait que de simples miniatures. Les garçons se moquaient de Ben sortant de l’eau, le tee-shirt comme une seconde peau sur son maigre torse. Amance montrait du doigt les vauriens sans rien dire. Ses taches de sourire semblaient soudain se rassembler sur son visage. Les garçons suspendaient leurs gestes et leurs mots. Le silence était aussi pesant qu’une journée de canicule. Ben regardait l’horizon comme seule échappatoire et moi, je le fixais comme le frère que j’aurais voulu avoir. Anton nous rejoignait sur la plage, quittant parfois ses arbres. Je sais qu’il venait pour moi. Nos jambes se frôlaient, nos mains aussi. Avec Anton, l’été s’embrasait comme la paille sur le feu. Ben en profiter pour escalader ses rochers. Amance me jetait un regard furtif, comme à regret. Elle nous observait, Anton et moi. Elle savait avant moi. Je ne prévoyais rien. Je laissais mes émotions prendre le dessus, sans réfléchir à la préférence. Il m’arrivait de suivre le frère d’Amance sur ses rochers, de chercher avec lui un semblant d’équilibre sur la pierre escarpée. Nous étions comme des pantins désarticulés vus du pin d’Anton. Ben me tendait la main, je l’attrapais. Mes jambes étaient striées de griffures rouges et bleues qui me faisaient penser à lui, à nos escapades silencieuses. Nous étions si jeunes, et si adultes sans le prétendre.
Ben nous suivait, Amance et moi, partout où nous allions. Il se tenait toujours en arrière, traînant le pas, le regard rivé au sol. Je prenais Amance par la taille, comme maman et ses amies, à quelques pas de nous. En marchant, j’envisageais le ciel, j’aurais aimé voler et jouer avec les nuages. Amance riait de me voir égarée là-haut, comme Anthon dans les arbres. Elle m’a prédit, alors que je gardais sur mes lèvres l’empreinte de ce garçon, qu’Anton n’était pas pour moi. Comme si elle nous avait observés d’une branche plus haute. Comme si elle pressentait l’avenir.
A quinze ans, j’ai embrassé Ben pour la première fois. J’avais bu un de ces cocktails qui n’ont de rose que la couleur. Nous revenions d’un café en bord de mer. Loin devant nous, Anton et Amaury s’amusaient en se courant après. Leur jeu infantile m’agaçait. Je m’en étais éloignée. Je marchais pieds nus près de l’eau. J’entendais le ressac résonner en moi comme autant de pensées confuses. L’alcool brûlait mes sens. Ben m’a rejointe. Sa main s’est glissée doucement dans la mienne. La lune nous montrait un chemin lumineux, tremblant sur l’eau noire. C’est arrivé à cet instant. Son baiser avait la chaleur d’un été moite. Ses doigts sont restés longtemps sur mes joues. Je n’ai pas pensé à Anton.
L’été suivant, j’ai tremblé dans ses bras. Je le voulais, lui, Anton, en premier. Mon corps s’est enroulé autour du sien comme une corde. J’ai pleuré en l’aimant. Il m’a tenue si serrée contre lui que j’ai cru en mourir. J’aurais pu fondre en lui. Disparaître. Je sentais sa force, palpable dans l’air ardent de cette nuit d’été, son corps sous le mien, ses mains enfoncées sur mes hanches, son regard intense, implorant, ses cheveux en colère, sa bouche attrapant la mienne pour ne plus s’en défaire, puis s’échappant sur mes seins, revenant à mes lèvres, offertes, entrouvertes. Nos corps nus, transpirants et rassasiés, dessinaient une croix sur le lit. La sueur perlait comme un ourlet sur mes lèvres, gouttelettes du désir fondant sous ma langue. Je n’ai pas eu besoin de le dire à Amance. Tout mon être respirait Anton comme un parfum enivrant.
La lumière est à moi et autres nouvelles, Gilles Paris, éditions Gallimard
A noter la parution de Le vertige des falaises chez J’ai Lu
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