D’abord les femmes ont fait reconnaître leur légitimes aspirations. Puis les homos. Ensuite les «pervers». Dans l’ouvrage-culte “Deviant Desires”, réactualisé fin 2017, l’Américaine Katharine Gates recense les fantasmes les plus étranges qui puissent exister sur notre planète.
«D’abord il y a eu les mouvements féministes, puis gays portant à la connaissance du grand public l’existence d’autres modèles genrés et d’autres orientations sexuelles. Ensuite, vers 1996, les avancées technologiques ont permis à des minorités sexuelles de se connecter et de former des communautés.» Pour Katharine Gates, la troisième Révolution sexuelle, c’est celle des hommes et femmes qui – au-delà de leur orientation (homo-hétéro) – doivent assumer des «goûts» parfois… spéciaux.
Etes-vous furryphile, splosher ou macrophile ?
Il y a les personnes qui rêvent de devenir des hommes-lions ou des femmes-renard, à la fourrure soyeuse et aux pupilles de fauve. Elles imaginent que des crocs leur pousse, ainsi que de longues queues et ils se livrent –en pensée– à des orgies bestiales avec d’autres créatures hybrides, femmes-lapines soyeuses ou femmes-requin aux yeux métalliques. Certaines se transforment en ballons humains, enfermées dans des bulles de latex sous pression. D’autres se déguisent en Bambi, sous le nom de fursuiters, ou imaginent que leur partenaire vient d’une autre planète, afin de s’offrir en pensée une décharge d’effroi mêlée de pur bonheur : cet «homme»-là vient des étoiles, exprès pour moi. Fans du sexe dans la boue (wamers) ou dans le chocolat (sploshers), adeptes du trampling ou du pedal-pumping, sniffeurs de semelles usagées, fétichistes de la paralysie simulée (freezing), anthropophages, ballooners, amoureux de femmes géantes ou obèses… Leurs jeux sexuels parfois délirants dépassent les cadres conventionnels de la chambre à coucher. Par le biais des forums, des sites, des SNS, leurs images forment des galaxies de mondes sans cesse ré-inventés.
Pervers, ou pas : nous sommes tous tombés dedans
Dès le début du phénomène, Katharine Gates est sur le terrain. Explorant les «premières sous-cultures érotiques» qui émergent à la faveur de cette expansion en réseau (le web), elle devient la plus grande spécialiste et la pionnière d’un mouvement tentaculaire, exponentiel, qui aboutit à la publication, en 2000, d’une véritable Bible des perversions 1.0. Son livre-culte, Deviant Desires Incredibly strange sex, est publié par la très célèbre co-fondatrice de RE/Search, Andra Juno – auteur de Modern Primitives qui inaugure le boom des modifications culturelles. Lorsque Deviant Desires sort en librairie, il produit le même effet : pour ceux et celles qui le découvrent, c’est une bombe mentale. Au fil de pages richement illustrées, Katharine Gates détaille les formes de sexualité les plus souterraines, auxquelles elle donne un sens. Elle ne juge pas mais donne la parole aux hommes et femmes qui lui racontent leurs fantasmes et leurs pratiques, mis en perspective dans leur parcours de vie. De façon troublante, tous les récits suivent la même structure. Tous se ressemblent. Mieux, ils ressemblent EXACTEMENT à ce que nous pourrions raconter de notre propre sexualité : ils l’ont découverte au détour d’images et de sensations parfois mitigées. Il y a des souvenirs traumatisants, d’autres chavirants. Il y a le sensation confuse de se sentir bien quand on fait telle ou telle chose, tout en sachant que se trouve-là un grand secret. L’interdit pèse, qui rend la chose d’autant plus désirable. Puis, le temps que nous ayons les mots pour désigner cette chose, il est déjà trop tard. Nous sommes «tombés» dedans, comme Obélix dans la marmite à potion magique.
L’homme-dindon qui rêvait d’être cuit et mangé
Ce que Deviant Desires met en scène –au-delà des innombrables curiosités que sont les fantasmes «bizarres» de nos contemporains– c’est donc avant tout l’étonnante similitude entre ceux qu’il est convenu d’appeler les hérétos-straights (si tant est qu’ils existent), les homos et les paraphiles : quelle que soit leur sexualité, elle est «venue» dans l’enfance, de façon parfois si «spontanée» qu’on ne comprend pas très bien pourquoi on a écopé de tel goût et pas d’un autre qui aurait été plus conforme à la norme, donc plus facile à assumer. «En 1994, une dominatrice de New York m’a parlé d’un client appelé “L’homme-dindon”, un homme d’affaire qui lui donnait régulièrement rendez-vous à l’hôtel, quand il était de passage, afin de réaliser son fantasme. IL possédait une grande boîte en carton avec un couvercle et une poignée pour la faire ressembler plus ou moins à un four. Quand la dominatrice arrivait, il se mettait nu, s’installait dans la boîte dans une position rappelant celle d’une dinde fourrée. La dominatrice, alors, fermait le “couvercle du four” et disait : “Je mets le four en marche sur 325°. Tu vas avoir vraiment, vraiment chaud. Tu vas peut-être suffoquer. Ta peau va devenir craquante et brun-dorée. Dans 15 minutes, je reviendrai pour te faire revenir dans ta sauce. Au bout de quelques heures, je te découperai avec mon couteau. Je vais te manger”. […] L’homme se mettait à trembler des pieds à la tête, dans une transe extatique. Si les boutons psychiques étaient poussés, et dans le bon ordre, l’homme-dindon éjaculait sans aucune stimulation manuelle.» A cette époque, Katharine Gates se demande s’il existe d’autres hommes-dindons sur terre.
Les jeux de cannibalisme
Dans la nouvelle édition de Deviant Desires, elle répond : «oui. En 2005, j’ai trouvé d’autres personnes qui rêvent avec ferveur de devenir le repas de quelqu’un, du moins en imagination. Lisez le chapitre 10.» Sa nouvelle version de Deviant Desires est donc augmentée. Mieux : elle a été remise à jour, ce qui nous permet de savoir ce que sont devenus les héros de la première édition : queen Adrena (qui marche sur le visage de ses fans), Jeff «le cafard», Paul Reed (créateur d’Equus Eroticus) et tant d’autres. Sont-ils encore en vie, sont-ils mariés, divorcés, sont-ils heureux ou heureuses ? A ces personnages désormais célèbres, Katharine a rajouté une galerie de portraits inédits, parmi lesquels on retrouve Romain Slocombe (père fondateur du sexe médical) ou Pablo Green (créateur du site hilarant How to kill a superhero). Les arcanes de l’érotisme, dans cet ouvrage de 256 pages s’agrémentent de fantasmes inédits. Les adult babies (deux ans d’âge libidinal), les fétichistes de l’éternuement, les voraphiles… Bien que Katharine, très modestement, affirme que désormais plus personne n’a besoin d’elle pour surfer à la recherche des jeux les plus singuliers, son ouvrage apporte des éclairages toujours novateurs sur certains pans de notre psyché. Les jeux de cannibalisme, notamment, constituent un des morceaux de choix de son livre.
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A LIRE : Deviant Desires. A Tour of the Erotic Edge, de Katharine Gates, éditions PowerHouseBooks, décembre 2017.
380 illustrations (dessins, peintures, collages etc), dont 200 photos en couleur.