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«Il s’agenouille et caresse le ventre ondulé de muscles, l’aine, laisse glisser sa main sur le tanga de dentelle, hume l’odeur de cette intimité, frotte religieusement son visage contre le bas-ventre de la fille. De deux doigts, il fait glisser le sous-vêtement le long de ses jambes. Il bande vraiment dur. Elle aussi.» Elle, c’est Eve, une prostituée transgenre. Lui, c’est l’ancien inspecteur de police Paul Bréguet, (anti-)héros de Sébastien Meier dans «Le Nom du père». L’auteur lausannois a choisi de déjouer les codes du polar en matière de sexualité, ouvrant audacieusement une voie très peu explorée jusqu’ici dans un genre pourtant ultra populaire. «Paul ne pouvait pas être l’archétype du flic de roman, bourru et misogyne. Il y avait là quelque chose à faire; présenter un personnage qui ne soit pas exactement ce qu’on attend de lui (et qui n’est pas lui-même ce qu’il attend de lui).»
Pluriel est le désir de l’inspecteur, et Meier évite soigneusement l’étiquette d’une orientation: «Il est sexué, point.» Le personnage du policier subit depuis longtemps la caricature d’un genre littéraire qui vise pourtant à l’émanciper: un mâle toujours hétéro, si possible divorcé avec un enfant, dans des relations sans issue avec les femmes, torturé comme il faut, une brute en lutte contre le monde. Autrement dit, si le polar établit généralement un héros masculin comme pierre angulaire, il est rare qu’il propose une image de sa sexualité réaliste et représentative de la diversité des possibles.
Cliché inverse
Et le problème dépasse la seule question de l’expression de la sexualité des héros, investissant volontiers le champ de la relation amoureuse. Quand le flic n’est pas socialement inapte à vivre avec une femme, le lecteur peut retrouver le cliché inverse encore hétéro-normé très joliment illustré par exemple par la love story au goût vanille d’Erika Falk et Patrick Hedström chez Camilla Läckberg. Là, Sébastien Meier surprend à nouveau. Dans «Les Ombres du métis», Paul Bréguet tombe amoureux d’un jeune homme de 30 ans son cadet, Romain Baptiste, avec lequel il vivra une relation passionnelle. «Il dira ‘ce n’est pas de l’homosexualité’ car pour lui il y a inadéquation entre ce qu’il vit et ce qu’il pense que ce mot définit. C’est un homme de préjugés qui, un jour, s’est retrouvé dans une impasse: ses préjugés ont fini par s’appliquer à lui-même.»
«Le polar devient un genre aussi pluriel et complexe que la réalité.» Sébastien Meier
Le préjugé n’est sans doute pas la cause du manque de créativité identitaire parmi les enquêteurs. Une plus grande diversité s’exprime en effet chez les personnages secondaires ou parallèles, les victimes, ou encore les tortionnaires. Pourquoi alors cette passivité créative? «Par commodité? Par habitude? Pour représenter un genre dominant? D’ailleurs rares sont également les femmes héroïnes de polar», dira Meier. «Le polar dégage un peu cette atmosphère de clope froide, d’alcool, de bas-fond, de virilité à deux balles et de prostituées. Heureusement, cela est en train de changer et le polar devient un genre aussi pluriel et complexe que la réalité qu’il est censé dépeindre.»
Identification
Cette réalité plurielle s’exprime en Suisse romande particulièrement à l’image de Meier, mais pas seulement. Un autre auteur romand, Marc Voltenauer, a quant à lui choisi l’homosexualité pour le personnage principal de son premier roman, «Le Dragon du Muveran». Pour lui, les héros de polars sont peut-être aussi hétéros aujourd’hui que leurs auteurs. «Etant gay, je voulais un inspecteur gay. C’est à la fois plus proche de ma réalité et aussi original dans le monde des polars.» L’inspecteur, c’est Andreas Auer, heureux en couple avec Mikaël Achard, journaliste. «Voilà six mois que Mikaël et lui avaient emménagé à Gryon. Un rêve devenu réalité.»
Le rêve peut sembler classique, maison et chien au grand air, mais pourtant bien représentatif d’un quotidien auquel beaucoup aspirent. Beaucoup qui aimeraient sans doute aussi être associés à ce rêve-là autant qu’ils s’y identifient. «Au moment où j’ai commencé à écrire,» poursuit Voltenauer, «je me suis demandé si le fait d’avoir un couple gay au centre de mon polar pourrait constituer un frein. Le succès semble prouver le contraire et cela me réjouit.» La preuve que la barrière idéologique hétéro est dépassée, vieillotte, et de loin.
Militantisme hors-propos
S’il ne s’agit pas de proscrire des schémas littéraires fonctionnels, il est aujourd’hui nécessaire d’en créer de nouveaux pour renouveler le genre. Sébastien Meier poursuit: «Je n’irai pas jusqu’à dire que j’espère changer les choses, ce serait naïvement espérer que mes livres ont un impact politique. Dans l’état actuel des choses, je peux simplement dire que je ne souhaite pas être une voix supplémentaire à chanter les louanges de l’hétéro-normativité, et que si je peux glisser dans mes livres des nuances qui représentent mieux la réalité dans laquelle nous vivons, c’est une énorme satisfaction. L’enjeu pour moi est d’éviter d’entrer dans une forme de militantisme qui serait hors-propos dans mon livre, tout en véhiculant une pensée plurielle et complexe, refusant les codes préfabriqués de la normativité.»
Refuser les raccourcis, explorer la singularité, retrouver l’essence même du genre en sortant l’homme de la case dans laquelle il est enfermé malgré lui sont sans doute les clés de l’avenir du polar. Et les Romands l’ont compris avant les autres. Car si les créateurs osent en réinventer les codes, c’est bien un sens réel qu’ils donneront à leur histoire.
Sébastien Meier, «Les ombres du métis», éd. Zoé, 2014, et «Le Nom du père», éd. Zoé, 2016. Marc Voltenauer, «Le Dragon du Muveran», éd. Plaisir de lire, 2015