Parler de son homosexualité en Palestine n’est pas sans danger. Jad* a accepté mais à certaines conditions: changer son prénom et nous rencontrer dans un endroit où il pourra parler sans être entendu ni compris. Le rendez-vous est pris au beau milieu de la journée dans un café de Ramallah. Installé à la table la plus isolée, Jad se lance: «Mes parents ne sont ni trop ouverts, ni trop fermés.»
Son enfance, il la qualifie de normale même si elle n’a pas été facile. Tout petit, Jad préférait les jouets des filles à ceux des garçons, ce qui déjà ne faisait pas plaisir à ses parents. «Chaque fois, ils me disaient, «tu es une fille!» Je sais qu’ils voulaient me faire réagir pour que j’arrête de m’amuser avec, mais au final leurs réflexions m’ont beaucoup blessé», confie-t-il. A l’école non plus la vie n’était pas rose. Ce jeune homme barbu avec un léger crayon noir sous les yeux n’avait pas beaucoup d’amis à Ramallah. «Je sentais que j’étais différent mais je ne savais pas pourquoi. Alors je n’arrivais pas à me défendre quand on m’embêtait», raconte-t-il.
Jad s’est petit à petit renfermé et ses parents de leur côté, en ont rajouté. «Ils me disaient, j’ai vu le voisin. Il m’a demandé pourquoi tu étais comme ça?, se souvient-il. En clair, pourquoi je n’étais pas viril comme les autres garçons? Mes parents ne me défendaient même pas car pour eux, j’avais un problème sans me dire explicitement lequel.»
Toujours sensible
Jusqu’à l’âge de 17 ans, il n’avait jamais entendu le mot «homosexuel». «La première fois, c’était dans une émission libanaise.» Le sujet est tabou en Palestine. La raison? «Le poids des traditions, de la religion», répond-il. Mais, paradoxalement, c’est dans sa foi que ce jeune musulman a trouvé une validation. Ainsi, selon lui: «Dieu m’a créé et savait d’avance qui j’allais être. Alors s’il en avait connaissance, il ne peut pas me rejeter, il m’a accepté comme je suis depuis le début.» Le territoire est à majorité musulman. Certaines villes sont conservatrices comme Hébron ou encore Naplouse. Être gay y est très dangereux. Alors beaucoup préfèrent sortir, voire habiter à Ramallah, la capitale économique de la Cisjordanie où l’homosexualité est plus tolérée si bien entendu, elle se passe loin des regards.
«Dieu m’a créé et savait d’avance qui j’allais être.» Jad
Jusqu’à aujourd’hui, aucun Palestinien n’a jamais été poursuivi pour son orientation sexuelle même s’il n’y a pas de loi claire l’interdisant. Une, existe pour punir tout acte censé heurter la morale. En clair, la religion. Jad ne peut donc pas revendiquer sa sexualité. Il ne peut pas la vivre à 100 % comme il le souhaiterait. Difficile pour ce jeune homme qui se sent solidaire de son peuple dans la lutte commune pour la reconnaissance d’un Etat. Mais l’image des homosexuels change. A force de regarder la télévision, de naviguer sur Internet ou encore de voyager à l’étranger, certains jeunes commencent à accepter l’idée. «J’ai décidé de le révéler à certains de mes amis, explique Jad, mais pour être sûr de leur réaction, j’ai discuté du sujet avec eux. Vous savez dans la société palestinienne, l’homosexualité est très mal vue. On nous voit comme des gens qui n’ont rien à faire dans la vie ou qui ne pensent qu’au sexe…»
Deux Facettes
Faire des rencontres à Ramallah n’est pas simple. «Il y a seulement deux façons d’en faire», lâche Jad. «Avec le logiciel Grindr qui n’est dédié qu’aux homos. On se connecte et on nous indique quels sont les plus proches de nous.» Et l’autre? «L’association Al Qaws («arc-en-ciel») qui a un compte sur Facebook. Elle organise de temps en temps des réunions privées à Ramallah où l’on peut parler de tout: de nos difficultés, de nos peines, etc. Mais avant de l’intégrer, la présidente nous fait passer une sorte d’entretien pour être sûre qu’on est bien homo.»
Dans le groupe, on trouve même des Palestiniens mariés. Sous la pression de leur famille, certains cèdent et épousent une femme. D’autres l’acceptent pour éviter tout soupçon. «Moi, je ne le ferai jamais!» assure le jeune homme. Son avenir, Jad ne le voit pas ici. Toutefois, depuis que son père est décédé il y a deux ans, il est l’aîné de la maison et doit donc rester avec les siens. Mais il prévient: «Le jour où mon frère qui vit aux Etats-Unis revient, moi, je pars à l’étranger, dans le pays où il y a le plus d’homosexuels.»
*Prénom d’emprunt