Le bureau de François Kraus? – flickr/mark sebastian
Petit jeu : parmi les articles que vous avez lus cette semaine, combien commençaient par « selon une nouvelle étude de… » ? Quand ce ne sont pas des thésards du Missouri qui ont fumé la moquette en analysant les effets des M&M’s bleus sur la vigueur des érections, ou un énième sondage sur la présidentielle de dans 3 ans, il s’agit souvent d’une enquête payée par une marque et réalisée par un institut de sondages.
Enquêtes en rafales
Voilà un moyen marketing de faire parler de votre marque, sans acheter d’espaces publicitaires, mais en achetant une étude que la presse va s’empresser de relayer. Cette méthode permet aux acteurs commerçants du sexe de placer leur marque dans des organes de presse qui rechigneraient certainement à ce que leurs pages soient ornées de campagnes d’affichage pour du streaming porno ou des webcams cochonnes.
Dans le paysage des études diverses et variées sur la sexualité des français, j’ai remarqué qu’un institut de sondages revient très souvent : l’Ifop. Un petit résumé des études socio-cul publiées ces dernières années permet de se rendre compte que l’Ifop est particulièrement actif sur la question :
L’Ifop, ces sexperts
J’ai donc voulu en savoir plus : les Ifopiens sont-ils obsédés de la chose? François Kraus y est directeur d’enquêtes. On peut le qualifier de sexpert car sur toutes les études qui s’approchent du sexe, c’est lui qui s’y colle. Alors comment l’Ifop s’est-il retrouvé sur ce créneau ? « C’est l’Ifop qui a réalisé la première grande étude sur la sexualité des Français : le rapport Simon, publié en 1970. Il y a donc ces grandes études commandées par l’Ined tous les 15 ans, et nous on bouche les trous. » Façon de parler. « On s’inspire de l’étude de 2006 mais ce genre d’étude nécessite des budgets à 200 000 euros, nous on fait des choses à des coûts plus faibles. Cependant on les réalise avec beaucoup d’attention, on utilise les mêmes métriques que le ministère de la santé, des variables spécifiques, alors que nos concurrents ont tendance à faire ça un peu plus légèrement. Personnellement, j’aime le sujet et j’en ai maintenant une expertise, mais je m’inscris dans cette longue tradition de l’Ifop.»
Est-ce que les clients de l’Ifop s’y retrouvent en termes de retombés dans la presse ?
« Ca ne marche pas à tous les coups, mais ces marques profitent de la crédibilité de l’Ifop pour occuper un espace médiatique. Elles essayent d’apparaître comme un acteur qui a du recul. Quel que soit la renommée des clients qui nous sollicitent, on n’a pas le droit de faire un refus de vente. Mais on n’a pas de jugement moral, le transgressif ou pervers sont des considérations qui n’entrent pas en ligne de compte. »
Est-ce que ces nombreuses enquêtes auprès des français sur des sujets sexuels vous permettent de dresser un tableau général de l’évolution des mentalités ou des pratiques sexuelles en France?
« Ce qui est intéressant depuis le milieu des années 2000, c’est l’intégration des nouvelles technologies, qui se traduit par le succès des sites de rencontres. L’usage des webcams, des sextos, du porn essentiellement, font maintenant partie du quotidien, et des pratiques comme l’éjaculation faciale ou l’épilation intégrale se sont répandues en conséquence de la consommation de porno. »
« On ne diffuse pas youporn dans les bureaux »
En imaginant les réunions de travail à l’Ifop (« Dis, Jean-Paul, tu as ajouté la question sur l’anal dans le questionnaire ? »), on se demande si les enquêteurs de l’Ifop voient se modifier leur sexualité à force d’enquêter sur Gleeden et Dorcel? François Kraus élude : « On ne diffuse pas Youporn dans les bureaux… Et nos enquêteurs ne sont pas en contact direct avec les sondés, car nos enquêtes sont réalisées via des questionnaires auto-administrés. Il faut savoir que le mode de recueil des réponses a un impact direct sur les résultats. Sur l’adultère par exemple, ça peut aller du simple au double entre des enquêtes en face à face et sur internet, parce que face à une personne physique on va avoir du mal à déclarer une pratique qui est réprouvée par la société. A l’inverse, sur l’âge du premier rapport, on va obtenir un âge moins élevé en face à face : la pression à ne pas être puceaux, ressentie par les sondés, va les inciter à se vanter un peu plus en face à face. Dans nos enquêtes, on mesure surtout l’admissibilité d’une pratique. On ne sait jamais si c’est vraiment une évolution ou si la pratique était existante. C’est certainement un mélange des deux. »
D’autant que ces enquêtes peuvent justement avoir un impact sur ces diverses pratiques car elles les légitiment. « On sait juste qu’il y a un besoin existentiel des gens de se situer par rapport à une norme : sont-ils marginaux? Sont-ils dans la moyenne ou pas? En cela, oui, nos enquêtes ont une influence. »