Je vais donc vous résumer le livre Refuser d'être un homme : Pour en finir avec la virilité de John Stoltenberg.
Je tiens à souligner que Martin Dufresne n'a, comme d'habitude pas réussi à taire sa transphobie dans l'introduction avec la phrase "confisquer les rares ressources encore concédées aux femmes quitte à se prétendre vaguement transgenre". Que vous ne soyez pas d'accord avec le queer est un choix idéologique. Que vous en profitiez pour étaler votre transphobie n'est pas un choix, ni une opinion. On ne se prétend pas transgenre. je croyais que les tenants du "on saute d'une identité de genre à l'autre au gré de ses envies" étaient les tarés affiliés à la manif pour tous. Je constate une fois de plus qu'il y en a au sein même des mouvements féministes. Dufresne, votre féminisme réel ne vous donne pas un blanc-seing pour dégueuler des saloperies en permanence.
Plusieurs préalables à cet article :
- Si vous n'êtes pas familiarisé-e avec les concepts féministes, si vous ne pensez pas que le viol est un crime sexospécifique, si vous pensez qu'il vaut mieux parler d'humanisme que de féminisme, si vous pensez que la construction de la virilité n'a rien à voir avec le viol ou les violences conjugales, épargnez votre temps et le mien et ne lisez pas ce texte. Si malgré tout vous voulez le lire, essayez une bonne fois pour toutes, de ne pas projeter vos angoisses dans cette lecture et de vous sentir mis en accusation à toutes les lignes.
- je n'ai pas écrit ce livre, je le résume. Je suis d'accord avec certaines idées, pas avec d 'autres. Si c'est pour m'expliquer combien ce qui est développé ici est atroce, je vous en prie, contactez l'auteur.
- avant de lire Stoltenberg il convient de comprendre ce qu'est le féminisme radical et plus particulièrement la branche à laquelle il appartient qui est anti porn (encore que je pense avoir compris qu'il nuance ce point) et abolitionniste. L'article de wikipedia n'est pas mal foutu. Il serait idiot ET faux de penser que le féminisme radical est puritain ; en témoignent d'ailleurs les très nombreuses pages que Stoltenberg consacre à la sexualité. Pour mieux comprendre les débats qui ont eu lieu dans les années 70-80 autour du porno, vous pouvez lire l'hommage de Susie Bright, une féministe sex positive, à Andrea Dworkin qui explique combien le travail de Dworkin autour de la pornographie a été nécessaire.
Je rappelle enfin que ces textes ont été écrits entre 1975 et 1987. Certaines choses ont désormais évolué, tant au niveau des concepts féministes (le genre par exemple) que de la pornographie.
Dans les années 60, Stoltenberg commence à lire et écouter James Baldwin, essayiste, militant pour les droits civiques qui déclara un jour "Si vous insistez pour être blanc, je n'ai d'autre alternative que d'être noir" puis "l'Amérique est devenu blanche - les personnes qui à les entendre, ont "fondé" le pays sont devenues blanches, par nécessité de nier la présence des Noir-e-s et de justifier leur assujettissement". Baldwin entend dire, et dans les années 60 c'était incroyable que d'entendre cela, que la race est un construit social et que la catégorie blanc n'existe que par des actes d’assujettissement. De là Stoltenberg dit que la virilité est également un construit social et a besoin de l'injustice pour exister. Il tente de montrer qu'il n'y a pas de fossé net et défini entre les hommes et les femmes et que la déconstruction de la virilité et sa destruction sont seuls moyens de paix tant pour les hommes que pour les femmes.
Dans le brillant chapitre L'éthique du violeur, il démontre le sens politique de l'identité sexuelle. Il montre combien dans l'acte sexuel, les hommes sont éduqués à "se comporter comme des hommes" et combien cette tension, cette peur de ne pas y arriver, de "ne pas être des hommes" teintent la sexualité masculine. Je rappelle qu'il y a entre 50 000 et 75 000 viols par an en France (bien plus aux USA) ; je conçois bien l'intérêt politique de les traiter comme des cas individuels, des coups de folie mais il va être difficile de continuer à ne pas entendre les féministes sur ce sujet.
Il montre alors que l'identité sexuelle masculine exige plusieurs points :
- croyance en sa bonne foi sans égard pour les autres
- adhésions à tous les comportements appropriés pour un homme
- croyance en sa supériorité et dans l'idée qu'on peut avoir ce qu'on veut et que c'est bien normal.
En contrepartie, on attend duine femme qu'elle hésite, qu'elle s'interroge sur la rectitude de ses actes y compris lorsqu'elle s'est comportée correctement.
On en arrive donc au fait suivant ; l'homme viole et la femme en est blâmée. Une homme viole une femme, elle en est repsonsable donc le viol n'est pas un viol. S'en suit un témoignage où une victime de viol rapporte les propos de son violeur "ne me force pas à te faire mal" qui est une des phrases typiques qu'on entend dans des cas de viol ou de violence conjugale. La victime est directement rendue responsable de ce qu'on lui a fait. Comme le dit Stoltenberg "Violer c'est bien. se faire violer c'est mal".
Dans le chapitre suivant, Stoltenberg parle de l'humanité comme une espèce multisexuée ou hommes et femmes n'existent pas. Il cite Dworkin qui écrivait en 74 (et c'est pourquoi il faut lire Dworkin - enfin si elle était traduite en français - qu'on soit ou non d'accord avec elle parce qu'elle a initié quasi toutes les réflexions féministes actuelles) "Nous sommes, clairement, une espèce multisexuée, dont la sexualité s'étale sur un vastes continuum où les éléments appelés homme et femme sont imprécis". Stoltenberg parle un peu plus de lui dans ce chapitre ; de sa joie à comprendre que la masculinité n'existe pas, alors qu'il a tout le temps senti qu'il n'arrivait pas à être assez masculin, qu'il ne correspondait pas à l'image traditionnelle de l'homme et qu'il en souffrait.
Il dit alors "les pénis existent ; le sexe masculin, non. le sexe masculin est socialement construit. c'est une entité politique qui ne s'affirme qu'au moyen de force et de terrorisme sexuel" (on dirait "genre" à la place de "sexe masculin" aujourd’hui).
Je fais un bref aparté sur ce passage qui, je l'imagine, va en scandaliser plus d'un-e. On sait qu'il existe des crimes sexospécifiques comme le viol ou la violence conjugale. On sait que la majorité des gens emprisonnés sont de hommes. On sait que la majorité des suicidés sont des hommes. On peut penser qu'il s'agit de coïncidences, de cas isolés. On peut penser que c'est du "à la nature" ou on peut se dire que la virilité, la masculinité sont parties prenantes la dedans et causent des meurtres, des viols, des blessures y compris au sein même de la classe hommes. Tous les hommes qui ne sont pas rentrés dans les modèles traditionnels de la virilité (et qui ont cessé de s'en culpabilier ce qui est très difficile) ont d'ailleurs bien compris que ce n'est pas eux le problème. Tous les hommes traités de "tapette", de "pd", de "femmelette", de "fille", parce qu'ils n'étaient pas considérés comme assez virils ont bien compris que c'est la virilité qu'il faut détruire et pas eux qui sont anormaux. La virilité ne peut pas être reconstruite car il y aura toujours des gens à la marge ; cela serait comme déconstruire la blancheur dont on parlait plus haut. La virilité et la blancheur et l'hétérosexualité (les 3 en tant qu'identités politiques) n'existent qu'en assujettissant l'autre, ils sont donc à détruire, à abolir et pas à reconstruire.
Stoltenberg montre ensuite que la sexualité crée les genres ; elle permet à chacun de confirmer qu'il appartient à un sexe ou un autre. L'identité masculine implique d'accepter comme siennes les valeurs et intérêts de cette classe et la non-identification à tout ce qui est perçu comme non masculin.
Plutôt que de voir la sexualité comme un moment où l'homme s'assure et montre qu'il est un homme, Stoltenberg propose une sexualité fondée sur divers principes :
- avoir le consentement absolu de son/sa partenaire. ne pas hésiter à lui redemander si on n'est pas sûr. Ne rien tenir pour acquis. Ne pas penser que si il/elle a consenti à une chose, il.elle a consenti à tout.
- la réciprocité est essentielle. On ne fait pas quelque chose à quelqu'un : on fait quelque chose ensemble. On ne baise pas quelqu'un, on baise avec quelqu'un.
- le respect est abolsument essentiel. il faut considérer l'autre comme un autre à part entière, lui montrer du respect.
Il propose ensuite de ne pas être manipulé par la pornographie, de ne pas utiliser de drogue ou d'alcool (non qu'il soit contre, il explique simplement qu'il est plus compliqué de savoir si le/la partenaire est consentant si on est ivre/défoncé) et de ne pas se fixer sur la pénétration.
Stoltenberg parle ensuite de la sexualité masculine comme un lieu d'haute objectification sexulle. Cette objectification nourrit la suprématie masculine par deux mécanismes qui se forcent mutuellement : - l'habitude masculine d'objectification sexuelle sert en partie à construire la suprématie masculine dans notre culture - la suprématie masculine dans notre culture incite les hommes à s'adapter en acquérant l'habitude d'objectifier sexuellement les êtres.
Il montre comment le masculin se construit en considérant comme érotique le fait d'être propriétaire (de personnes, de femmes et d'enfants comme un homme l'est dans le patriarcat)."D'une certaine façon, tout homme apprend au cours de sa vie à ajuster son entière sensibilité érotique et émotionnelle - et, partant, sa volonté - à un projet appropriation, par opposition aux femmes, qui, elles, doivent être appropriées."
Il explique ensuite comment se construit psychanalytiquement le masculin ; l'enfant constate que pour avoir la paix, être en sécurité, ne pas risquer de colère du père, il convient de se différencier le plus vite possible de la mère et de rejeter tout ce qui est féminin pour adopter tout ce qui est masculin.
Dans le chapitre suivant (écrit dans les années 70), il explique que le désarmement indiquera la fin de la violence masculine et du patriarcat. Il montre également combien les groupes féminists ont été instrumentalisées au moment de la guerre du Vietnam par les libéraux.
Dans le chapitre sur l'avortement, il explique que les hommes s'opposent à la liberté reproductive des femmes (des études statistiques montrent le nombre de femmes qui renoncent à un avortement car "leur conjoint ne l'approuve pas"). Il prétend que les hommes sont terrifiés par l'idée que si leur mère avait eu le choix, ils ne seraient peut-être pas nés. "Si les femmes avaient vraiment le choix, les fils des hommes ne verraient pas le jour".
"Les hommes en tant que classe savent que leur avantage social culturel et économique sur et contre les femmes dépend absolument du maintient de la grosesse non voulue, de la gestation non voulue, de l'accouchement non voulu et du soin non voulu des enfants".
Stoltenberg procède ensuite à une critique radicale de la pornographie. "La pornographie ment à propos des femmes. mais elle dit la vérité à propos des hommes"; rappelons que cette critique date des années 80 et qu'elle n'est sans doute plus si vraie aujourd'hui, à une époque où des gens tentent de penser la pornographie différemment et de façon moins sexiste, moins homophobe, moins raciste.
Il montre que la sexualité dans le porno, n'a pas de passé (on ne sait pas pourquoi ils couchent ensemble), pas d'avenir, (il n'y a aucun engagement sexuel, affectif ou autre) pas de présent (la relation est fonctionelle est pas émotionnelle). Les pornos font la part belle aux gros plans sur des pénis, perpétuellement en érection. Le pénis est fétichisé.
Stoltenberg se demande comment on peut prétendre que le porno est la liberté sexuelle alors que le porno ressemble à de l'absence de liberté et de la répression. "La sexualité patriarcale est viscéralement vouée à la domination et à la subordination, parce que ce sont les conditions dans lesquelles cette sexualité a appris à s'éprouver et à ressentir tout ce qui est sexuel"."La pornographie institutionnalise la sexualité qui incarne la suprématie masculine et l'instaure dans un même mouvement". Pour lui, la pornographie rend le sexisme sexy et sert la suprématie masculine car elle amène à croire que les femmes sont par nature de putes, que certaines parties du corps des femmes appartiennent aux hommes, que les femmes aiment être violées, blessées, ou humiliées.
Il soulève une hypothèse intéressante ; il dit que l'homophobie qui imprègne une culture patriarcale sert aussi à protéger les hommes des agressions sexuelles d'autres hommes. "L'homophobie est nécessaire à la suprématie masculine pour tenir les hommes à l'abri d'agressions sexuelles par les hommes".
Stoltenberg parle ensuite des ordonnances anti pornographie proposées en 83 et 84 par Dworkin et MacKinnon. Ces ordonnances proposaient de considérer la pornographie comme une atteinte aux droits civils des femmes ; elles ne furent pas votées car considérées comme en opposition au premier amendement. Stoltenberg montre qu'il existe des exceptions au premier amendement ; la raison pour laquelle ces ordonnances furent bloquées est selon lui le lobby de l'industrie pornographique. Ces actions prennent corps au moment où le film Snuff sort (où un homme jouit en tuant, éventrant et exhibant l’utérus d'une femme enceinte) et où l'on découvre ce qu'avait subi Linda Lovelace pour tourner des films pornos comme Gorge profonde. Comme elle le déclara plus tard "chaque fois que des gens regardent ce film, ils me regardent être violée". Enfin Hustler fit ce genre de couverture en 1978 ou Penthouse exposa au nom de l'art ces photos en décembre 1984.
Enfin Stoltenberg montre à nouveau que l'identité sexuelle masculine est une idée construite politiquement et que la masculinité est une construction éthique. Enfin il évoque sa difficulté à vivre avec "les autres hommes", ceux qui sont sexistes. D'un côté, un homme conscientisé n'a plus envie de les fréquenter et de l'autre il aspire à être en compagnie d'autres hommes. Soit un homme doit donc rentrer dans le rang et se conformer à l'image stéréotypée qu'on attend de lui, soit il se contraint à l'isolement.
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