« la femme = Joker » – flickr/msabbath
Dominique Strauss-Kahn… Rien qu’en écrivant ce nom en trois parties, je sens déjà peser un poids sur ce papier. Depuis la nuit du Sofitel, la ou plutôt les affaires DSK ont mis au jour une belle panoplie de sujets que la société française avait préféré ne pas voir jusque là.
Il y a la connivence des journalistes « qui savaient mais qui n’avaient rien dit » sur le rapport parfois violent qu’avait DSK avec les femmes. Il y a ce masculinisme vieille France, qui a fait dire à certains, alors qu’ils défendaient leur ami DSK, qu’enfin bon, le viol d’une femme ce n’était pas si grave quand même (« Il n’y a pas mort d’homme » de Jack Lang, un simple « troussage de domestique » de Jean-François Kahn). Il y a cette embarrassante affaire du Carlton de Lille, qui a mis en évidence le mélange des genres entre politiques et industriels, quand des pontes du BTP offraient à l’homme influent qu’était DSK des soirées luxueuses… et des prestations sexuelles.
Une longue liste de méfaits
Dans les différents éléments de l’affaire du Carlton qui ont été rendus publics, on pouvait imaginer que les protagonistes seraient renvoyés devant les tribunaux pour des motifs divers : agressions sexuelles (quand certaines prostituées, dont les services ont été offerts à DSK, ont affirmé que ce dernier avait pu se montrer violent avec elles), trafic d’influence (quelles étaient les contreparties attendues de ces cadeaux faits à DSK?), et, au regard des lois françaises actuelles, proxénétisme (pour ceux qui ont embauché les prostituées).
Mais le résultat de cette action en justice est tout autre : tout ce beau monde est renvoyé en correctionnelle pour proxénétisme aggravé en réunion, DSK y compris. Pour rappel, le proxénétisme est condamné par la loi française en ces termes : « tirer profit de la prostitution d’autrui, en partager les produits ou recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ».
Les juges de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai ont fait de ce texte une interprétation toute particulière. Considérant que DSK a reçu des services sexuels de la part de prostituées, il est receleur d’un des produits de la prostitution (en l’espèce, la prestation elle-même).
Une interprétation tordue de la loi
La juge Stéphanie Ausbart l’a justifié ainsi : « Le mot de proxénétisme désigne, dans le sens commun qu’on lui prête, le fait de tirer un profit financier de la prostitution d’autrui. Or en droit pénal, l’infraction de proxénétisme excède largement cette acception commune (…) Il est loisible à tout un chacun d’estimer que la loi est mal faite, en ce qu’elle n’est plus adaptée aux mœurs contemporaines. Néanmoins, elle constitue l’état actuel du droit, et la justice est tenue de l’appliquer. »
Les juges se sentent donc tenus d’appliquer une interprétation particulièrement tordue de la loi française. Car enfin, si toute personne qui reçoit une prestation sexuelle d’un ou une prostitué(e) doit être considérée en droit français comme un proxénète, cela reviendrait à dire que la loi promise par le gouvernement et qui compte pénaliser les clients de la prostitution existe déjà. Ou alors que la cour d’appel de Douai a considéré que le droit français la tenait déjà de l’appliquer. Je n’ai aucune affection pour DSK, mais je trouve que dans cette histoire, l’action des magistrats est incompréhensible.
Selon l’avocat de David Roquet, ancien directeur d’une filiale du groupe BTP Eiffage et impliqué dans cette affaire, «C’est le premier dossier dans lequel on a criminalisé le client d’une certaine façon et c’est une grande étape, ce n’est pas neutre. Que maintenant tous les hommes qui vont aux putes se méfient car ils sont susceptibles d’être renvoyés devant le tribunal correctionnel de Lille».
Le proxénétisme pour rentabiliser l’instruction judiciaire?
Car enfin, dans ce repaire de margoulins qu’étaient les soirées de DSK, les juges n’ont trouvé que ça pour renvoyer tout le monde devant un tribunal? Faute d’avoir trouvé les preuves d’autres délits ou crimes soupçonnés, la loi sur le proxénétisme apparaît comme un pis-aller bien pratique. Et rend encore plus incompréhensible la position de la France sur la prostitution, activité qu’on peut exercer mais loin d’un lieu public (malgré une abrogation au Sénat, le délit de racolage passif existe toujours car le vote n’a pas été confirmé par l’Assemblée), sans le concours de quiconque (louer une chambre d’hôtel à une prostituée, c’est être proxénète), et en menaçant les clients de poursuites aujourd’hui ubuesques, avant qu’elles ne deviennent peut-être plus explicites à la rentrée.