> Parce que non, tous les adolescents ou jeunes adultes du 21e siècle n’ont pas la même notion du terme « s’amuser ».
Nous arrivâmes au lieu de la fête. Celle-ci avait lieu dans le sous-sol d’une maison à trois étages. Impressionnant. La pièce était gigantesque et l’ambiance telle que je l’avais imaginée. Il y avait une vingtaine de personnes, autant de garçon que de filles. Tous entouraient une longue table basse, sur laquelle on ne pouvait plus poser quoique ce soit. Elle était recouverte de bouteilles et de verres plus ou moins vides, laissant parfois deviner la présence de cendriers et de mégots de cigarettes. Élisa nous reçut très poliment, et à mon grand désespoir, Emmanuelle entama une bisée générale.
- Arrête de faire la meuf qui connaît des expressions.
- Je ne sais même pas si cette expression existe ! Se moqua Charlie.
- Je ne sais pas non plus, dis-je en me tournant en auto-dérision et en laissant échapper un rire.
Mince. J’avais parlé à voix haute. Un garçon me regardait bizarrement. Tant pis. C’était parti pour la tourné.Salut, moi c’est Jade ! Toi Christophe ? Enchantée Christophe ! Coucou, je m’appelle Jade ! Haha, salut Carla, ravie de faire ta connaissance ! De bise en bise, j’en arrivai à « Jade ». J’avais réussi à jouer les hypocrites malgré leurs odeurs fortement incommodantes. A une exception près. Un jeune homme qui n’avait pas lésiné sur le parfum. Il sentait le mâle ! Ce grand blond/châtain aux yeux bleus. Pas mon style du tout. Enfin.. Habituellement. Mais celui-là dégageait une telle classe dans sa veste en cuir… Quand il s’était levé, je m’étais sentie tellement bête, tellement rien. Romain. Je restai debout, l’air embarrassée.
- Fais pas ta timide, assieds-toi ! S’écria Emmanuelle en me tirant sur le canapé à côté d’elle.
- Tu veux quelque chose ? Me demanda….Je ne sais plus qui.
J’observai la table. Alcool……alcool…Tabac ! Alcool… Oh mon Dieu, ça ce n’est sûrement pas de l’ibuprofène ! Je détournai le regard. Du jus de pomme et du jus d’orange !
- Je vais prendre du jus de pomme, merci.
La fille me servit un verre.
- Avec ?
Je haussai les sourcils.
- Pardon ?
- Avec quoi ton jus de pomme ?
- Euh… Une paille ? Ne sachant pas si elle devait le prendre au sérieux ou pas, la fille esquissa un sourire, puis un début de rire.
- Elle te parle d’alcool !
- Idiote.
Merci mes Charly’s. Je rectifiai le tir.
- Non, je rigole, sans rien, merci.
Je me mis à boire mon verre et surpris plusieurs personnes me dévisager. Quoi ? N’avait-on pas le droit de boire du jus de pomme ? Emmanuelle se mit à converser avec Marine. Elles parlaient de gens de la fac dont je n’avais pas connaissance. Mon amie et moi nous connaissions car nous avions, le temps d’un semestre, suivi la même option. De ce fait nous n’avions pas d’amis en commun, à part Élisa, qui elle faisait du droit avec moi. Les invités parlaient dans tous les sens. Je ne savais pas trop où donner de la tête. Enfin si ; le beau Romain passait plus de temps sur sont portable et était, comme moi, assez en retrait.
- « Le beau Romain » ? Ouuuuuh, elle est amoureuuuuuse la petite Jade !
Je rougis intérieurement, puis me servit un verre de jus d’orange.
- Tu bois du jus d’orange tout seul ? Me demanda Émilie (je crois) avec tant d’étonnement que toutes les conversations s’interrompirent.
- Euh…Oui.
- Tu ne bois jamais d’alcool ? Ne manqua pas de remarquer une autre.
- Euh…
- Pourquoi ? Questionna indiscrètement un autre. Essaye au moins, faut profiter de la vie !
- Oh, euh…
Sans rien dire, quelqu’un se leva et augmenta le son de la musique. Ce quelqu’un, c’était Romain !
- Only youuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu
- Mon prince !
Il s’était autoproclamé DJ. L’intérêt que tout le monde m’avait porté quelques minutes auparavant s’était estompé en trois secondes. Cet homme avait des pouvoirs magiques. Je me mis à rire librement. Quelques personnes se dirigèrent sur ce qu’on pouvait appeler la piste de danse.
- Allez viens ! Me cria Emmanuelle en me tirant le bras.
- Non, non, non, après, je n’aime pas cette musique.
L’excuse classique. Mais elle était vraie. Un « couple » , qui venait apparemment tout juste de faire connaissance montèrent je ne sais où. Nous n’étions plus beaucoup à être assis. Les quatre personnes présentes, qui formaient séparées en binômes, n’avaient pas l’air de vouloir discuter avec moi. Tant mieux, je préférais écouter sans participer.
- Ils sortent ensemble mais ils ne se disent que maintenant combien de frères et sœurs ils ont chacun !
- Ne vois-tu pas qu’ils viennent de se rencontrer ?
Cela ne les empêchait pas de s’embrasser avec entrain. Au bout de quelques minutes, ils étaient à moitié allongés sur le divan (et, au passage, sur moi-même) et avaient chacun les mains très baladeuses. Ils me répugnaient. Leurs odeurs d’alcool et de tabac arrivaient jusqu’à moi. Les gens n’avaient-ils donc aucun sens moral ? Les récits de ma vieille copine de collège, Fiona, me revenaient. Celle-ci avait eu une période complètement délirante. Elle n’hésitait pas à à boire comme un trou, à fricoter avec tous les garçons qui passaient sur sa route. Le résultat ? Une grossesse interrompue, une tentative de suicide et six mois de grosse déprime.
- Mais celle là c’est une idiote.
- Ça tu l’as dit, Charly, cette fille était perdue…
Voilà. Voilà entre autres pourquoi j’étais bien contente de rester maîtresse de moi-même à tout instant, pourquoi je ne sortais avec aucun garçon (bon, il y avait aussi le facteur « déficit de prétendants » mais ça, c’était accessoire), et pourquoi j’étais très fière qu’on me qualifie de « sainte-nitouche » et de « coincée. ». Il était très facile de perdre le contrôle de soi-même. Je pouvais paraître un peu vieille France, mais je ne pouvais m’empêcher de voir les méfaits plutôt que les bienfaits de l’alcool. Les premiers agissaient sur le long terme et les seconds sur le court. Et, me connaissant un minimum, je savais que je n’étais pas le genre de filles qui avait besoin de boire pour s’amuser. Je me trouvais tout simplement au mauvais endroit, avec les mauvaises personnes.
Durant des heures, j’observais les gens sur la piste de danse. Même quand on passait du David Guetta, on pouvait penser qu’ils dansaient sur du zouk. L’attitude de certains frisait l’indécence. Emmanuelle dansait également dans des positions douteuses avec ses copines. Elle avait l’air très éméchée. Un autredansait (chancelait plutôt) une bouteille à la main, au milieu de deux filles. Le tout ressemblait à une orgie. Je jetai un œil vers le DJ : mon grand désespoir, celui-ci avait disparu. Je l’avais lâchée de vue deux minutes, et voilà que ma seule motivation de la soirée avait disparue !
Après un instant à le chercher des yeux, j’abandonnai puis me mis à jouer à un jeu de culture générale sur mon portable (il fallait bien que je rentabilise mon temps). Au bout d’une trentaine de parties, je fus prise d’une envie d’aller au petit coin. Merci le jus de pomme ! Je montai l’escalier, puis gambadai un peu partout dans la maison à la recherche de toilettes. J’étais émerveillée. Tout brillait. Les pièces étaient très vastes et les couloirs infinis. Je m’engageai dans l’un d’eux et tombai rapidement sur ce que je cherchais. En sortant, j’entrepris de passer un coup de fil à ma mère.
-Alors, c’est comment ?
- Bof. Les gens sont sympas, mais je ne m’amuse pas vraiment, répondis-je en me promenant un peu partout.
- Emmanuelle n’est pas avec toi ?
- Non, elle est en train de danser et elle est complètement bourrée.
J’arrivai devant une pièce d’où émanaient des bruits peu catholiques. Je compris rapidement ce qu’il était advenu du couple qui s’était éclipsé tout à l’heure. Prise d’un dégoût profond, je fis demi-tour et me retrouvai sur un magnifique balcon en angle.
- Je pense que je ne vais pas tarder à rentrer, repris-je. Ce n’est vraiment pas mon genre de fête. Les gens boivent comme des trous et je suis constamment dans un nuage de fumée, c’est tellement désagréable.
- Tu as quelqu’un pour rentrer avec toi ?
- Je ne vois personne en état de me raccompagner… De toute façon, j’habite à cinq minutes de chez Élisa. Il n’est que minuit, Maman, je vais faire vite et puis voilà.
- Non, Jade il est hors de question que tu rentres seule.
- Mais à qui veux-tu que je demande, je ne connais personne…
- Ça m’est égal, tu trouves quelqu’un.
Je soufflai.
- Bon, ok, capitulai-je .
– Je vais me coucher, tu m’appelles si tu as un problème, et tu m’envoies un texto dès que tu es rentrée. J’acquiesçai puis raccrochai.
Je n’avais aucune envie de demander à quelqu’un de me raccompagner. J’avais toujours eu peur de déranger les gens. Après avoir raccroché, soufflé un bon coup puis songé à quand et comment j’allais rentrer, j’entendis du bruit. Je me retournai brusquement, puis, une tête, venant de l’autre moitié de l’angle, apparût. Je sursautai encore. C’était lui !
- Ben bien sûr, on voit bien que t’es pas réelle, toi.
- Laisse moi tranquille.
- Je peux te raccompagner si tu veux, déclara-t-il d’un air détaché.
- Euh…
J’étais toujours mal à l’aise quand je me trouvais avec un garçon trop beau. Je me sentais moche et ridicule. Les choses ne collaient jamais entre eux moi. Eux aimaient les belles filles sûres d’elles, ce qui était loin d’être mon cas. En général, quand je plaisais à un garçon, il avait une personnalité que j’appréciais, mais n’était pas à mon goût physiquement. Et, à l’inverse, quand un garçon me plaisait, c’est qu’il dégageait quelque chose d’intimidant. Je me montais des tonnes de films dans ma tête, et au final, nous ne nous correspondions pas du tout (quand j’avais l’occasion de le connaître, ce qui était rarement le cas). C’était ce qui allait se passer avec Romain. Puis il devait plaire à trop de filles, très peu pour moi.
- Ce serait vraiment gentil, repris-je.
Il ne répondit rien. Il s’adossa à la rambarde, et se mit à contempler le paysage. En cette belle nuit de printemps, le ciel était étoilé, et la vue était vraiment agréable.
- Sortez les violons !
Mais au bout de quelques minutes, un malaise s’installa.
- Eh ba voilà qu’on te retrouve !
- Tu…Comment as-tu connu Élisa ? lui demandai-je pour combler le vide.
- Élisa ? C’est la fille chez qui on est ?
Ah.
- C’est ça.
- Je ne la connais pas. Je suis venu avec Hugo. Tu es en quoi ?
- Droit. Et toi ?
- Médecine.
- Médecine ! Je craque.
- Qu’est-ce tu fous là ? M’assomma-t-il.
Je rougis de tout mon être.
- Euh… C’était histoire de sortir.
Je marquai une courte pause.
- Et toi, qu’est-ce que tu fous là ?
- Arrête de faire la meuf qui dit des gros mots, ça ne te va pas.
- Pourquoi tu es ici ? Me corrigeai-je.
- Au départ, on avait prévu une soirée jeux vidéo chez Hugo. Mais la fille nous a invité à venir. Ça ne me disait pas trop, je n’aime pas plus que toi l’ambiance de ces soirées, mais il a insisté.
Cet air lointain et mystérieux ne le lâchait pas et il ne me regardait pas. J’avais presque l’impression qu’il se moquait de moi . Un individu aussi beau et sûr de lui qui n’aimait pas se retrouver entouré d’une dizaine de filles toutes habillées plus court les unes que les autres ? J’avais du mal à le croire.
- Tu m’as sauvé des questions tout à l’heure, le remerciai-je timidement.
Il mis un petit peu de temps, mais se retourna (enfin) vers moi, et me demanda avec un sourire enthousiaste :
- Toi aussi tu es plus du genre à passer tes soirées à jouer et à geeker ?
J’explosai d’un rire très franc. Nous nous mîmes à parler de tout et n’importe quoi. Au fil de la conservation, nous nous ouvrions mutuellement l’un à l’autre et riions. Je parvenais enfin à être naturelle. Il m’apprenait des choses qu’il avait vues en cours et je faisais de même. J’adorais les personnes qui étaient cultivées et qui savaient le montrer. Nous finîmes par descendre, dîmes au revoir aux seules personnes à peu près conscientes, puis il me raccompagna.
- Pourquoi il ne te viole pas, comme dans les autres histoires ?
- Parce que tous les deux ne sont pas bourrés et qu’elle n’est pas habillée comme une prostituée.
Il ne me demanda pas mon numéro.
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