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Elle est seule, assise au bar, seule et paumée dans la Cité des Anges. Elle attend, sans trop savoir qui, sans trop savoir quoi. Un petit blond nerveux lui parle, trop vite, trop bas, la musique est trop forte, elle ne comprend rien, alors elle n’écoute pas. Elle ne prend même pas la peine de l’interrompre, elle se lève, franchit la porte, allume une cigarette. Immobile, elle observe la nuit. Rien ne bouge, à part, de temps à autre, un pick-up vrombissant sur la route, à quelques mètres de là.
Elle ne l’a pas vu ni entendu approcher, mais soudain, il est là devant elle. Il est grand, brun, très maigre, avec la voix très grave, très douce. Il ne dit pas hello, il ne dit pas how are you?, il ne dit pas where are you from?, ni même what’s your name? comme font tous les gens d’ici, avec ce sourire hypocrite qui dit bienvenue mais pas trop. La ville ici te passe d’abord au crible avant de t’accepter. Il la regarde, sourit simplement et lui dit : “Don’t you wanna come with me?”
Elle ne sait pas trop si elle a peur ou non. Peut-être un peu. Elle hoche la tête en silence, tire sur la cigarette et le suit. Ils n’échangent pas un mot, et se trouvent bientôt devant un immeuble. Il la regarde longuement. Elle lit le désir dans ses yeux noirs et se sent rassurée. Elle sait où elle va : elle va se faire baiser, encore, et elle va aimer ça, encore. Elle ne sait juste pas comment ni à quel point. L’appartement est miteux mais arty ; il met de la musique. Grizzly Bears résonne doucement dans l’air du soir, et s’échappe dans la cour pavée par la fenêtre ouverte. Elle est debout, elle attend.
Ce soir elle n’est qu’une poupée, ce soir elle ne décidera pas. Elle sent qu’il s’approche d’elle, dans son dos. Ses mains viennent se placer sur ses hanches, il l’embrasse dans le cou, dans la nuque, et descend doucement le long de son dos, faisant glisser de ses épaules nues les bretelles de sa robe, qui tombe à ses pieds. Il embrasse ses reins et caresse ses jambes, ses fesses, ses seins, tout son corps. Elle sent une chaleur brûlante l’envahir. Elle voudrait l’embrasser, l’enlacer, le toucher, lui crier de la prendre, qu’elle ne mérite pas un supplice si raffiné. Elle respire lentement, tente de reprendre le contrôle. Elle ne dit pas un mot et ne fait pas un geste, se cambrant à peine sous les mains palpitantes de l’inconnu. Ce soir, s’est-elle promis, elle se laisse diriger.
Il se redresse, et elle sent le désir violent de son amant. Il a retiré son T-shirt. Elle se cambre un peu plus, et il recule. Elle a peur un instant, va-t-il partir et la laisser ainsi ? Elle n’ose tourner la tête. Elle retient son souffle jusqu’à ce que le bruit caractéristique de l’ouverture d’emballage d’un préservatif ne l’autorise à respirer de nouveau. Elle jette un regard par-dessus son épaule. Elle le trouve beau, même nu sous son jean qui lui tombe sur les chevilles. Tout va bien. Elle n’est pas seule. Il va la baiser. Elle est debout, ventre appuyé contre le lit dont les innombrables matelas lui rappellent les Princesse au Petit Pois et donnent une hauteur surprenante à l’ensemble.
Soudain, il la saisit par les hanches et la pénètre. Elle défaille sous le coup de la surprise et du plaisir conjugués. De ses hanches, les mains de l’inconnu viennent saisir ses poignets et les plaquent sur le lit. Il la maîtrise, mais elle veut plus. Elle ne veut plus se sentir seule et loin, elle ne veut plus se sentir libre et perdue. Elle se sent vivante parce qu’il la baise sans un mot, parce qu’il la maîtrise sans en tirer d’orgueil, parce qu’il la domine sans demander de comptes.
Elle lâche prise et se laisse envahir, elle oublie la promesse qu’elle s’est faite et laisse échapper un gémissement. Il se penche, et, se collant contre elle, murmure d’une voix sans réplique : “Say it in french“. Elle sourit. Elle voudrait se rappeler à quel moment elle lui a dit être française. Elle ne s’en souvient pas mais ça importe peu. Cet ordre a réveillé un peu d’énergie, un peu de volonté au fond de son corps. Elle se plie et se tord, ondule sous ses assauts. Elle crie qu’elle aime ça, il chuchote quelque chose qu’elle ne comprend pas, et d’un geste étonnamment doux, lui plaque la main sur la bouche. Elle ferme les yeux. La main glisse de ses lèvres sur son cou, sur ses seins, et revient lentement sur sa nuque. Il ne resserre pas son emprise, mais ce contact la rend folle. Il jouit.
Il reste contre elle un instant, et elle sait que bientôt, cet instant de grâce prendra fin. Qu’elle ne sera plus qu’une fille rentrant chez elle un samedi matin à 4h, une fille un peu moins seule le temps d’une ou deux heures. Elle sait que de leur brève complicité il ne restera bientôt plus rien d’autre que les relents glauques d’une étreinte vite oubliée, que la vague gêne face au désordre ambiant, atteinte à l’intimité bien plus embarrassante que le désir des corps. Elle égrène les secondes, attendant le mouvement infime qui mettra fin à la trêve. Il va jeter le préservatif. C’est ici que le temps reprend son cours normal, d’habitude. Mais il revient. Il a remis son jean, mais est toujours torse nu. Il pose ses mains sur ses épaules, et descend doucement, en gestes parallèles, le long de ses bras, de ses seins, de ses hanches ; ses fesses, ses cuisses, ses mollets, ses chevilles. Il refait le chemin inverse, très lentement, presque avec précaution, comme s’il craignait de la blesser, mais en remontant de ses mains la robe légère restée à ses pieds. Comme à une poupée, il lui enfile les bretelles sur les épaules et dépose un baiser au coin de ses lèvres.
“You’re not done yet.” Et à nouveau elle se laisse manœuvrer. Elle aime n’avoir rien à décider, rien à contester, rien à inventer. Elle aime que quelqu’un s’occupe de tout, la débarrasse de cette charge qu’est parfois le fait d’avoir à s’occuper de soi. Il la déplace et l’arrête debout face au bureau. La musique continue, elle voit sur l’écran de l’ordinateur qu’il a lancé une playlist interminable. Il lui saisit les mains et les pose sur le bureau, fermement. Il la tient ainsi quelques instants et elle sent que malgré leurs ébats précédents, il est de nouveau excité.
“Don’t move.” Il se glisse sous sa robe. Elle anticipe le plaisir et frissonne déjà. Elle ne doit pas bouger. Elle sent ses doigts délicats sur son corps, ses ongles qui la griffent un peu sur l’intérieur des cuisses, elle sent sa langue, sa bouche entière qui semble vouloir l’avaler. Sa tête tourne, elle voudrait lui toucher les cheveux, lui caresser la tête pour l’encourager - plus vite, plus profond, plus fort - mais elle ne doit pas bouger.
Ses jambes tremblent, son ventre se contracte, son esprit semble se vider brusquement, comme une déflagration. Elle titube, chancelle, se rattrape au bureau. Des larmes coulent le long de ses joues et un sourire incontrôlable se dessine sur ses lèvres. Il se relève et la tient un moment dans ses bras, sans bouger, sans parler. Puis l’entraîne sur le lit, où, calé contre elle, presque comme un enfant, il s’endort. Demain, elle ne sait pas. Mais ce soir à L.A., il fait un peu moins noir.
(cc) leojam