L’homosexualité est parfois désignée comme un «mode de vie», ou un «style de vie»… par opposition à l’hétérosexualité qui, elle, serait «une vie tout court, avec un vrai mariage, un vrai foyer, de vrais enfants, un vrai travail, de vrais soucis».
Dans la préface d’un livre publié en 1999 – Comprendre l’homosexualité –, la sociologue Marina Castaneda souligne la nature insidieuse de ces petites expressions, en apparence anodine, qui ramènent la sexualité à l’idée du choix. Le mode de vie (par exemple hippie ou végétarien), est un choix. Le style de vie ou de vêtements est un choix. La sexualité, en revanche… S’il s’agissait d’un choix, on pourrait facilement la changer.
Peut-on «guérir» quelqu’un de sa sexualité ?
Le 15 décembre 1998 (soit 23 ans après avoir retiré l’homosexualité de la liste des troubles mentaux), l’Association Psychiatrique Américaine (APA) condamne formellement toute thérapie visant à «guérir» l’homosexualité : «la thérapie réparatrice peut faire du mal aux patients en provoquant de la dépression, de l’anxiété et des conduites autodestructrices». Officiellement, les psychiatres ne sont pas censés «convertir» des patients aux joies de la normalité. Dans les faits, certains professionnels exploitent le filon juteux de l’angoisse parentale. De nombreux parents confient en effet leurs enfants à des «thérapeutes» ou à des associations censées aider le «malade».
Récit d’un «échec» thérapeutique
Sous le titre «Ma thérapie «ex-gay», ou comment je ne suis pas devenu hétéro», publié en 2012 sur le site Rue 89, Gabriel Arana témoigne : «C’est arrivé au début de ma première année de lycée [il a 14 ans]. Alors que je rentrais à la maison, j’ai trouvé ma mère en train de pleurer, assise sur son lit. Elle avait fouillé dans mes e-mails et était tombée sur un message dans lequel je confessais avoir un faible pour un de mes camarades de classe. «Est-ce que tu es homo?», m’a-t-elle demandé. Je lui avouais que oui. […] Dès le lendemain, elle me tendait une pile de documents imprimés, trouvés sur le Web, à propos de la «réorientation» sexuelle et des remèdes pour soigner l’homosexualité».
Maman, empêche-moi d’aimer les garçons ?
Instinctivement, Gabriel les jette par terre. «Je lui ai dit que je ne voyais pas comment parler de moi à un thérapeute allait m’empêcher d’aimer les garçons. Ma mère m’a alors demandé si je souhaitais fonder une famille un jour, et puis m’a posé cette question : «S’il existait une pilule qui pourrait te rendre hétéro, est-ce que tu la prendrais ?» J’ai admis que les choses seraient plus simples si une telle pilule existait. Jusque-là, je n’avais jamais réfléchi aux implications que mon attrait pour les garçons allait avoir sur le reste de ma vie. En fait, je m’étais toujours imaginé, arrivé à l’âge de 40 ans, marié à une femme, avec un fils et une fille – mais c’est le cas pour tout le monde, non ?»
L’idée pernicieuse du «choix» : rendre les homos responsables de leur malheur
«Les homosexuels ont un mode de vie [sic] très solitaire», m’a-t-elle dit. Et puis elle m’a parlé du docteur Joseph Nicolosi, un psychologue clinicien en Californie, alors président de la National Association for Research and Therapy of Homosexuality (Narth, «société nationale pour l’étude et la thérapie de l’homosexualité»)» (1). L’épopée de Gabriel commence. Nicolosi lui donne l’espoir de changer : «Peut-être que je pouvais décider, et non plus subir ?». La thérapie (qui commence en juillet 1998) a lieu par téléphone, une fois par semaine. Nicolosi, affable, souriant, plein d’empathie, lui explique que l’homosexualité c’est le faux moi. Le faux moi ne se sent pas masculin, il génère de la souffrance.
La compassion au secours des «malheureux»
Pour la plupart des médecins qui prônent la réorientation sexuelle, l’homosexualité est un trouble du développement. Il s’agit d’aider les gays et les lesbiennes – personnes «en souffrance» – à devenir «eux-mêmes». «Je t’aime assez pour t’empêcher de te faire du mal», dit sa mère à Gabriel, menaçant de lui couper les vivres s’il se met à vivre «comme un homo». Elle ne veut que son bonheur. Dix ans après sa dernière session avec Nicolosi, Gabriel se marie avec un homme. Il fait partie de ceux qui se sortent plutôt bien des thérapies dites «ex-gay». L’APA, qui publie en 2009 une grosse étude sur ces thérapies, affirme que non seulement elles ne marchent pas mais qu’elle augmente le mal-être des «patients», allant jusqu’à provoquer des suicides.
Vous n’êtes pas des amoureuses, justes des «copines»
«Ça donne un faux espoir, ce qui peut être dévastateur, explique Glassgold (responsable du groupe d’étude à l’APA). Ça nuit à l’estime de soi en imposant une vision psychopathologique de l’homosexualité». L’APA déconseille formellement ce type de pratiques. Mais le bât blesse toujours au niveau des psychothérapies en général, ainsi que le révèle Marina Castaneda dans son livre. Elle cite une lesbienne : «J’étais en psychothérapie depuis presque deux ans. J’aimais bien ma thérapeute, elle était très ouverte […]. Mais un jour elle m’a dit, à propos de mon amie : «Bon, ce que je comprends, c’est que vous êtes de bonnes copines qui ont parfois des relations sexuelles.» J’ai été sidérée, je me suis rendu compte tout à coup qu’elle n’avait rien compris pendant les deux années précédentes.»
Disqualification de l’amour chez les homos
Marina Castaneda commente : «Nous pouvons observer ici un phénomène assez courant, qui est la disqualification de l’amour chez les homosexuels : ce qu’ils vivent, ce n’est pas de l’amour mais une combinaison plus ou moins superficielle, plus ou moins satisfaisante, de sexe et d’amitié. Alors, quand l’homosexuel dit qu’il est amoureux, le thérapeute entend dépendance ou exagération névrotique. Nous pourrions peut-être parler d’une prétention au monopole de l’amour de la part des hétérosexuels, où le seul attachement authentique est celui qui existe entre un homme et une femme : pour eux, ce que peuvent sentir deux personnes du même sexe n’est qu’un pâle reflet de l’amour véritable.»
Le désir de convertir l’autre
Beaucoup de psys hétéros (qui n’ont parfois entendu parler de l’homosexualité que dans le cadre de cours sur la perversion), estiment de leur devoir – plus ou moins consciemment – de changer l’orientation sexuelle de leur patient. «Cela n’est pas nécessairement verbalisé ni explicité […]. Comme le décrit la lesbienne citée plus haut : «Ma psychologue ne pensait pas que je sois réellement homosexuelle. Un jour, après deux ans de thérapie, elle m’a dit que, si seulement j’avais reçu un traitement approprié pendant mon adolescence, je ne serais pas lesbienne. Je me suis sentie très mal, totalement incomprise, et j’ai décidé à partir de ce jour de ne plus lui parler ni de ma relation de couple. Nous avons travaillé d’autres choses, de façon très productive, mais je n’ai plus jamais parlé avec elle de ces sujets-là.»
L’homosexualité est-elle «une préférence»?
Cette lesbienne entame ensuite une cure avec une psychanalyste hétéro : «Elle était très libérale, elle n’avait aucun problème avec l’homosexualité. Mais elle pensait que c’était une préférence, que l’on pouvait choisir son orientation. J’essayais de lui expliquer que je ne la vivais pas du tout comme une élection, mais comme une partie de moi-même. Nous avons passé des heures entières à en débattre, et nous sommes enfin arrivées à un accord : j’étais lesbienne par nature, mais je pouvais choisir ma façon de le vivre. Il était aussi très important pour elle de chercher les causes de mon homosexualité – chose qui ne m’intéresse pas particulièrement. Le principal pour moi, c’était de vivre mieux, et elle a finalement été d’accord pour laisser tomber cette question des causes»
Orange Mécanique
Marina Castaneda conclut : «Nous voyons que ces préjugés théoriques, ajoutés à une certaine ignorance bien intentionnée, peuvent avoir de grandes conséquences pour l’homosexuel qui est en traitement avec un hétérosexuel.» Ses amours ne sont pas légitimes. Sa sexualité est un symptôme maladif. Ses sentiments sont inappropriés. A-t-il seulement le droit de vivre ? «Jusqu’à il y a une quarantaine d’années, la psychiatrie a violé les droits civiques des homosexuels, en leur infligeant (avec ou sans leur consentement) divers traitements pour les «guérir», rappelle Marina Castaneda. La méthode la plus aberrante, utilisée pendant les années 1950 et 1960, était fondée sur le conditionnement aversif : on montrait à l’homosexuel des images d’hommes nus, en lui appliquant un choc électrique chaque fois qu’apparaissait une image susceptible d’éveiller son désir».
Comment soigner les pervers ?
Aux Etats-Unis, dans les années 40 et 50, les homosexuel(le)s sont soumis aux pires sévices : castration, hystérectomie, lobotomie, drogues… «Les «traitements» de ce genre ont bien entendu échoué et ne sont plus pratiqués de nos jours. Toutes les recherches récentes montrent qu’il est presque impossible de changer l’orientation sexuelle, même quand une personne le demande. En plus, les tentatives de ce genre peuvent avoir des conséquences graves : l’homosexuel qui cherche à «être guéri» et n’y arrive pas finit par se sentir encore plus malade et coupable qu’auparavant.» On n’échappe pas à son fatum. On est tombé dedans quand on était petit. Devenu grand, on ne peut choisir que d’assumer ou pas.
A LIRE : Comprendre l’homosexualité, de Marina Castaneda, Robert Laffont, 2013 [1999].
«Ma thérapie «ex-gay», ou comment je ne suis pas devenu hétéro», de Gabriel Arana, sur Rue 89, traduit de l’anglais par Yann Guégan Initialement publié sur The American Prospect
NOTE 1 «Les deux groupes les plus importants du mouvement «ex-gay» étaient Exodus International, une organisation chrétienne, et Narth, son équivalent laïc. Si Exodus était l’âme de cette coalition, Narth en était le cerveau. Les deux organisations comptaient beaucoup de membres en commun, et Exodus répétait les théories sur l’attraction entre personnes du même sexe promues par Narth. Avec Charles Socarides, un psychiatre qui s’était opposé au retrait de l’homosexualité de la liste des maladies mentales, Nicolosi a créé Narth en 1992, conçue comme «une organisation scientifique qui redonne espoir à ceux qui subissent une homosexualité non-souhaitée»» (Source : «Ma thérapie «ex-gay», ou comment je ne suis pas devenu hétéro», de Gabriel Arana).