L’Allemagne est en deuil. Le social-démocrate Helmut Schmidt (SPD) était l’ «Altkanzler» (le «vieux chancelier» comme on surnomme affectueusement ici les anciens dirigeants du pays) préféré des Allemands. Celui qui fut à la tête de l’Allemagne de l’Ouest de 1974 à 1982, élu à trois reprises au poste de chancelier et finalement évincé par les libéraux du FDP de son gouvernement de coalition au mitan de son troisième mandat, qui lui préférèrent le chrétien-démocrate Helmut Kohl (CDU), était apprécié pour ses qualités d’orateur et son franc-parler, qui lui avait valu le surnom de «Schmidt Schnauze», «Schmidt la grande gueule». Et pour son amour inconditionnel des blondes mentholées – il avait acheté 200 cartouches de ses Reyno White adorées à l’été 2013, lorsqu’il était question d’interdire la vente de cigarettes au menthol dans l’espace européen – qui le poussait, même des années après l’adoption de l’interdiction de fumer dans les lieux publics, à se déplacer avec un nuage de fumée à chacune de ses sorties publiques.
Le fameux paragraphe 175
Mais Helmut Schmidt était peu apprécié par la communauté LGBT allemande, pour qui il reste «le chancelier qui ne voulait pas être le chancelier des homos». La presse allemande lui attribue en effet depuis des décennies l’expression «chancelier des Allemands, pas chancelier des homos», qu’il aurait prononcé en 1972 en marge du débat au Bundestag sur la dépénalisation de l’homosexualité: le fameux paragraphe 175 du code pénal allemand, qui condamnait à des peines de prison les «relations homosexuelles entre adulte et mineur de moins de 21 ans, la prostitution masculine et les relations qui résultent d’une dépendance fondée sur une relation d’autorité, de travail ou de subordination», et qui ne fut abrogé qu’en 1994 (lire notre article de l’an dernier). Débat qui avait été lancé par la sortie, en 1971, du film mythique «Nicht der Homosexuelle ist pervers, sondern die Situation, in der er lebt» («Ce n’est pas l’homosexuel qui est pervers, mais la situation dans laquelle il est») du réalisateur berlinois Rosa von Praunheim.
À l’arrivée d’Helmut Schmidt au pouvoir, les libéraux avec qui le SPD avait formé un gouvernement de coalition souhaitaient abroger le paragraphe 175. Comme le rapportait l’hebdomadaire «Der Spiegel» en 1980, le chancelier aurait considéré cette revendication comme une «curiosité» et même menacé le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gerhart Baum, de briser la coalition s’il continuait à réclamer la fin des poursuites des judiciaires à l’encontre des hommes homosexuels (les lesbiennes n’étaient pas concernées par cette loi).
Démentis
Toute au long de sa vie, Helmut Schmidt a tenté d’essuyer les accusations d’homophobie le concernant. Sa dernière prise de parole à ce sujet date d’il y a cinq ans. Après que le quotidien «Die Welt» a publié un article consacré aux politiciens allemands homosexuels – dont le plus célèbre à ce jour est l’ancien ministre des Affaires étrangères Guido Westerwelle (FDP) – dans lequel était citée la phrase attribuée à Helmut Schmidt, celui-ci avait publié un droit de réponse, affirmant que «cette phrase est fausse. Ce qui est vrai, c’est que je ne me suis jamais occupé de cette chose et c’est pourquoi je ne me suis jamais prononcé contre sa suppression. […] Ce bout de phrase que l’on me met dans la bouche selon lequel je ne serais pas «le chancelier des homos» a été inventé.»
Interviewé quelques jours plus tard par le «Welt am Sonntag», Helmut Schmidt avait également nié avoir tenté de menacer ses partenaires de coalition à l’époque. Si le journaliste reconnaissait n’avoir trouvé nulle-part la preuve écrite qu’Helmut Schmidt avait bel et bien prononcé cette phrase, il avait tout de même rencontré d’anciens ministres du gouvernement formé par Helmut Schmidt en 1972, à l’instar de Gerhart Baum et Hans-Jochen Vogel, qui lui avaient confirmé que l’abrogation du paragraphe 175 faisait bien partie des sujets abordés lors des négociations de coalition et qu’Helmut Schmidt ne pouvait donc ignorer le contenu de ces débats.