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Ce soir d’automne, il fait encore jour sur la ville et seul le fond des rues est sous la nuit des immeubles et des maisons particulières. Je me promène sur les pavés, quelques flocons de neige voltigent autour de moi, la faible lumière électrique des lanternes n’éclairent pas encore mes pas.
À la terrasse d’un vieux pub irlandais, tu es seule devant un livre aux pages cornées posé devant toi. Certainement un peu frileuse, tes mains se réchauffent autour d’une tasse fumante. Le cou lové dans une écharpe de laine, les bras d’une veste réconfortante t’emprisonnent.
Tu ne me vois pas. Je passe et cherche ton regard…
Tes yeux sont dans le vague et cherchent à travers la fumée quelques mots et inscriptions tapissant la nappe de la table. Je tousse ; d’un regard en coin tu me dévisages. Tu te redresses comme pour me montrer ta vigueur.
Tu me regardes rapidement des pieds à la tête puis te replonges dans la brume de ta tasse. Une mèche de cheveux glisse en te caressant la joue et vient me cacher ce que tu regardes.
Après le rose délicieux de tes joues, c’est l’épine de ton indifférence qui griffe mes espoirs de te rencontrer. Le cœur qui frappe, je dois m’éloigner avec simplement le souvenir du vert de tes yeux, la noirceur d’une mèche de cheveux, d’un visage d’ange et de ma timidité désobligeante.
Un autre soir d’octobre, toujours en automne, une autre fin de journée, je suis au même endroit et j’arpente de nouveau les ruelles, à la recherche de ce doux regard qui hante mes rêves depuis des nuits.
Je ne te vois pas. Tu n’es pas là.
Es-tu un simple souvenir, un désir de mon esprit, une image d’un rêve perdu ? Je hante les rues mais mes idées se promènent, découragées. Cet automne se fait alors plus doux, un rayon de soleil a invité les gens dans les parcs. Je vois se promener l’amour des familles et la complicité des jeunes couples.
Il ne manquerait que la douceur des pommiers en fleurs pour voir apparaître les bras et les jambes nues des amoureux printaniers. Mais il n’est pas l’heure aux fleurs puisqu’hier était le changement d’heure.
Déjà Mère Nature impose sa fraîcheur de saison et les gens abandonnent les sentiers de bonne heure. Le sombre tombe rapidement sur les ombres des éclats de rires et sur les mots doux de cette journée ensoleillée.
Ainsi me voici de nouveau, seul avec mes ruelles. J’ère sur les pavés, je divague, je pense à tout et à rien. D’ailleurs c’est le rien qui occupe mon esprit.
Tout à coup, mes idées s’éclairent, mon coeur bat fort, je me retourne. Perdu dans mon néant, j’ai failli ne pas te voir. Je m’en veux déjà d’avoir pu oser essayer de te rater sans le vouloir. Combien de temps en aurai-je maudit le sort de m’avoir détourné le regard dans le vague plutôt que sur ton visage ?
Je me morfonds et me morfonds encore mais que fais-je ?! Imbécile que je suis ! « Ressaisis-toi », me dis-je ! Il est là ! Ce regard aux yeux verts, il est là et il me regarde. Fixe, il me regarde. Des mèches de cheveux noirs entourent un doux visage. Des yeux, de grands yeux, tes yeux me fixent et me transpercent.
M’as-tu reconnu ou me vois-tu pour le première fois ? Est-ce une impression de déjà-vu, ou est-ce l’image floue d’une vieille pensée qui semble t’intriguer en me voyant ?
C’est bien toi. C’est toi que j’avais vu si belle et si douce et c’est bien toi que je reconnais. Je vois bien que je ne t’avais jamais vu. Enfin, si, je t’avais vu car tu es telle que mes pensées t’ont dessiné.
D’un profil, d’une joue tendrement rosée par la fraîcheur d’un soir, d’une mèche caressant ta peau me laissant envieux de délicatesse, je t’avais dessiné sur la toile de mes rêves. Pendant des nuits et des jours, j’ai perfectionné les détails de ton portrait et tu es maintenant telle que tu devais être.
Tu es toi, tu es là et tu me regardes. Toute entière, tu me regardes.
J’ose un bonjour maladroit. Ce bonjour que j’ai perfectionné depuis longtemps, et avec tellement d’autres demoiselles rêvées mais qui est toujours aussi maladroit, pitoyable presque.
« Bonjour… »
Sortie d’un songe, un peu cassée pour être comme nulle autre, une voix unique et sûre me répond :
« Bonsoir, » dit-elle. « On peut se dire bonsoir. »
Des flocons de neige viennent étoiler ton visage. Je vois le reflet des lanternes briller dans tes yeux verts. La soirée va être fraîche.
Sur ce tendre bonsoir, un nouvel amour commence en automne, une nouvelle vie.
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Je ne sous-estime aucune souffrance, même pas celle d’être privée d’internet durant deux jours. La joue fendue à vif dans le sang séché sur un carrelage froid, les jambes mouillées mais réchauffée par l’urine, je fais de l’économie d’énergie. Bouger le petit doigt revêt des allures épiques pareilles à la conquête de Pluton.
Je dors dans l’espoir d’être en plein rêve.
Tout est brisé, ma mâchoire, mon dos, mes bras, j’ai l’illusion que sans mouvement, tout se recollera tout seul. Je divague aussi.
Je suis presque décédée.
Presque morte d’une sentence que j’ai moi-même signée d’une encre électronique à 23:58 précises.
J’ai participé à un concours de nouvelles.
J’ai pressé le bouton « Envoyer » de ma boîte de courriels. Le concours de nouvelles « Quais du polar » touchait à son crépuscule. Peu avant minuit, je suis sortie de mon sommeil morveux pour appuyer sur « Envoyer ». Je devais vraiment vouloir participer.
C’est un monde d’hommes qu’est cette compétition. Les lauréats sont des hommes, les références sont masculines, rien ne présageait une quelconque victoire. L’événement est sponsorisé par un grand groupe de presse prestidigitateur de la culture de masse.
Ma participation relevait plus de la bêtise que de l’improbabilité. Brûlait ardemment dans mon corps flasque le désir d’embêter un jury.
Raconter une histoire agaçante et annoncer une porte ouverte sur les petites certitudes d’une littérature policière, communément flanquée d’une femme fatale forcément sous le charme d’une crapule au bon cœur. Un anti-héros, qui à force de traverser les ténèbres, entrevoit de la lumière. Forcément salvatrice de son âme torturée, d’un cœur retrouvé au bain marie d’alcool, a fortiori essoré.
Je nourrissais l’ambition de tourmenter, d’enquiquiner, comme chier au milieu d’un marché aux fleurs. Je finis brisée comme un vase.
Mettre en scène textuellement le viol présumé du 36 Quai des Orfèvres, perpétré par des policiers, voilà ma folle entreprise. LE fait divers de l’année 2014. La prétention de perturber des hommes qui considéraient le genre comme une chasse gardée, et s’en congratulait, m’a menée loin. Loin de la vie.
Je me suis réappropriée un fait divers aussi glauque que sensationnel, avec en supplément l’élément qui fait exploser la mixture, le terrorisme. Ma nouvelle demeurait plus une menace qu’une création artistique de qualité moyenne, qu’un coup de folie, de la part d’une femme qui élevait l’ennui au rang d’art.
Aujourd’hui, mes côtes cassées se confondent dans la douleur avec la rigidité des plaques de pierres de ce sol puant. Dans trois heures, j’appellerai la mort pour qu’elle vienne me chercher.
Dans ce texte sulfureux, né de mes doigts boudinés et de mon cerveau enflé par la lumière artificielle des néons de la bibliothèque de Clamart, je me vengeais de tout. Dans la peau d’une autre, être de papier, protagoniste, de mon propre scénario, je vomissais ma haine. J’esquisse mes noms et prénoms. J’avance démasquée et masquée à la fois. Étrangère et connue, incarnée et décharnée.
Dans ce récit sulfureux, l’être de papier, devant la cité judiciaire, du Quai des Batignolles, nouveau Quai des Orfèvres, ceinturon au flanc, s’éclate les entrailles tel un kamikaze. Une ceinture explosive plus « Boom » que « Bloomingdales ». Moi l’être de chair, délesté du personnage de papier, je suis plus cardiaque qu’un hamster. Impensable dans la vie vraie, dénuée pourtant de vérités.
Au fil des mots, je dessine une féministe affublée du hit-parade de l’adjectif : extrémiste-terroriste. Flagorner cette ambition folle de penser sans les autres.
Je portrais comme une photocopieuse. Elle me ressemble. Quelques similitudes troublantes se dessinent sur des traits physiques.
La vengeance habite mon personnage, le désir ardent de mettre à mal un système judiciaire qui banalise le viol, l’ignore ou mieux, le pratique dans la chair et dans la tête, ce deuxième viol, la culpabilité.
À la réception de la nouvelle, effet d’une bombe, le jury du concours « Quais du polar » flippe sa race… et celle des autres. L’adresse IP de l’ordinateur expéditeur du manuscrit est identifiée, mon lieu de résidence est retrouvé. Cinq heures du mat’, cueillie et arrachée à la racine de mon lit.
L’imagination est le patchwork d’une réalité bien moins créative et d’un désordre précoce, mais une réalité quand même. Factuellement, sur cette base, je suis morte dans une cellule de commissariat, en garde à vue, sur la base d’une nouvelle loi anti-terroriste, qui justifie un meurtre en prévention de crimes.
Cette nouvelle est un appel au secours.
Je suis 2022.
(cc) Alex Eylar
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Tous ses gestes sont étudiés, précis, des battements de cils à la position des pieds. Si Satomi Zpira aime se balader à Paris sur...
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Le Mouvement du Nid 31, Osez Le Féminisme Toulouse et Zéromacho vous invitent à participer à la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes au Carrefour rencontre.
Espace diversité laïcité - 38, rue d'Aubuisson (métro Jean-Jaurès ou François Verdier).
On accueille Maël Rannou, notre nouveau critique de BD et éditeur (entre autres) du sulfureux Porno Crade, il viendra désormais régulièrement nous parler de BD porno et érotique. Mais ne vous attendez pas à trouver du Manara et autres culs aseptisés ! On commence par revivre la Movida avec Nazario.
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« Ses draps avaient vu passer une armée… Anarcomaaaaa » chantait Marc Almond en 86, témoignant de l’influence de cette improbable bande dessinée éditée pour la première fois en version intégrale par Misma dans une superbe édition. Jusqu’ici, seul un album, publié par Artefact épuisé depuis des décennies, et quelques récits courts (publiés dans Le Gai Pied et Charlie Mensuel), avaient pu parvenir jusqu’aux lecteurs français.
Intégrale du plaisirL’intégrale n’a pas fait les choses à moitié : grand format, couleurs et republication de toutes les bandes et illustrations publiées. Sur 160 pages, on dévore donc les aventures d’Anarcoma, détective transgenre, « pas opérée et très fière de sa bite », qui part à la recherche d’une machine à supprimer le plaisir et qui pourrait tomber entre de mauvaises mains. Très vite, elle est prise sous plusieurs feux, des inventeurs jaloux aux bandits en passant par les gardiens de l’ordre moral et des sectes improbables… L’action est relativement confuse, mais à vrai dire secondaire, tant les intrigues parallèles qui se nouent rajoutent en amusement et plaisir.
En effet, Nazario fréquentait le milieu nocturne barcelonais de la Movida comme acteur de premier plan. C’était ce moment de libération culturelle et des mœurs dans l’Espagne post-franquiste. Dessinateur, travesti notoire, emprisonné à la fin des années 70 pour des œuvres subversives, il se lâche enfin, affichant de plus en plus clairement ses personnages aux frontières des genres, ces femmes mal-rasées et colosses au sexe monstrueux. Anarcoma décrit une Espagne remplie de folles, de gigolos, de braves hommes mariés fascinés par les « monstres » dénoncés par les catholiques. Les orgies présentées très régulièrement laissent place à tous les excès d’un milieu qui assouvit enfin sa soif de liberté.
Anticonformisme et engins monstrueuxMais attention, Anarcoma n’est pas à mettre entre toutes les mains. Si la jovialité de la liberté y est criante, l’hypocrisie d’une société qui reste cadenassée y est très marquée et les scènes traumatisantes sont multiples : viols, meurtres, agressions de prostituées, transphobies… sont mis en scène sans épures. Si à la fin ce sont toujours les gentils qui gagnent, la répression de l’homosexualité n’est pas masquée et les gays restent dépeints en freaks dont la société ne veut pas. Leur société se construit en parallèle, dans les caves, les hôtels, les bois.
Sympa cette salle de jeux
Si parfois Anarcoma est un peu dense et semble partir dans tous les sens, on reste fasciné par le refus du conformisme et la farouche jouissance du créateur, qu’on ressent à chaque page. Les scènes de sexe, où se mêlent tous les corps et d’improbables cyborgs ou sex-toys géants, sont d’une audace rare et changent du porno aseptisé. Et si depuis que quelqu’un m’a dit qu’un des robots sexuels était le sosie d’Édouard Philippe mon plaisir a un peu décru, difficile de ne pas recommander un titre qui n’a rien perdu de sa subversion et qu’on a envie de balancer dans les mains de ceux qui se réclament de l’impolitiquement correct pour leur rappeler ce que c’est vraiment.
C’est vrai qu’il y a un air d’Édouard Philippe
Anarcoma l’intégrale, par Nazario, Misma, 164 pages, 32 €.
Pour ça, on en aura lu et entendu, des réactions stupides et sexistes (émanant quasi-uniquement d’hommes) à l’affaire Harvey Weinstein et à la salutaire libération de la parole des femmes qui l’a suivie.
Il y a ceux qui reprochent aux victimes de ne pas porter plainte. Celui qui compare la dénonciation des agresseurs à la délation sous l’Occupation – ou, pour rester dans le registre des comparaisons historiques absolument pas pertinentes, à un lynchage ou à une chasse aux sorcières. Celui qui juge le moment opportun pour réhabiliter les suidés. Celui qui affirme sans ciller qu’il ne dénoncerait pas un agresseur sexuel s’il en connaissait un – avant de se raviser quelques heures plus tard devant le tollé. Ceux qui, malgré l’avalanche de témoignages du contraire, n’arrivent toujours pas à se représenter un agresseur sexuel autrement que sous les traits d’un jeune en jogging et casquette.
Ceux qui pensent que c’est un complot des sionistes et celui qui trouve que, décidément, il y a beaucoup de sionistes parmi les soutiens des agresseurs. Celui qui met en avant un agresseur plutôt qu’un autre parce qu’il s’agit d’un ennemi politique et celui qui, à l’inverse, prend la défense d’un autre parce qu’il s’agit d’un ami. Et celle qui, avant de tirer définitivement – du moins on l’espère – sa révérence politique, prend la défense de la grivoiserie, qui «fait partie de l’identité française»…
Les violences sexuelles restent souvent impuniesL’une des réactions les plus répandues consiste à exiger des victimes d’agressions sexuelles qu’elles fournissent des preuves irréfutables de ce qu’elles avancent – ou se taisent à jamais. C’est évidemment prendre le problème à l’envers. Non seulement l’absence de «preuves» n’est pas une excuse pour détourner le regard, mais c’est peut-être même un motif supplémentaire d’écouter et de croire les femmes qui ont le courage de révéler publiquement ce qu’elles ont subi.
Cette absence de «preuves», qui caractérise tant d’agressions sexuelles, est en effet l’une (mais pas la seule) des raisons pour lesquelles elles sont si mal et si partiellement réprimées. La très grande majorité des viols et des agressions sexuelles ne sont pas signalés à la justice : selon l’INSEE, seul un dixième des femmes de 18 à 59 ans victimes de viol ou de tentative de viol portent plainte.
Pire encore, même quand ils sont jugés, la majorité des agresseurs échappent à toute condamnation. Parce que la plupart des violences sexuelles n’ont pas de témoin, parce que toutes ne laissent pas forcément une trace physique incontestable et parce que c’est souvent parole contre parole – au risque d’une inversion des rôles, qui voit les agresseurs menacer leurs victimes d’un procès en diffamation. Pour toutes ces raisons, il est absolument impératif de croire de façon inconditionnelle celles et ceux qui racontent aujourd’hui leur calvaire.
Tous les hommes sont concernésTout comme il est nécessaire que l’affaire Harvey Weinstein et ses répercussions amènent tous les hommes sans exception à un profond examen de conscience. Rien ne serait pire que de penser «je ne suis pas concerné puisque je n’ai jamais violé». Ou «puisque je suis gay». Même sans désirer les femmes, un homme peut se croire autorisé à leur mettre une main aux fesses «pour rire» (sic) ou pour asseoir sa domination. Et le harcèlement sexuel existe aussi entre hommes, favorisé comme partout par les écarts d’âge, de pouvoir ou de richesse – comme est venue le rappeler l’affaire Kevin Spacey. Seule une prise de conscience de tous peut donc éviter que le mouvement qui s’est levé avec le hashtag #MeToo ne s’éteigne comme un feu de paille.
Photo : Harvey Weinstein © Thomas Hawk
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Quand une femme tombe enceinte de façon inattendue, dans une relation hétérosexuelle, quelle est la place de l’homme ? Dans ce 5e épisode, il est question de contraception, donc de responsabilité et de conscience.
Victoire Tuaillon reçoit Coline Grando, réalisatrice du documentaire "La Place de l’Homme". Dans ce film d’une heure, cinq hommes de 20 à 40 ans, confrontés à une grossesse non prévue et le plus souvent interrompue, dévoilent leurs ressentis et réflexions sur cet événement. Que révèlent leurs histoires des relations hommes-femmes, et de la manière dont les hommes sont sensibilisés à ces questions ?
CRÉDITS
Les couilles sur la table est un podcast de Victoire Tuaillon, produit par Binge Audio. Production : Joël Ronez. Rédaction en chef : David Carzon. Chargée d’édition et production : Camille Regache. Direction générale : Gabrielle Boeri-Charles. Direction artistique : Julien Cernobori. Générique : Théo Boulenger.
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