Depuis le 29 avril et jusqu'au 31 octobre 2013, les Archives générales du Royaume de Belgique organisent à Bruxelles l'exposition « Enfants Non Admis » qui retrace l'histoire de la Commission belge de contrôle des films cinématographiques, de 1921 à 2005. Après avoir inventorié les archives de la Commission en 2012, les Archives de l'État ont choisi de proposer au public le fruit d'un travail colossal brossant l'histoire de l'évolution des mentalités belges face au cinéma au travers des dossiers jusqu'alors inaccessibles. Le catalogue de l'exposition nous aide à y voir un peu plus clair.
A l'aube de la Première Guerre mondiale, la Belgique comptait près de 650 salles de cinéma sans qu'aucune réglementation ne vienne clairement organiser le contenu des projections. En septembre 1920, la loi Vandervelde, du nom du ministre socialiste de la Justice de l'époque, impose pour la première fois des règles instituant le contrôle des films dans tout le Royaume. Bien qu'en théorie l'industrie cinématographique ne soit pas obligée de soumettre sa production à la Commission, en vertu du principe constitutionnel de liberté de la presse, l'importance commerciale du public familial est telle que les distributeurs se plient en réalité aux décisions de la Commission. La classification des films est donc fondée en Belgique sur une loi prévoyant une interdiction générale de l’accès des cinémas aux mineurs, sauf exception pour les films dont une Commission estime qu’ils peuvent être vus par les jeunes de moins de 16 ans.
Une circulaire du ministre de la Justice du 19 avril 1921 précise les critères de contrôle, en ciblant plus particulièrement la violence, l'érotisme et l'horreur, lui interdisant de s'occuper de philosophie, de politique et de religion. Dans les années 30, une scène montrant un simple baiser est généralement jugée « inappropriée » pour les enfants. D'après le ministre de la Justice de l'époque, Paul-Emile Janson, « tout baiser de plus de 5 secondes peut inciter au plaisir et doit donc être censuré ». De la même manière, la Commission veille à sauvegarder les enfants « de l'esprit des pervers criminels ». Ainsi, le film Charlot Boxeur de Charlie Chaplin (The Champion, 1915) est classé « Enfants Admis » malgré une motivation sans concession : « Film laid et stupide, de nature à dégoûter de la boxe. Ne tombe malheureusement pas sous l'application des causes de refus. »
Créée en novembre 1920 avec à sa tête un juge pour enfants, la Commission débute véritablement ses activités un an plus tard. Elle formule depuis cette date deux types d'avis : « Enfants Admis » (EA) jusqu'à l'âge de 15 ans et « Enfants Non Admis » (ENA) auxquels on pourrait ajouter « Enfants Admis moyennant certaines coupures ». La dernière coupure imposée date de 1992 et concerne une scène décrivant un accouchement sanglant dans le film Cinq Filles et une corde (1990) du taïwanais Hung-Wei Yeh.
Entre 1924 et la Seconde Guerre mondiale, la Commission visionne généralement près d'un millier de films chaque année. En 1937, Blanche Neige et les sept nains doit subir cinq coupures, et notamment, la scène de terreur où les racines se changent en mains, ou encore la fin de la transformation de la reine en sorcière. La Commission est également particulièrement sévère à l'endroit des films d'épouvante. En 1933, le film La Momie (1932) de Karl Freund est ainsi qualifié de : « film de science occulte qui par sa nature mystique et sa mise en scène macabre est trop terrifiant pour les enfants. »
De 1941 à 1944, l'activité de la Commission est considérablement ralentie par la guerre. Seuls 418 films lui sont soumis en 1945. Un an plus tard, après l'abolition officielle de la censure militaire et l'arrivée massive de productions hollywoodiennes, elle retrouve son rythme de travail d'avant-guerre.
En 1951, une nouvelle directive actualise et durcit fortement les critères de classification après que le sénateur Jespers ait tenté de faire adopter l'interdiction générale d'accès aux salles de cinéma aux mineurs de 16 ans, donc la suppression de la classification « Enfants Admis ». La directive De Busscher, du nom du président de la Commission, proscrit par exemple « le réalisme trop brutal, la mise en brèche de l'ordre social ou des autorités, une vision romantique de l'amour libre et de l'adultère ou encore la critique de la fidélité conjugale ». La dernière scène coupée pour cause de représentation de l'adultère date de 1972. Les œuvres de science fiction sont toujours peu appréciées par la Commission, tel le film La Marque (Quatermass 2, 1957) de Val Guest pour lequel ses membres écrivent : « Effroyable et hallucinant film d'anticipation tendant à ébranler le système nerveux des enfants et à développer en eux l'anxiété que craignent les psychiatres. » Geertrui Elaut, auteur du catalogue de l'exposition dont s'inspire largement l'écriture du présent article, observe avec humour : « Les films de science-fiction sont donc refusés principalement pour raisons médicales ! » A partir de 1958, la fréquentation des salles de projection belges chute et en 1975 moins de 200 films sont proposés à l'avis de la Commission.
Jusqu'en 1989, la Commission de contrôle des films dépend du ministère de la Justice. Considérant qu’une telle compétence relevait de la protection de la jeunesse, matière communautarisée, les Communautés ont conclu un accord de coopération portant création, composition et règlement de fonctionnement d'une Commission intercommunautaire de contrôle des films en décembre 1989. Quinze ans plus tard, dans un arrêt du 18 novembre 2004, le Conseil d’État annule cet accord estimant que le contrôle cinématographique relève de l’autorité fédérale et non des Communautés. Ce qu'il avait déjà rappelé dans un avis rendu en février 2004.
Les conséquences de la décision de la plus haute juridiction administrative du Royaume sont exposées par les avocats Paul Van Den Bulck et Étienne Wery dans un article daté du 12 janvier 2005 : A défaut d’autorité compétente, l’interdiction générale prévue par la loi s’applique, et tout jeune de moins de 16 ans est en principe interdit d’entrée dans une salle de cinéma en Belgique. Par ailleurs, toute décision de la Commission intercommunautaire de contrôle des films attribuant le visa « Enfants Admis » à un film peut désormais être attaquée devant le Conseil d’État avec l’assurance d’en obtenir l’annulation.
Suite à cet arrêt, un arrêté royal du 27 avril 2007 a institué une nouvelle Commission de contrôle des films, placée sous la compétence de l’État fédéral, laquelle applique aujourd'hui encore, la loi Vandervelde de 1920.
ENFANTS NON ADMIS
Du lundi 29 avril au jeudi 31 octobre 2013.
Archives générales du Royaume
Rue de Ruysbroeck 2 – 1000 Bruxelles
Entrée libre
Lundi : 9h-16h
Mardi-Vendredi : 9h-16h30
1er samedi du mois : 9h-12h30 et 13h-16h
Fermé les dimanches et jours fériés
Réservation visite guidée (65 € par groupe / par heure) : communicat@arch.be
Renseignements : www.arch.be - 02 513 76 80