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Il s’est passé beaucoup de choses importantes autour d’Internet en 2007 : le premier iPhone est sorti, Tumblr a été mis en ligne, Twitter est devenu populaire… Et surtout, la sextape de Kim Kardashian a été révélée au monde par la société de production Vivid Entertainement. Le temps a filé si vite ; ces quarante minutes de vidéo qui ont bouleversé le star system américain ont fêté leurs dix ans le 21 mars dernier. C’est le moment idéal pour revenir sur cette histoire qui en dit long sur la culture porn.
Octobre 2002. Kim Kardashian s’apprête à souffler sa 23ème bougie à l’Esperanza, un luxueux complexe hôtelier de la côte Pacifique du Mexique. Elle est accompagnée par le chanteur Willie « Ray J » Norwood, son amant ; la jeune femme est mariée depuis ses 19 ans au producteur de R&B Damon Thomas mais leur vie de couple ne la satisfait pas. Le début de la vingtaine lui semble difficile, rien ne se passe comme elle l’espérait. Ses rêves de célébrité sont loin. Pendant qu’elle s’amuse avec l’argent de ses parents, l’avocat Robert Kardashian et la socialite Kris Jenner, sa meilleure amie Paris Hilton multiplie les couvertures de magazine.
De la piscine à la table de massage de l’Esperanza, Kim Kardashian ne pense pas à sa tour d’ivoire, à son mari, au fait qu’elle a abandonné les études après le lycée. Ray J enregistre leurs bons moments avec un petit caméscope. Dans leur chambre, ils filment leurs ébats à plusieurs reprises : fellations, cunnilingus, pénétration, positions et cadrages multiples, gros plans, le tout en pleine lumière. Un grand moment de pornographie amateur.
Les vacances prennent fin. Début 2003, Kim Kardashian lance son affaire sur eBay sous le pseudonyme kimsaprincess. Le site de vente aux enchères lui permet de revendre des habits récupérés dans les penderies de ses amis célèbres. Ses bénéfices s’envolent. Quelques mois plus tard, elle apparaît dans la première saison de The Simple Life, l’émission de télé-réalité qui confronte ses amies Paris Hilton et Nicole Richie à la vie des Américains pauvres. Les journalistes people se décident à parler d’elle. D’arrangements avec les rédactions en rendez-vous avec les paparazzi, l’entrepreneuse se fait connaître et désirer.
Fin de l’année 2006. En privé, Kris Jenner lance l’idée d’une émission consacrée à la vie de la famille Kardashian. Un producteur affilié à la chaîne de télévision Fox accepte de la suivre. Kim Kardashian multiplie les apparitions dans les médias. Elle se glisse souvent dans les magazines people aux côtés de Paris Hilton, plus célèbre que jamais depuis la sortie de sa sextape. Sa cote grimpe encore ; les bandes de l’Esperanza atterrissent sur le bureau de Steven Hirsch, le fondateur et co-gérant de Vivid Entertainment.
Steven Hirsch
Steven Hirsch est un fils de pornographe. Il a lancé Vivid Entertainment en 1984, à 23 ans. Grâce à son audace, le studio n’a pas tardé à se transformer en éminence du X : il a été le premier à proposer des contrats d’exclusivité aux actrices et le premier à éditer des DVD pour adulte. En 1995, il a décroché le droit de distribuer la sextape de Pamela Anderson et Tommy Lee. Cette opportunité a permis à l’entreprise de se faire connaître du grand public, et sans doute de celui ou celle qui lui a confié les images de Kim Kardashian et Ray J.
Dans un article publié le 27 mars dernier par le magazine Page Six, Steven Hirsch prend soin de ne pas dévoiler l’identité du responsable de la fuite : « Un jour, quelqu’un a téléphoné à nos bureaux et dit : « Nous avons des images d’une célébrité ». Quelqu’un a pris l’appel et nous avons fixé un rendez-vous. Cette personne s’est présentée avec le film sur son ordinateur, elle est arrivé avec une grosse valise à roulettes et a tout déballé. C’était une vraie production. (…) Je pense qu’ils voulaient être en contrôle permanent… Ce n’était pas qu’ils représentaient les gens présents dans la vidéo, pas du tout. Kim n’était pas impliquée dans le plan. Ils avaient les images et ils voulaient les vendre ».
Ben Widdicombe en 2005
17 janvier 2007. Ben Widdicombe révèle l’existence de la sextape dans Gatecrasher, sa rubriques de potins people pour le New York Daily Post. Le scoop lui a été confié par des individus proches de la précieuse bobine. « Il ne fait aucun doute que ces sources coopéraient dans leurs propres intérêts », explique le journaliste dans Page Six dix ans plus tard. « Ces intérêts étaient de rendre publiques l’existence de la vidéo et sa vente potentielle ». Evidemment, la nouvelle fait sensation.
Lorsqu’elle est informée de la fuite, Kim Kardashian s’effondre. Elle pleure, nie. Paris Hilton promet aux journalistes surexcités qu’elle va mettre son avocat sur le coup. Le 21 février 2007, Steven Kurtz, l’avocat de la famille Kardashian, attaque Vivid Entertainment en justice pour tenter d’empêcher la diffusion de la vidéo. Steven Hirsch ne veut pas de procès ; il engage des négociations avec la starlette et Ray J, qui viennent de se séparer après trois ans de relation.
Paris Hilton et Kim Kardashian en 2006
Très vite, le chanteur accepte. Il pense que la diffusion des images va lui permettre de devenir plus riche et célèbre, lui qui est toujours resté dans l’ombre de sa soeur Brandy. Son ancienne conjointe, d’abord combative, cède face aux grosses sommes promises par Vivid Entertainment.« C’était un moment très difficile, se souvient Steven Hirsch. Au final, nous avons réussi à nous entendre. C’était un marché très difficile à conclure. Probablement [le marché le plus difficile que nous ayons jamais conclu] ».
Aujourd’hui encore, le patron de Vivid Entertainment refuse de révéler le montant de la transaction : “Quand je m’exprime à ce sujet, c’est uniquement pour dire qu’il n’y a pas eu de discussion ». Marty Singer, l’un des avocats de Kim Kardashian, rejette la rumeur selon laquelle sa cliente aurait reçu 5 millions de dollars pour la sextape : dans Page Six, il affirme que ce nombre est « grandement exagéré ». Le 21 mars 2007, la sextape est mise en ligne sur le site de Vivid sous le titre Kim Kardashian Superstar. Les poursuites contre le studio sont abandonnées un mois plus tard.
L’incroyable famille Kardashian, première saison
La vidéo fait scandale. Comme prévu par Vivid, Kim Kardashian se transforme en superstar. Au mois d’août 2007, la chaine de télévision E! annonce la diffusion imminente de la première saison de L’incroyable famille Kardashian, deux semaines après l’annulation de The Simple Life par MTV. Paris Hilton vit mal d’être éjectée de son trône par sa meilleure amie ; les deux jeunes femmes finissent par se détester. Pour Kim Kardashian, cela importe peu. Elle est désormais lancée.
Vous connaissez la suite de l’histoire. L’incroyable famille Kardashian fait un carton. Kim s’installe à la télévision et bifurque régulièrement vers le cinéma, mène ses affaires avec succès, multiplie les procès et rédige une autobiographie avec ses soeurs. Ses parfums se vendent bien, ses morceaux aussi. En 2012, elle s’affiche au bras de Kanye West pour la première fois. Deux ans plus tard, elle casse Internet avec l’aide de Jean-Paul Goude. Le TIME la place sur sa liste des 100 personnalités les plus influentes de l’année 2015.
« Break the Internet » : Kim Kardashian par Jean-Paul Goude
Malgré tout, Kim Kardashian reste la célébrité à la sextape – plus que Paris Hilton, plus que Pamela Anderson. Kim Kardashian Superstar s’est bien vendue, c’est vrai : d’après TIMZ, Vivid en a tiré 100 millions de dollars de bénéfices. Pour célébrer les dix ans de la vidéo, le studio a même tourné une version en réalité virtuelle à l’aide d’une sosie et déclaré le mois de mars 2017 « Kim K. Sex Tape Month ».
Du côté des tubes, la popularité de la bande de l’Esperanza écrase la concurrence. Kim Kardashian a été la troisième « actrice » la plus regardée sur Pornhub en 2016, derrière Lisa Ann et Mia Khalifa. L’extrait de la sextape qui a été posté sur le tube par Vivid Entertainement a été visionné 120 millions de fois. Dix ans après, c’est de loin la vidéo la plus populaire du site. Quant à « Kim Kardashian », elle reste l’une des requêtes les plus couramment formulée sur les tubes.
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Lundi 10 Avril 2017Les 121 dessins cachés de Rodin : tout le monde en a entendu parler. Le «musée secret» du sculpteur est, pour la première fois, intégralement publié dans un ouvrage qui en dévoile la portée historique. Ces dessins relèvent d’une pratique nouvelle.
Pendant les dix dernières années de sa vie, Rodin (1840-1917) fait venir chaque jour chez lui des femmes qu’il saisit sur le vif, nues, et dont il dessine avec frénésie les postures animales… Parmi ces milliers de dessins, il en séquestre 121 dans ce qu’il nomme son «musée secret» et qu’il cache, trop inquiet du scandale que ces images pourraient causer : des gribouillis obscènes, au regard de l’époque. Aujourd’hui enfin révélés, ces croquis et ces aquarelles sont présentés –dans un ouvrage signé par Nadine Lehni (ex-conservateur du musée Rodin)– comme des oeuvres dont la liberté dessine «les fondements des modernismes du XXème siècle.»
Quel intérêt présentent ces esquisses ?
Il faut les restituer dans le contexte pour en saisir l’importance, explique Nadine Lehni. Nous sommes à la fin des années 1890, «Auguste Rodin est un sculpteur reconnu dont la gloire dépasse largement les frontières de son pays.» C’est alors, à l’âge de près de soixante ans, qu’il convoque des modèles afin qu’elles se promènent nues devant lui. A cette époque, il est d’usage que les sujets soient placés sur une estrade, dans une position assise ou allongée promettant de rester immobile plusieurs heures de suite, afin que l’artiste puisse peaufiner tous les détails anatomiques. Rompant avec cette habitude, Rodin s’efforce d’attraper des «instantanés» et se lance, frénétiquement, dans la capture du mouvement comme dans un exercice d’ascèse : vite, vite, toujours plus vite, jusqu’à ne même plus regarder la feuille. Au début, ainsi qu’il l’avoue à demi-mots, Rodin demande aux femmes de simplement se mettre nues, lever les bras ou se pencher. Puis de bouger. Puis de se mettre à quatre pattes, d’écarter les jambes, de s’écarteler le corps… de se masturber.
Ce que le mot «nature» signifie : le sexe nu
«Cela ne m’est pas venu tout d’un coup, reconnaît l’artiste en 1902, j’ai osé tout doucement, j’avais peur ; et puis, peu à peu, devant la nature, à mesure que je comprenais mieux et rejetais plus franchement les préjugés pour l’aimer, je me suis décidé, j’ai essayé»… La «nature», c’est le nu, explique Nadine Lehni. La nature c’est-à-dire «la proximité troublante des modèles, devant lesquels “il se plaît à s’isoler”, s’impose à Rodin à la façon d’une exigence absolue.» Essayant de fixer un geste dont la «justesse» le frappe, il se concentre sur la vie même, saisie à son degré d’intensité le plus haut… Parmi les 121 dessins, beaucoup montrent une femme dont la main bouge entre les cuisses. De façon très révélatrice, une vingtaine de ces croquis portent le titre : «Avant la création» ou «La création». «L’un d’eux est si proche de L’Origine du monde de Courbet […] qu’il est tentant de penser que Rodin en eut une description précise. Peut-être son initiateur fut-il son ami Edmond de Goncourt (1) qui fut l’un des rares à voir ce tableau, le 29 juin 1889 ?»
Les proches de Rodin sont-ils au courant ?
La nouveauté du procédé n’est pas sans provoquer des remous. Le 20 février 1898, le journaliste Maurice Guillemot écrit dans la revue Gil Blas (2): «Il demande à ses modèles une espèce de présence animale et de paradis en mouvement sans la contrainte de la pose.» Le propos est allusif. De façon très révélatrice, à quelques 1235 kilomètres de là, dans la ville de Vienne, un autre grand peintre va bientôt demander à des modèles qu’elles viennent s’installer chez lui, qu’elles évoluent nues dans son atelier, qu’elles se caressent, qu’elles se fassent jouir, constamment disponibles pour le «maître». Le critique d’art Franz Servaes en est le témoin : Klimt «était entouré de créatures féminines dénudées et mystérieuses. Pendant qu’il se tenait silencieux devant son chevalet, elles flânaient, toujours prêtes à obéir aux ordres du Maître et à se tenir dans la pose ou le mouvement qu’il avait aperçu et qui avait touché son sens de la beauté. Il capturait ensuite par un dessin rapide la grâce de ce mouvement.» Klimt, comme Rodin, accorde une attention extrême aux gestes du plaisir.
Rodin : c’est Bergson version image
Dans son «laboratoire de consommation sur le vif» (4), Rodin transforme ses modèles en spécimen étranges. Il n’y a pas d’histoire dans ses dessins, ni même de personnage. Créature purement sexuelle, réduite bien souvent à sa paire de cuisses béantes, la femme sans tête qu’il croque en quelques traits n’est plus qu’un principe de vie, un instinct libéré. Ce que Rodin préfigure en image, c’est la notion même de «pulsion», un mot dont Freud s’empare vers 1900, juste après que Rodin expose à Vienne 120 dessins, dont Kokoschka s’inspire par la suite pour faire ses aquarelles de nu. Ce que Rodin illustre, c’est aussi une nouvelle conception du réel, ramené à une succession d’instants perçus dans leur fulgurance. Lorsqu’il inaugure cette pratique inédite qu’on pourrait appeler le «dessin de nu-flash», Rodin «semble faire écho à la pensée d’Henri Bergson qui vient de jeter les bases d’une philosophie originale et novatrice dans Les Données immédiates de la conscience publiées en 1889 : le philosophe y affirme l’immédiateté de l’intuition contre le primat des opérations de l’intelligence.» Dans l’atelier de Rodin, on ne pense plus. On prend la vie en plein dans les yeux.
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A LIRE : Rodin, son musée secret. Texte de Nadine Lehni. Préface de Catherine Chevillot publié par Albin Michel, 2017.
NOTES
(1) Edmond de Goncourt affirme avoir vu ce tableau chez un marchand parisien d’art d’Extrême-Orient, Antoine de La Narde. Ce tableau fut dérobé au regard public jusqu’à son entrée au musée d’Orsay en 1995.
(2) Dans un article intitulé «A travers la vie».
(3) «À l’hôtel de Biron, écrit l’un de ses proches en 1911, Rodin passe presque tout son temps à dessiner. Dans cette retraite monastique, il se plaît à s’isoler devant la nudité de belles jeunes femmes et à consigner en d’innombrables esquisses au crayon les souples attitudes qu’elles prennent devant lui.» (Source : Auguste Rodin, L’Art. Entretiens réunis par Paul Gsell, Paris, Bernard Grasset, 1911, p. 146).
(4) Citation de Philippe Sollers : «Écrire la sculpture», in Rodin et la sculpture contemporaine, compte rendu du colloque organisé par le musée Rodin du 11 au 15 octobre 1982, éditions du musée Rodin, 1983, p. 216.