Quand il était petit, Rainer Werner Fassbinder passait souvent son temps dans les salles obscures. C’est là que l’envoyait sa mère, qui l’élevait seule, quand elle avait envie d’avoir du temps libre. Mais c’est le théâtre dans lequel il se jettera d’abord corps et âme, après avoir échoué au concours d’entrée de l’Académie allemande du film et de la télévision de Berlin.
À la fin des années 1960, il fait ses débuts à Munich au sein d’une jeune troupe de théâtre expérimental, avant de fonder la sienne: l’Anti Theater, un pied de nez au théâtre bourgeois subventionné par l’État. Il confie ses premiers rôles à l’actrice allemande Hanna Schygulla, qui deviendra sa muse. Grand admirateur de Godard, il s’essaye en parallèle au cinéma. La mise en scène le passionne, tout comme le jeu et l’écriture. Faute de pouvoir renoncer à quoi que ce soit, Rainer Werner Fassbinder mènera tout de front durant tout sa carrière, passant de la scène à la caméra, du stylo à la régie, sans s’embarrasser des codes du genre, ce qui donnait parfois des airs de pièces de théâtre à ses films et vice-versa.
Ses films sont empreints d’un pessimisme puissant, d’une noirceur cruelle. Rainer Werner Fassbinder s’attache à croquer ses contemporains sans complaisance aucune, dépeignant leurs travers, révélant le minable qui est en nous. Né en 1945 en Bavière, Rainer Werner Fassbinder fait partie de cette génération de babyboomers allemands à qui les fantômes de l’Allemagne nazie n’ont jamais laissé de répit. Cette nouvelle société allemande en pleine reconstruction, Fassbinder n’a cessée de la raconter dans ses films, avec un souci du détail qui lui a valu le surnom de «Balzac du cinéma».
Sans complaisance
Ouvertement homosexuel, Fassbinder ne s’est pas fait que des amis dans la communauté gay et lesbienne à son époque, rappelle Nicole Colin, spécialiste allemande du cinéaste (1): «Il a été très critiqué en tant que réalisateur, parce qu’il ne présentait pas les homosexuels comme des gens idéaux mais avec des attributs négatifs. Il ne s’est pas fait l’avocat des homosexuels.» Motif récurrent de ses films, l’amour tragique, comme un miroir tendu à sa vie amoureuse contrariée: «Il n’a connu que des histoires d’amour tragiques, comme avec ses acteurs Günther Kaufmann, El Hedi ben Salem et Armin Meier», explique Nicole Colin.
«Briseur de tabous et bonheur bourgeois: il voulait s’épanouir dans ces deux extrêmes à la fois.»
Esprit libre et courageux, le cinéaste s’est pourtant tout de même marié à l’une de ses actrices, Ingrid Caven, et a vécu durant les dernières années de sa vie en couple avec la monteuse de ses films, Juliane Lorenz. Même dans sa vie personnelle, il ne voulait pas choisir, renoncer à rien, comme l’expliquait en 2013 Hanna Schygulla dans une interview à l’hebdo bavarois «SZ Magazin»:«Être un briseur de tabous et à la fois vivre ce qu’on appelle le bonheur bourgeois, il voulait s’épanouir dans ces deux extrêmes à la fois.»
Bouillonnant d’énergie, véritable bourreau de travail et dictateur des plateaux de cinéma, Fassbinder s’est tué à la tâche, mort d’épuisement et d’excès de cocaïne à seulement 37 ans, laissant derrière lui une quarantaine de films tournés en une douzaine d’années à peine. «Ce qui me plaît le plus dans ses films, c’est l’anarchique, cette progression graduelle entre expérimental, politique, kitsch et mélodramatique. Cette ardeur au travail, cette absence de compromis», souligne Elsner Maxwell, producteur des Teddy Awards, qui a choisi de rendre cet hommage au cinéaste durant la Berlinale. Lors de la cérémonie de remise des prix, demain vendredi, Ingrid Caven interprétera quelques chansons qu’il avait écrites pour elle.
(1) Co-auteure avec Franziska Schlösser et Nike Thurn du livre «Prekäre obsession: Minoritäten im Werk von Rainer Werner Fassbinder» (2012).
» Plus d’infos sur les films en lice sur le site teddyawards.tv